II - LES CABANES


Le lendemain de l'arrivée des cousins, on s'éveilla de grand matin. Jacques avait eu, avant de se coucher, une conversation à voix basse avec son père et Marguerite. On les voyait causer avec animation, on les entendait rire, de temps en temps. Jacques sautait, battait des mains et embrassait son papa et Marguerite, mais ils ne voulurent dire à personne de quoi ils avaient parlé avec tant de chaleur et de gaieté.
Quand Léon et Jean allèrent éveiller Jacques, ils trouvèrent la chambre vide et pensèrent qu'il était déjà au jardin. Ils allèrent donc frapper à la porte de leurs cousines, Camille et Madeleine, qui les attendaient et qui leur ouvrirent avec empressement. Ils se demandèrent réciproquement des nouvelles de leur nuit, puis descendirent pour courir à leur jardin et commencer leur cabane. En approchant, ils furent surpris d'entendre frapper comme si on clouait des planches. Comme ils s'interrogeaient, Marguerite se montra et cria très haut :
- Léon, Jean, bonjour ! Sophie et Jacques sont avec moi.
Elle courut à eux, les embrassa tous, puis ils prirent le chemin qui menait au jardin, en tournant un peu court dans le bois.
Quelle ne fut pas leur surprise en voyant Jacques, le pauvre petit Jacques, armé d'un lourd maillet et clouant des planches aux piquets qui formaient les quatre coins de sa cabane. Sophie l'aidait en soutenant les planches.
Jacques avait très bien choisi l'emplacement de sa maisonnette. Il l'avait adossée à des noisetiers qui formaient un buisson très épais et qui l'abritaient d'un soleil trop ardent. Mais ce qui causa aux cousins une vive surprise, ce fut la promptitude du travail de Jacques, et la force et l'adresse avec lesquelles il avait placé et enfoncé les gros piquets. La porte et une fenêtre étaient déjà indiquées par d'autres piquets.
Ils s'étaient arrêtés tous quatre. Leur étonnement se peignait si bien sur leurs figures que Jacques, Marguerite et Sophie ne purent s'empêcher de sourire, puis d'éclater de rire. Jacques jeta son maillet pour rire plus à son aise. Léon s'avança vers lui.

LÉON, avec humour : Pourquoi et de quoi ris-tu ?

JACQUES : Je ris de vous tous et de vos airs étonnés.

JEAN : Mais, mon petit Jacques, comment as-tu pu faire tout cela et comment as-tu eu la force de porter ces lourds piquets et ces lourdes planches ?

JACQUES, avec malice : Marguerite et Sophie m'ont aidé.
Léon et Jean hochèrent la tête d'un air incrédule ; ils tournèrent autour de la cabane, regardèrent partout d'un air méfiant, pendant que Camille et Madeleine s'extasiaient devant l'habileté de Jacques et admiraient la promptitude avec laquelle il avait travaillé.

CAMILLE : À quelle heure t'es-tu donc levé, mon petit Jacques ?

JACQUES : A cinq heures, et à six j'étais ici avec mes piquets, mes planches et tous mes outils. Tenez, mes amis, prenez-les maintenant. Nous sommes fatigués. Nous allons à présent courir après les papillons.

LÉON, avec ironie : Pour vous reposer sans doute ?

MARGUERITE : Précisément.
Et ils partirent en riant et en sautant. Léon les regarda s'éloigner et dit :
- Ils ne ressemblent guère à des gens fatigués.
Au même instant Camille et Madeleine se rapprochèrent avec inquiétude de Léon et de Jean.

CAMILLE : J'ai entendu les branches craquer dans le bois.

MADELEINE : Et moi aussi. Entendez-vous ? On s'éloigne avec précaution.
Pendant que Léon reculait prudemment, Jean saisissait le maillet de Jacques et s'élançait devant ses cousines pour les protéger. Ils écoutèrent quelques instants et n'entendirent plus rien. Léon dit alors d'un air mécontent :
- Vous vous êtes trompées, il n'y a rien du tout. Laisse donc ce maillet, Jean. Tu prends un air matamore en pure perte, il n'y a aucun ennemi pour se mesurer avec toi.

CAMILLE : Léon, pourquoi plaisantes-tu du courage de Jean ? Il pouvait y avoir du danger car je suis sure d'avoir entendu marcher avec précaution dans le fourré comme si on voulait se cacher.

LÉON, d'un air moqueur : Je préfère la prudence du serpent au courage du lion.

JEAN : Il est certain que c'est plus sûr.
Camille, qui pressentait une dispute, changea la conversation en parlant de leur cabane. Elle demanda qu'on choisît l'emplacement. Après bien des incertitudes, ils décidèrent qu'on la bâtirait en face de celle de Jacques. Ensuite ils allèrent chercher dans un grand hangar les pièces de bois et les planches nécessaires pour la construction, puis ils se mirent au travail.
À l'heure du déjeuner, M. de Traypi demanda des nouvelles des cabanes.
- Marchent-elles bien, vos constructions ? Êtes-vous bien avancés, vous autres grands garçons ?

LÉON, d'un air de dépit : Non, mon oncle. Nous commençons seulement à placer les quatre piquets des coins.

M. DE TRAYPI : Et Jacques, hé, où en est-il ?

LÉON, de même : Je ne sais pas comment il a fait, mais il a déjà commencé comme nous.

MARGUERITE : Dis donc aussi qu'il est bien plus avancé que vous autres, grands et forts, puisqu'il cloue déjà les planches des murs.

M. DE TRAYPI : Ha ! ha ! Jacques n'est donc pas si mauvais ouvrier que tu craignais hier, Léon ?
Léon ne répondit rien et rougit. Tout le monde se mit à rire. Jacques, qui était à côté de son père, lui prit la main et la baisa furtivement. On parla d'autres choses ; de bons gâteaux avec du chocolat mousseux mirent la joie dans tous les coeurs et dans tous les estomacs.
Après le déjeuner, les enfants firent ensemble une petite promenade dans le bois, pendant laquelle Léon arrangea la partie de pêche.
La pêche fut bonne : vingt et un poissons passèrent de la pièce d'eau dans le seau qui était leur prison de passage. Ils ne devaient en sortir que pour périr par le fer et par le feu de la cuisine.
Soudain, Madeleine remarqua l'absence de Jacques.
- Je suis sûre qu'il travaille à sa cabane, dit-elle.
- Allons voir, allons voir ! s'écrièrent tous les enfants, à l'exception de Marguerite et de Sophie.
- Il faut d'abord ranger nos lignes et nos hameçons, dit Sophie en les retenant.
- Et porter nos poissons à la cuisine, dit Marguerite.

LÉON, d'un air moqueur et contrefaisant la voix de Marguerite : Et puis les faire cuire nous-mêmes, pour donner à Jacques le temps de finir.

JEAN, riant : Attendez, je vais voir où il est.
Et il voulut partir en courant, mais Sophie et Marguerite se jetèrent sur lui pour l'arrêter. Jean se débattait doucement ; Camille et Madeleine accoururent pour lui venir en aide. Marguerite se jeta à terre et saisit une des jambes de Jean.
- Prends-lui l'autre jambe ! cria-t-elle à Sophie.
Mais Camille et Madeleine se précipitèrent sur Sophie, qui riait si fort qu'elle n'eut pas la force de les repousser. Marguerite, tout en riant aussi, s'était accrochée aux pieds de Jean, qui, lui aussi, riait tellement qu'il tomba le nez dans l'herbe. Sa chute ne fit qu'augmenter la gaieté générale.
- Aurez-vous bientôt fini ? demandait de temps en temps Léon d'un air mécontent.
Plus Léon prenait un air digne et fâché, plus les autres riaient. Leur gaieté se ralentit enfin. Ils eurent la force de se relever et de suivre Léon, qui marchait gravement, accompagné de gaies plaisanteries. Ils approchèrent ainsi du petit bois où l'on construisait les cabanes, et ils entendirent distinctement des coups de marteau si forts et si répétés qu'ils jugèrent impossible qu'ils fussent donnés par le petit Jacques.
- Je saurai ce qu'il en est ! dit jean en s'échappant et en entrant dans le fourré.
Sophie et Marguerite s'élancèrent par le chemin qui tournait dans le bois en criant : « Jacques ! Garde à toi ! » Léon courut de son côté et arriva le premier aux maisonnettes. Il n'y avait personne, mais par terre étaient deux forts maillets, des clous, des chevilles, des planches, etc.
- Personne ! dit Léon. C'est trop fort. Il faut le poursuivre. À moi, Jean, à moi !
Et il se précipita à son tour dans le fourré. Au bout de quelques instants, on entendit des cris : « Le voilà ! le voilà ! il est pris !
- Non, il s'échappe !
- Attrape-le ! à droite ! à gauche ! » Sophie, Marguerite, Camille, Madeleine virent Jean sortir du bois, échevelé, les habits en désordre. Léon, qui le suivait dans le même état, demanda à Jean :
- L'as-tu vu ? Où est-il ? Comment l'as-tu laissé aller ?
- Je l'ai entendu courir dans le bois, répondit Jean, mais de même que toi, je n'ai pu le saisir ni même l'apercevoir.
Pendant qu'il parlait, Jacques, rouge, essoufflé, sortit aussi du bois et leur demanda d'un air malin ce qu'il y avait, pourquoi ils avaient crié et qui ils avaient poursuivi dans le bois.

LÉON, avec humeur : Fais donc l'innocent, rusé que tu es. Tu sais mieux que nous qui nous avons poursuivi et par quel côté il s'est échappé.

JEAN : Allons, mon petit Jacques, dis-nous qui t'a aidé à bâtir si bien et si vite ta cabane. Nous ferons semblant de ne pas le savoir, je te le promets.

JACQUES : Pourquoi feriez-vous semblant ?

JEAN : Pour qu'on ne te reproche pas d'être indiscret.

JACQUES : Ha ! ha ! vous croyez donc que quelqu'un a eu la bonté de m'aider, que ce quelqu'un serait fâché si je vous disais son nom, et tu veux, toi, Jean, que je sois lâche et ingrat en lui faisant de la peine ?

LÉON : Ta, ta, ta, voyez donc ce beau parleur de sept ans ! Nous allons bien te forcer à parler, tu vas voir.

JEAN : Non, Léon, Jacques a raison. Je voulais lui faire commettre une mauvaise action, ou tout au moins une indiscrétion.

LÉON : C'est tant ennuyeux d'être joué par un gamin.

SOPHIE : N'oublie pas, Léon, que tu l'as défié, que tu t'es moqué de lui et qu'il avait le droit de te prouver que... que ...

MARGUERITE, avec vivacité : Qu'il a plus d'esprit que toi et qu'il pouvait te jouer un tour innocent, sans que tu aies le droit de t'en fâcher.

LÉON, piqué : Aussi je ne m'en fâche pas, mesdemoiselles. Je saurai respecter l'esprit et la sagesse de votre protégé.

MARGUERITE, vivement : Un protégé qui deviendra bientôt un protecteur.

JACQUES, à Marguerite avec vivacité : Et qui ne se mettra pas derrière toi quand il y aura un danger à courir.

LÉON, avec colère : De qui veux-tu parler, polisson ?

JACQUES, vivement : D'un poltron et d'un égoïste !
Camille, craignant que la dispute ne devînt sérieuse, prit la main de Léon et lui dit affectueusement :
- Nous perdons notre temps et toi, qui es le plus sage et le plus intelligent de nous trois, dirige-nous pour notre cabane si en retard et distribue à chacun l'ouvrage qu'il doit faire.
- Je me mets sous tes ordres ! s'écria Jacques qui regrettait ses mots.
Léon, que la petite flatterie de Camille avait désarmé, se sentit radouci par la déférence de Jacques. Il courut aux outils, donna à chacun sa tâche, et tous se mirent à l'ouvrage avec ardeur. Pendant deux heures ils travaillèrent de leur mieux. Mais leurs pièces de bois ne tenaient pas bien, les planches se détachaient, les clous se tordaient. Ils recommençaient avec patience et courage le travail mal fait, mais ils avançaient peu. Le petit Jacques semblait vouloir racheter ses paroles. Il donna plusieurs excellents conseils qui furent suivis avec succès. Enfin, fatigués et suants, ils laissèrent leur maison jusqu'au lendemain.
Jacques les quitta pour aller en secret chez son père.

M. DE TRAYPI, riant : Eh bien, mon Jacquot, nous avons été serrés de près ! J'ai bien manqué d'être pris ! C'est égal, nous avons bien avancé la besogne. J'ai demandé à Martin de tout finir pendant notre dîner, et demain ils seront bien surpris de voir que ton ouvrage s'est fait en dormant.
- Oh, non, papa, je vous en prie, dit Jacques en jetant ses petits bras autour du cou de son père. Laissez ma maison et faites finir celle de mes pauvres cousins.
Comme son père s'étonnait, Jacques lui raconta la scène qui avait eu lieu au jardin, les mots durs qu'il avait dits à Léon et ses remords.

M. DE TRAYPI, l'embrassant en souriant : Tu es un bon petit garçon. N'aie pas de souci : leur maison sera finie demain.
Jacques embrassa bien fort son papa.
Le lendemain, quand les enfants allèrent au jardin pour continuer les cabanes, quelle ne fut pas leur surprise de les voir toutes deux entièrement finies, et même ornées de portes et de fenêtres ! Ils s'arrêtèrent stupéfaits.
- Comment cela s'est-il fait ? dit enfin Léon. Par quel miracle notre maison se trouve-t-elle achevée ?
- Parce qu'il était temps de faire finir une plaisanterie qui aurait pu mal tourner, dit M. de Traypi en sortant du bois. Jacques m'a raconté ce qui s'était passé hier et m'a demandé de vous venir en aide comme je l'avais fait pour lui dès le commencement. D'ailleurs, ajouta-t-il en riant, j'ai eu peur d'une seconde poursuite comme celle d'hier.

JEAN : Comment ! C'est vous, mon oncle, qui nous avez fait si bien courir ? Vous pouvez vous vanter d'avoir de fameuses jambes, de vraies jambes de collégien !
Les enfants remercièrent leur oncle d'avoir fait terminer leurs maisons. Il s'agissait maintenant de les meubler. Chacun demanda et obtint une foule de trésors, comme tabourets, vieilles chaises, tables de rebut, bouts de rideaux, porcelaines et cristaux ébréchés. Tout ce qu'ils pouvaient attraper était porté dans les maisons : tapis, toile cirée, banc, tasses, verres, assiettes, et même des coffres pleins de provisions, qui permettraient de faire de bons déjeuners et goûters.
Chaque jour ajoutait quelque chose à l'agrément des cabanes. M. de Rugès et M. de Traypi s'amusaient à les embellir au-dedans et au-dehors. À la fin des vacances, elles étaient devenues de charmantes maisonnettes.


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