I - L'ARRIVÉE
Tout était en l'air au château de Fleurville. Camille et Madeleine de Fleurville, Marguerite de Rosbourg
et Sophie Fichini, leurs amies, allaient et venaient, montaient et descendaient l'escalier, couraient dans les corridors, sautaient,
riaient, criaient, se poussaient, allaient sans cesse voir les deux mamans, Mme de Fleurville et Mme de Rosbourg, leur demandaient s'ils
arrivaient, et comme ils n'arrivaient pas encore, repartaient.
A présent, il fallait fleurir les chambres des invités. Sophie courut au potager et rapporta un grand panier rempli de beaux dahlias et
de réséda qui embaumait. Marguerite et Madeleine ramenèrent une brouette de mousse. Camille apporta quatre vases bien lavés et remplis
d'eau.
Les quatre petites se mirent à l'ouvrage avec une telle activité qu'un quart d'heure après, les vases étaient pleins de fleurs
gracieusement arrangées. Elles en portèrent deux dans la chambre destinée à leurs cousins Léon et Jean de Rugès, et deux dans la chambre
du petit cousin Jacques de Traypi, puis elles allèrent sur le perron. Peu après, les voitures apparaissaient : M. et Mme de Rugès et
leurs deux fils, Léon et Jean, descendirent de la première ; M. et Mme de Traypi et leur petit Jacques descendirent de la seconde.
Pendant quelques instants ce fut un tumulte, un bruit, des exclamations à étourdir.
Léon était un beau et grand garçon blond, un peu moqueur, un peu rageur, un peu indolent et faible, mais bon garçon au fond ; il avait
treize ans.
Jean était âgé de douze ans ; il avait de grands yeux noirs pleins de feu et de douceur, il avait du courage et de la résolution, il
était bon, complaisant et affectueux.
Jacques était un charmant enfant de sept ans ; il avait les cheveux châtains et bouclés, les yeux pétillants d'esprit et de malice, les
joues roses, l'air décidé, le coeur excellent, le caractère vif, mais jamais d'humeur ni de rancune.
CAMILLE : Comme tu es grandi, Léon !
LÉON: Comme tu es embellie, Camille !
MADELEINE : Jean a l'air d'un petit homme maintenant.
JEAN : Un vrai homme, tu veux dire, comme toi tu as l'air d'une vraie demoiselle.
MARGUERITE : Mon cher petit Jacques, que je suis contente de te revoir ! Comme nous allons jouer !
JACQUES : Oh ! oui, nous ferons beaucoup de bêtises, comme il y a deux ans !
Sophie restait à l'écart. On l'avait embrassée en descendant de voiture, mais elle sentait que, ne faisant pas partie de la famille,
n'ayant été admise à Fleurville que par suite de l'abandon de sa belle-mère, elle ne devait pas se mêler indiscrètement à la joie
générale. Jean s'aperçut le premier de son isolement et, s'approchant d'elle, il lui prit les mains en lui disant :
- Ma chère Sophie, je me suis toujours souvenu de ta complaisance pour moi lors de mon dernier séjour à Fleurville. J'étais alors un
petit garçon. Maintenant que je suis plus grand, c'est moi qui te rendrai des services.
SOPHIE : Merci de ta bonté, mon bon Jean ! Merci de ton souvenir et de ton amitié pour la pauvre orpheline.
CAMILLE : Sophie, chère Sophie, tu sais bien que nous sommes tes soeurs, que maman est ta mère ! Pourquoi nous affliges-tu en
t'attristant toi-même ?
SOPHIE : Pardon, bonne Camille. Oui, j'ai tort, j'ai réellement trouvé ici une mère et des soeurs.
- Et des frères ! s'écrièrent ensemble Léon, Jean et Jacques.
- Merci, mes chers frères, dit Sophie en souriant.
- Mes enfants, descendez vite, venez goûter ! appela Mme de Fleurville.
Les enfants ne se firent point répéter une si agréable invitation. Ils descendirent en courant et se trouvèrent dans la salle à manger,
autour d'une table couverte de fruits et de gâteaux.
Tout en mangeant, ils formaient des projets pour le lendemain. Léon arrangeait une partie de pêche, Jean arrangeait des lectures à haute
voix. Jacques dérangeait tout ; il voulait passer toute la journée avec Marguerite pour attraper des papillons, pour jouer aux billes,
pour regarder et copier des images. Il voulait avoir Marguerite le matin, l'après-midi, le soir.
LÉON : Et pourquoi veux-tu avoir Marguerite pour toi tout seul ? Nous voulons aussi l'avoir. Quand nous pêcherons, elle viendra avec
nous.
JACQUES : Vous êtes déjà cinq ! Laissez-moi ma chère Marguerite pour m'aider à arranger mes papillons...
MARGUERITE : Écoute, Jacques, je t'aiderai pendant une heure ; ensuite nous irons pêcher avec Léon.
Jacques grogna un peu. Léon et Jean se moquèrent de lui. Camille et Madeleine l'embrassèrent et lui firent comprendre qu'il ne fallait
pas être égoïste. Jacques avoua qu'il avait tort, et il promit de faire tout ce que voudrait sa petite amie Marguerite.
Le goûter était fini. Les enfants demandèrent la permission d'aller se promener et partirent en courant à qui arriverait le plus vite au
jardin de Camille et de Madeleine. Ils le trouvèrent plein de fleurs, très bien bêché et bien cultivé.
JEAN : Il vous manque une petite cabane pour mettre vos outils, et une autre pour vous mettre à l'abri de la pluie, du soleil et du
vent.
CAMILLE : C'est vrai, mais nous n'avons jamais pu réussir à en faire une. Nous ne sommes pas assez fortes.
LÉON : Eh bien, pendant que nous sommes ici, Jean et moi nous bâtirons une maison.
JACQUES : Et moi aussi j'en bâtirai une pour Marguerite et pour moi.
LÉON, riant : Ha ! ha ! ha ! Voilà un fameux ouvrier ! Est-ce que tu sauras comment t'y prendre ?
JACQUES : Oui, je le saurai, et je la ferai.
MADELEINE : Nous t'aiderons, mon petit Jacques, et je suis bien sûre que Léon et Jean t'aideront aussi.
JACQUES : je veux bien que tu m'aides, toi, Madeleine, et Camille aussi, et Sophie aussi. Mais je ne veux pas de Léon, il est trop moqueur.
JEAN, riant : Et moi, Jacques, Ta Grandeur voudra-t-elle accepter mon aide ?
JACQUES, fâché : Non, monsieur, je ne veux pas de toi non plus ; je veux te montrer que Ma Grandeur est bien assez puissante pour
se passer de toi.
SOPHIE : Mais comment feras,tu, mon pauvre Jacques, pour atteindre au haut d'une maison assez grande pour nous tenir tous ?
JACQUES : Vous verrez, vous verrez. Laissez-moi faire, j'ai mon idée.
Et il dit quelques mots à l'oreille de Marguerite, qui se mit à rire et lui répondit bas aussi :
- Très bien, très bien, ne leur dis rien jusqu'à ce que ce soit fini.
Les enfants continuèrent leur promenade. On mena les cousins au potager où ils passèrent en revue tous les fruits, mais sans y toucher,
puis à la ferme, où ils visitèrent la vacherie, la bergerie, le poulailler, la laiterie. Ils étaient tous heureux. Ils riaient, ils
couraient, grimpant sur des arbres, sautant des fossés, cueillant des fleurs pour en faire des bouquets qu'ils offraient à leurs cousines
et à leurs amies. Jacques donnait les siens à Marguerite ; ceux de Jean étaient pour Madeleine et Sophie ; Léon réservait les siens à
Camille. Ils ne rentrèrent que pour dîner. La promenade leur avait donné bon appétit ; ils mangèrent à effrayer leurs parents. Le dîner
fut très gai. Ensuite, on fit tous ensemble une promenade dans les champs et l'on rapporta une quantité de bleuets.
Le reste de la soirée se passa à faire des couronnes pour les demoiselles.