III - LA PARTIE DE CACHE-CACHE
Le lendemain, M. de Rugès proposa une grande promenade aux enfants et aux adultes. Elle fut charmante.
La fraîcheur du bois tempérait la chaleur du soleil ; de temps en temps on s'asseyait, on causait, on cueillait des fleurs, on trouvait
quelques fraises.
Lors d'une halte, on étala sur l'herbe les provisions que portait l'âne. Les enfants firent honneur au repas rustique : crème, lait
caillé, beurre, galette, fraises des bois, tout fut mangé. Ensuite, Mme de Fleurville proposa une partie de cache-cache :
- Nous en serons tous, petits et grands, jeunes et vieux.
- Bravo, bravo ! Ce sera bien amusant ! s'écrièrent les enfants. Voyons, qui est-ce qui l'est ?
- Il faut l'être deux, dit Mme de Rosbourg. Ce serait trop difficile de prendre étant seul.
- Ce sera tout d'abord moi et ma soeur de Fleurville, décida M. de Traypi. Une, deux, trois. La partie commence : le but est à l'arbre
près duquel nous nous trouvons.
Toute la bande se dispersa pour se cacher dans des buissons ou derrière des arbres.
- Défendu de grimper aux arbres ! dit Mme de Traypi.
- Hou ! hou ! crièrent bientôt plusieurs voix de tous les côtés.
M. de Traypi et Mme de Fleurville partirent tout doucement chacun de leur côté, marchant sur la pointe des pieds, regardant derrière
les arbres, examinant les buissons.
- Ah ! j'en tiens un ! s'écria M. de Traypi en s'élançant dans un buisson.
Mais il avait parlé trop vite. Camille et Jean étaient partis comme des flèches et arrivèrent au but avant qu'il eût pu les rejoindre.
Pendant ce temps, Mme de Fleurville avait découvert Léon et Madeleine. Elle se mit à leur poursuite. Et la partie battit son plein,
Marguerite, Jacques et les autres surgissant soudain. Bientôt tout le monde était attrapé ou parvenu au but, haletant et riant. Seule
Sophie manquait.
- Sophie, cria-t-on, fais hou ! qu'on sache de quel côté tu es.
Personne ne répondit. L'inquiétude commençait à gagner Mme de Fleurville.
- Il n'est pas possible qu'elle ne réponde pas si elle est réellement cachée, dit-elle. Je crains qu'il ne lui soit arrivé quelque
chose.
- Ah ! pauvre Sophie ! s'écrièrent Camille et Madeleine. Allons la chercher, maman.
- Oui, allons-y tous, mais chacun des petits escorté d'un grand, dit M. de Traypi.
Ils se partagèrent en bandes et se mirent tous à la recherche de Sophie. Leurs cris retentissaient dans la forêt ; aucune voix n'y
répondait. L'inquiétude devint générale. Enfin, Jean et Mme de Rosbourg crurent entendre une voix étouffée. Ils s'arrêtèrent,
écoutèrent. Ils ne s'étaient pas trompés : c'était Sophie qui appelait.
- Au secours ! Au secours ! Mes amis, sauvez-moi !
- Sophie, Sophie, où es-tu ? demanda Jean épouvanté.
- Près de toi, dans l'arbre, répondit Sophie.
- Mais où donc ? Mon Dieu, où donc ? Je ne te vois pas.
Et Jean, effrayé, désolé, cherchait, regardait de tous côtés, sur les arbres, par terre. Tout le monde était accouru près de lui. Tous
cherchaient sans trouver.
- Sophie, chère Sophie, cria Camille, où es-tu ? Sur quel arbre ? Nous ne te voyons pas.
SOPHIE, d'une voix étouffée : Je suis tombée dans le chêne, qui était creux. J'étouffe, je vais mourir si vous ne me tirez pas de
là.
- Comment faire ? dit-on. Si on allait chercher des cordes ?
Jean réfléchit une minute, se débarrassa de sa veste et s'élança sur le chêne dont les branches très basses permettaient de grimper
dessus.
- Que fais-tu ? cria Léon. Tu vas être englouti avec elle.
- Imprudent ! lança M. de Rugès. Descends, tu vas te tuer.
Mais Jean grimpait avec une agilité qui lui fit vite atteindre le haut du tronc pourri. Jacques s'était élancé avec la veste de jean et
quand il l'eut rejoint, il défit promptement la sienne. Jean, qui avait jeté les yeux dans le creux de l'arbre, avait vu Sophie tombée
au fond. Il réclama une corde. Léon, Camille et Madeleine s'élancèrent dans la direction du moulin tout proche pour en avoir une. Mais
Jacques passa les deux vestes à Jean, qui les noua ensemble par les manches et les fit descendre dans le trou.
- Accroche-toi aux vestes, Sophie, et aide-toi des pieds pour remonter pendant que je vais tirer.
Jean, Jacques et M. de Rugès, qui les avait rejoints, tirèrent de toutes leurs forces. Enfin, la tête pâle et défaite de la malheureuse
Sophie apparut au-dessus du trou. Au même instant, les vestes commencèrent à se déchirer. Sophie poussa un cri perçant. Jean la saisit
par une main, M. de Rugès par l'autre, et ils la retirèrent tout à fait de cet arbre qui avait failli être son tombeau. Jacques
dégringola lestement jusqu'en bas ; M. de Rugès descendit avec plus de lenteur, tenant dans ses bras Sophie à demi évanouie, et suivi de
Jean. Mme de Fleurville et toutes ces dames s'empressèrent autour d'elle ; Marguerite se jeta en sanglotant dans ses bras. Sophie
l'embrassa tendrement. Dès qu'elle put parler, elle remercia Jean et Jacques bien affectueusement de l'avoir sauvée.
Lorsque Camille, Madeleine et Léon revinrent, traînant après eux vingt mètres de corde, Sophie était remise. Elle put se lever et
marcher à leur rencontre. Elle sourit à la vue de cette corde immense.
- Merci, chers amis, dit-elle. Mais vous me croyiez donc au fond d'un puits pour avoir apporté une corde de cette longueur ?
CAMILLE : Nous ne savions pas bien au juste où tu étais, et nous avons pris à tout hasard la corde la plus longue.
MADELEINE : Oui, car Léon a dit : « Une corde trop longue ne peut pas faire de mal, et une corde trop courte pourrait être cause
de la mort de Sophie. »
Tout le monde rit, puis on rentra à la maison, bien heureux d'avoir tiré la pauvre Sophie du danger où elle s'était mise par sa faute,
puisqu'il était convenu que personne ne devait grimper dans les arbres ce jour-là.
Chapitre précédent / Chapitre suivant