XXIII - VISITE CHEZ HUREL
La vallée de Laigle est connue pour son aspect animé, vert et riant. Le village d'Aube est sur la
grand-route.
La maison d'Hurel était presque à l'entrée du village. Ces dames se la firent indiquer ; elles descendirent de voiture et se dirigèrent
vers la maison du boucher. Tout le village était aux portes ; on regardait avec surprise ces deux élégantes voitures, et l'on se
demandait qui pouvaient être ces belles dames qui entraient chez Hurel. Le brave homme ne fut pas moins surpris. Il ne reconnaissait
pas les enfants qu'il avait à peine entrevues dans l'obscurité.
- Ces dames veulent-elles faire une commande de viande ? demanda Hurel.
- Merci, mon brave Hurel, interrompit en souriant Mme de Rosbourg. Ce n'est pas pour cela que nous venons ; nous venons nous acquitter
d'une dette.
HUREL. - Une dette ! Madame ne me doit rien, je ne me souviens pas d'avoir livré à madame ni mouton ni boeuf.
MADAME DE ROSBOURG. - Non, pas de mouton ni de boeuf, mais deux petites filles que voici et que vous avez trouvées dans la forêt.
HUREL, riant. - Bah ! Pauvres petites ! Elles étaient dans un état à faire pitié.
MARGUERITE. - Sans vous, cher monsieur Hurel, nous serions sûrement mortes de fatigue, de terreur et de faim.
Et Marguerite se dressa sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Le brave homme la souleva, lui donna un gros baiser sur chaque joue
et dit :
- C'aurait été dommage de laisser mourir une bonne demoiselle comme vous. Et comme ça, vous aviez peur ?
MARGUERITE. - Oh oui, fort peur !
HUREL. - Asseyez-vous donc, mesdames ; Victorine, donne des chaises et apporte du cidre, du bon !
Tout le monde s'assît ; on causa et but du cidre à la santé d'Hurel et de sa famille. Au bout d'une demi-heure, Mme de Rosbourg
demanda l'heure.
Hurel regarda son coucou.
- Il n'est pas loin de quatre heures, dit-il ; mais le coucou est dérangé, il ne marque pas l'heure juste.
Mme de Rosbourg tira alors de sa poche une boîte, qu'elle donna à Hurel.
- Je vois, mon bon Hurel, dit-elle, que vous n'avez pas de montre. En voilà une que vous voudrez bien accepter en souvenir des deux
petites filles de la forêt.
- Merci bien, madame, mais en vérité vous êtes trop bonne ; ça ne méritait pas...
Il venait d'ouvrir la boîte et il s'arrêta, muet de surprise et de bonheur à la vue d'une belle montre en or avec une longue et lourde
chaîne en or elle aussi.
HUREL, avec émotion. - Ma bonne chère dame, c'est trop beau. Vrai, je n'oserai jamais porter une si belle chaîne et une si belle
montre.
MADAME DE ROSBOURG. - Portez-les pour l'amour de nous. Et songez que c'est encore moi qui vous serai redevable ; car vous m'avez rendu
un trésor en me ramenant mon enfant, et ce n'est qu'un bijou que je vous donne.
Se tournant ensuite vers Mme Hurel et sa fille :
- Vous voudrez bien aussi accepter un petit souvenir.
Et elle leur donna à chacune une boîte qu'elle s'empressèrent d'ouvrir ; à la vue de belles boucles d'oreilles et d'une broche en or et
en émail, elles devinrent rouges de plaisir.
Toute la famille fit à Mme de Rosbourg les plus vifs remerciements.
Ces dames et les enfants remontèrent en voiture, entourées d'une foule de personnes qui enviaient le bonheur des Hurel et bénissaient la
bonté de mme de Rosbourg.