L'ours de l'Ardiden.

 

Aujourd'hui, ce sont les bébés qui rêvent de leurs ours. Avant, c'étaient les jeunes filles, car seuls, les ours savaient faire de beaux enfants.

Une jeune fille nommée Marie, de Sazos, ne pouvait pas avoir d'enfant. Elle s'en désolait. On lui conseilla d'aller supplier l'ours de l'Ardiden.
Marie partit donc en quête de l'ours, accompagnée par une autre Marie, celle de Penin.
Elles prirent un chemin qui montait sans cesse, montait à travers les forêts, les éboulis, les branches cassées. Jamais les deux Marie n'avaient vu autant de cailloux. Elles avaient faim et soif, et parfois se disaient que jamais elles ne parviendraient à atteindre leur but.
- J'ai trop mal, disait Marie de Sazos.
- Pense à ton enfant, répondait l'autre.

Il fallait traverser une immense forêt noire où régnait, disait-on, une importante troupe de brouches(1). Les deux Marie avaient très peur et se tenaient la main. Elles virent bientôt deux grands yeux lumineux fixés tout en haut d'un sapin.
-Hou ! Hou !
- Notre dernière heure est arrivée, dit une Marie.
- Fais le signe de la croix.
Maintenant, il y avait des centaines d'yeux en haut des sapins.
- Hou ! Hou !
- C'est sûrement la fontaine aux chouettes. Il nous faut boire de l'eau et la répandre ensuite aux quatre coins.
Elles burent et répandirent ensuite l'eau aux quatre coins.
- Délivrez-nous des maléfices.
- Éloignez-nous de la puissance du diable.
- Déliez-nous des pièges des brouches.
- Faites disparaître les traces...
Elles réussirent à dépasser la forêt et arrivèrent sur une vaste plaine désertique et caillouteuse.
C'était ici la maison de l'ours. Elles l'appelèrent. Alors un orage eclata, plusieurs coups de tonnerre grondèrent et voici qu'apparut une grande et majestueuse bête à la fois charmeuse et accueillante.
- Que voulez-vous, charmantes demoiselles ?
- Oh ! Monsieur l'ours, vous êtes si grand, si fort et nous, si petites, si peu de chose, nous n'osons pas vous le demander !
- Dites toujours !
- Voilà, je vous ai porté un gâteau au miel, dit Marie de Sazos, j'espère qu'il vous plaira. Je ne puis avoir d'enfant et j'en désirerais un.
L'ours très alléché se fit très aimable.
- C'est simple, affirma-t-il. Lorsque j'aurai mangé le gâteau, on plongera sept fois ensemble dans le lac.
Marie plongea sept fois dans l'eau du lac. À la fin, elle se sentait très lourde et pouvait à peine marcher.
- Soyez prudentes à votre retour, dit l'ours, et par-dessus tout, gardez-vous des brouches. Elles vous prendraient l'enfant si elles pouvaient. Je sais qu'elles frappent le chemin avec leurs balais. Une fois en sécurité dans votre village, donnez-moi des nouvelles de l'enfant.
Les deux Marie obéirent à l'ours et redescendirent par le chemin indiqué. Les brouches, furieuses, attaquèrent tous les chemins, surtout à la pleine lune car c'est à ce moment-là qu'elles sont les plus dangereuses.
Bientôt, Marie de Sazos mit au monde, aidée par l'autre Marie, un superbe garçon aux yeux vifs et noirs, qui devint l'orgueil de la vallée.

Marie remonta souvent dans la montagne pour donner à l'ours des nouvelles de l'enfant et pour en demander d'autres. Ainsi, elle en eut sept, tous vraiment très beaux... La vallée tout entière admirait et jalousait Marie.
Un jour, pourtant, elle ne remonta plus dans la montagne, les brouches lui ayant pris son huitième enfant. Elle ne savait pas très bien elle-même ce qui s'était passé. Alors l'ours, peiné de ne plus voir ses enfants, descendit lui-même dans la vallée. Il se fit annoncer par des coups de tonnerre et des éclairs.
Marie gardait ses moutons dans une prairie au bord de la rivière. Elle eut d'abord très peur.
- J'aurais dû, pensa-t-elle, m'arrêter au septième. Le huitième n'aurait pas été pris par les brouches.
- Tu es à moi, dit brusquement l'ours. Tu vas vivre désormais avec moi à l'Ardiden. Mais comme tu ne pourras plus avoir d'enfants, ceux de la vallée pourront venir te voir.

Marie attendait ses enfants assise sur une roche plate près du lac. Elle était devenue très jolie avec ses longs cheveux qui flottaient au vent. Lorsque ses enfants repartaient, elle se laissait doucement couler dans l'eau et l'on voyait longuement sa chevelure qui glissait sur les galets.

Ceux qui montent aujourd'hui jusqu'à ce lac ont des chances de la voir à chaque pleine lune de mars. À part cela, le lac de l'Ardiden garde son secret.

(1) Brouches : sorcières en bigorre. Retour


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