La légende du rocher de Percé.

 

Au large de Percé, un ancien village de pêcheurs, qui est aujourd'hui un centre touristique réputé, se dresse un immense rocher qui a la forme d'un navire. Des géologues ont expliqué sa formation ancienne mais on croit que l'existence de ce fameux rocher n'est peut-être pas due à de seuls phénomènes géologiques. La légende offre une autre explication.

Au temps où le drapeau du roi de France flottait sur les bastions de Québec, Raymond de Nérac, un jeune officier dont le régiment était stationné à Versailles fut appelé pour aller combattre, en Nouvelle-France, les ennemis de la colonie naissante. Les Anglais et les Iroquois faisaient, là-bas, des ravages et il fallait à tout prix porter secours aux colons.
L'ordre était de se rendre à Saint-Malo où un navire allait appareiller pour amener le régiment dans ce lointain pays. Le jeune militaire était enchanté de servir mais une seule chose atténuait son ardeur et son courage. C'est qu'il était amoureux d'une jeune fille, belle et vertueuse, et ses projets de mariage étaient très avancés. Comment partir de bon coeur au bout du monde quand on laisse derrière soi une fiancée jolie, aimante et courtisée par d'autres galants ?
Le devoir et l'honneur finirent par l'emporter sur les sentiments amoureux et Raymond de Nérac fit de touchants adieux à sa belle avant de s'embarquer. Les fiancés se jurèrent fidélité en comptant que le jeune officier serait rappelé en France après quelques mois de service.
Mais les saisons s'écoulaient et le régiment de France n'était pas rappelé ; la jolie fiancée, Blanche de Beaumont, languissait. Heureusement, l'oncle de la jeune fille reçut du roi la permission d'aller faire en Nouvelle-France la traite des fourrures. La famille consentit à ce que Blanche partît avec lui rejoindre son fiancé et c'est là-bas, au pays des neiges, qu'elle allait enfin se marier avec celui que son coeur avait élu.
On versa des larmes au départ de la jeune fille tout en formulant des voeux pour une heureuse traversée. Mais Blanche ne pensait pas aux dangers : elle se prépara donc au voyage avec entrain et elle quitta le rivage de France avec allégresse en compagnie de son oncle, chargé de veiller sur elle.
On était en juin et le long voyage s'effectuait normalement. Déjà, après dix jours de navigation, Blanche scrutait l'horizon avec une grande impatience car on approchait des côtes de la Nouvelle-France.
Et, un matin, on vit surgir au-devant non pas des terres recouvertes de vertes forêts mais un vaisseau à l'allure singulière. L'équipage examina son drapeau et s'émut : c'était un vaisseau pirate !
Le navire fondit toutes voiles dehors sur le galion français si bien que l'équipage n'eut guère le temps de se préparer à la lutte.
Des coups de canon firent tomber les deux grands mâts et bientôt les pirates montèrent à bord et ce ne fut plus que batailles sanglantes, cris et coups d'épées et de mousquets. Les Français repoussèrent vaillamment les attaquants en les forçant à quitter le pont et le gaillard mais leur capitaine donna subitement ordre d'aller fermer les écoutilles pour empêcher les matelots d'y chercher refuge. Il était corsaire après tout ! et il souhaitait qu'on se batte jusqu'à la mort !
Une rage féroce s'empara alors des assaillants et ils redoublèrent d'ardeur. Au milieu du tumulte, Blanche de Beaumont tentait de porter secours aux blessés et aux mourants mais bientôt les Français, à bout de ressources, durent se rendre. On s'empara des tonneaux de vivres ; on acheva les survivants et on jeta les cadavres à la mer. Sur le navire dévasté, il ne restait de vivante qu'une jeune fille tremblante, pleurant la mort de son oncle. Blanche, épuisée et accablée de chagrin et de peur, s'écroula sur le pont et perdit connaissance.
Le capitaine des pirates la réclama comme sa part à lui. Il la transporta lui-même dans ses bras jusqu'à son propre bateau, en lui murmurant à l'oreille : « Vous serez ma femme ! »
Quand elle reprit ses sens, Blanche se trouva seule au milieu des marins pirates. Elle eut beau supplier qu'on la tuât, le capitaine ne se laissa pas attendrir.
- Je suis fiancée ! cria-t-elle dans son désespoir. Raymond de Nérac, capitaine au régiment de France, est le seul époux que je veux !
Elle se tenait devant lui droite et fière et les yeux baignés de larmes quand le capitaine, irrité et dépité, lui demanda avec sarcasme :
- Et où donc est ce jeune homme que désire votre coeur ?
- En Nouvelle-France, répondit-elle, où il défend la colonie avec courage.
- Ah, il est en Nouvelle-France...
Et il ordonna sur-le-champ de faire voile pour Québec tandis qu'il enferma la jeune femme dans une toute petite cabine sombre, sous étroite surveillance.
Quelques jours plus tard, on la mena sur le pont pour apercevoir au loin la terre, une terre couverte de forêts et de végétation. Son coeur se serra.
- Voici la Nouvelle-France, lui annonça le capitaine avec un méchant sourire.
Elle était enfin arrivée devant cette contrée dont elle avait rêvé mais elle comprit, en voyant le regard du capitaine sur elle, que jamais il ne la laisserait descendre et retrouver son fiancé. Il s'approcha et l'enlaça en donnant ordre de préparer un festin.
- Ce soir, tu deviendras mon épouse, fit-il.
Blanche ressentit une si vive douleur qu'elle s'échappa brusquement des liens qui la retenaient et d'un mouvement rapide elle se précipita dans la mer. On eut beau lancer une embarcation pour tenter de la ramener, les vagues s'élevèrent et emportèrent son corps pour toujours au fond des eaux du golfe.
Le capitaine des pirates cracha de dépit. Avec la disparition de Blanche un malaise se répandit parmi les membres de l'équipage. Les matelots corsaires avaient beau être de féroces gaillards, ils étaient superstitieux. D'étranges pressentiments agitaient leurs esprits. Le capitaine lui-même regrettait sa malheureuse victime. Il devint taciturne.
Le jour qui suivit la mort de Blanche, le navire poussé par un vent très fort arriva en vue du rocher de Percé, une masse rocheuse qui surprit l'équipage par son allure sauvage et majestueuse. Le capitaine, mû sans doute par quelque désir secret, fit approcher le plus près possible des falaises.
Tous les yeux étaient portés sur l'étonnant paysage quand ils virent soudain paraître, à la pointe du rocher, le spectre de Blanche de Beaumont avec ses cheveux flottant dans le vent. Tous, à bord, furent saisis de stupeur.
Les mains levées au-dessus de la tête comme dans une malédiction suprême, le spectre de la jeune fiancée semblait si proche qu'un cri de frayeur s'échappa de toutes les poitrines. L'apparition abaissa les mains dans la direction du vaisseau et à ce moment, le navire fut changé en une masse compacte de roc.
Petit à petit, sous l'assaut des vagues et du vent, les rochers autour s'effritèrent mais celui qu'on peut voir encore à l'entrée de la rivière, près du Cap des Rosiers, conserve toujours la forme d'un vaisseau.
Quand les brouillards s'élèvent sur le golfe du Saint-Laurent et qu'ils entourent le rocher de Percé, on distingue parfois le spectre d'une jeune fille qui vient contourner le vaisseau fantôme comme pour s'assurer que la malédiction pèse toujours sur lui et son équipage. Car ces oiseaux de mer aux cris sauvages ne sont nuls autres que les marins pirates condamnés à voler alentour pendant l'éternité.

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Kugaluk et les géants.

 

Adapté d'un conte inuit
Chez les Inuits qui habitent le Nunavik, c'est-à-dire l'extrême nord du Québec, la tradition orale transmet les croyances et les grands mythes de la création. Cette histoire raconte comment naquit le brouillard.

Au pays des Inuits un géant semait la terreur parmi les chasseurs de phoques. Il repérait facilement les chasseurs solitaires sur les grandes étendues de glace de la banquise. Tous les habitants avaient peur d'être attrapés par ce géant ou par sa femme, géante elle aussi. On dit qu'elle était aussi vorace que son mari. Ces deux géants emportaient les chasseurs qu'ils capturaient dans leur maison pour les dévorer et on n'en entendait plus jamais parler.
Aussi, quand un chasseur partait sur la banquise, la peur des géants restait présente en lui jusqu'à ce qu'il fût de retour chez lui.
Un jour que Kugaluk attendait qu'un phoque montrât le bout de son nez, il vit le géant qui venait vers lui. Il savait qu'il ne pouvait pas se sauver car il n'y avait que l'immensité de la neige et de la glace autour de lui, nulle part où se cacher. Sans hésiter, Kugaluk s'allongea par terre. Il retint son souffle et fit comme s'il était mort.
Le géant s'approcha de lui. Il l'examina attentivement pour voir s'il respirait.
- Il est bien mort dit-il tout haut. Il est gelé dur.
Le géant saisit Kugaluk et l'attacha sur son dos à l'aide d'une longue lanière de nerf de caribou. Il se mit en marche. Kugaluk ne bougeait pas, mais de temps en temps, il ouvrait les yeux pour voir où il était.
Le géant marcha longtemps sur la neige, puis il se dirigea vers un endroit où poussaient des arbustes touffus.
Kugaluk pensa : « Si je m'agrippe aux branches, j'arriverai peut-être à fatiguer le géant. »
Bientôt, le géant se fraya un chemin à travers les saules nains. Kugaluk saisit les branches qu'il voyait à la portée de ses mains. Le géant tirait fort pour se dégager. Il faillit tomber plusieurs fois.
Kugaluk répéta son geste à maintes reprises. Le géant dut s'arrêter pour se reposer tant cette marche à travers les saules nains l'épuisait. Il ne soupçonnait pas que c'était à cause de Kugaluk Il fut obligé de s'asseoir pendant un bon moment pour reprendre son souffle. Puis, hésitant, il vérifia tout de même encore une fois si l'homme qu'il transportait était bien gelé.
Kugaluk retint sa respiration et resta raide. Le géant reprit son fardeau et continua son chemin.
Kugaluk le fit trébucher tout le reste du voyage. Il était tard lorsque le géant finit par arriver chez lui ; il était très fatigué. Il entra dans la maison et dit à sa femme :
- J'ai trouvé un homme mort que nous mangerons demain.
Il déposa Kugaluk dans un coin de l'iglou, jeta sa hachette sur le sol et se coucha aussitôt pour dormir.
Du coin de l'oeil, Kugaluk examina l'iglou. Il vit la lampe qui brûlait. Il pouvait distinguer les formes du géant et de sa femme, qui dormaient.
Sans bruit, il tâta le sol et sa main rencontra la hachette du géant. Il la prit et resta tranquille. Puis, il se souleva doucement et, sans bruit, trancha la gorge du géant endormi.
Il craignait que la femme ne s'éveillât mais elle ne bougea pas. Alors, Kugaluk se mit debout et se précipita dehors. Il se mit à courir à toute vitesse sur la neige. Il regarda derrière lui : personne ne le poursuivait.
Alors, il ralentit sa course tout en continuant de regarder derrière lui. Il se croyait sauvé mais voici qu'apparut au loin la géante. Elle avançait droit sur lui, son ulu
* à la main.
Kugaluk rassembla ses forces mais ses jambes ne voulaient plus courir. Il se sentit perdu. Malgré son affolement, il se rendit compte qu'il traversait un bras de mer couvert d'une épaisse couche de glace brillante. Une idée lui vint.
Il saisit la hachette et se mit à frapper le sol à coup répétés. Une rivière bouillonnante surgit aussitôt et barra le chemin à la géante qui accourait. Elle s'arrêta au bord de l'eau et cria :
- Comment as-tu traversé la rivière ?
- Je l'ai bue, répondit Kugaluk en tremblant.
Alors la géante se mit à boire la rivière. Son estomac était à moitié plein et déjà elle se préparait à sauter par-dessus ce qui restait d'eau.
- Il faut tout boire ! cria Kugaluk désespéré.
Car il pensait : « Que puis-je faire contre la géante avec une pauvre hachette ? »
Soudain un bruit épouvantable se fit entendre et un épais brouillard s'étendit sur toute la toundra. C'était la géante qui avait explosé en crevant.
Kugaluk ne voyait rien ; il ne savait plus dans quelle direction aller. Il réussit tant bien que mal à s'orienter et retourna chez lui sans rencontrer personne.
Lorsqu'on apprit, au village, comment Kugaluk avait réussi à débarrasser le pays du géant mangeur d'hommes et de sa femme, on fit une grande fête.
C'est depuis ce jour que le brouillard existe. Il s'étend parfois sur la toundra obligeant les chasseurs de phoques à rester sur place et à attendre le retour du ciel clair. Durant ces moments d'attente immobile ils n'ont plus peur de rencontrer les géants car chacun se rappelle l'exploit de Kugaluk

* Ulu : couteau à deux manches et à lame courbée.


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