La Princesse Merveille.
Quelle bonne idée Ti-Jean a eue d'écouter les conseils de la chatte blanche ! N'est-ce pas que la vie serait agréable si l'on rencontrait des bêtes aussi utiles sur son chemin ?
Un roi avait trois fils. Félix,
l'aîné, Aubert et le plus jeune : Ti-Jean. Un jour , le roi dit
:
Mes fils, je vous ai fait instruire et je vous ai fourni le gîte
et le couvert. Maintenant, il est temps de savoir si vous avez
profité de cela. Vous allez vous mettre en route. Celui d'entre
vous trois qui reviendra de ses voyages avec la plus belle toile
du pays recevra en échange ma couronne et mon royaume.
Les trois fils se préparèrent et un matin les voilà partis.
Rendus à une fourche de trois chemins, Félix dit :
- Je prends ce chemin-ci.
Aubert dit :
- Moi, je prends celui-là.
Ti-Jean n'a pas le choix puisqu'il ne reste qu'un chemin. Aussi
dit-il :
- Et moi, je prends le chemin qui reste.
Mais avant de poursuivre, les trois frères s'entendent :
- Le jour des feux de la Saint-Jean, nous nous retrouverons ici,
à la fourche des trois chemins.
Ti-Jean marche, marche, marche jusqu'au bout du chemin et arrive
devant une grande forêt. Il prend un sentier sous les arbres et
continue son voyage. Tout à coup, devant lui, se dresse une
maisonnette au toit de chaume et à quelques pas, il voit une
chatte blanche qui conduit quatre crapauds attelés à un
chariot. Il s'arrête et les regarde faire.
La chatte remplit une cuve d'eau et se met à miauler. Miaou !
Miaou !
« Tout ça est bien étrange » se dit Ti-Jean. Puis, la chatte
plonge dans la cuve. « Oh ! C'est encore plus bizarre »,
observe Ti-Jean. Et aussitôt sort de la cuve une princesse belle
comme le jour qui lui demande :
- Que cherches-tu, Ti-Jean ?
- Je cherche pour mon père, répond Ti-Jean, intimidé, la plus
belle toile du pays.
- Je peux t'en trouver mais tu devrais rester ici car la nuit
approche. Moi, demain, je redeviendrai une chatte blanche. Mais
écoute-moi bien. Tu regarderas dans le plus haut tiroir de ma
petite commode. Tu prendras la plus vilaine noix que tu y verras
et tu la mettras dans ta poche. Arrivé chez ton père, fends
cette noix de ton couteau, fends, fends et refends. Il en sortira
trente aunes de la plus belle toile qui se soit jamais vue sous
le soleil.
Le lendemain matin, Ti-Jean accomplit à la lettre ce que lui a
recommandé la princesse. Puis il reprend sa route vers la
fourche des trois chemins. Au temps convenu, il rencontre ses
deux frères. Tous deux rapportent des ballots de belle toile
pour leur père, si belle que Ti-Jean en reste bouche bée.
- Et toi, Ti-Jean, disent Félix et Aubert, tu n'en rapportes pas
?
- Mon père aura bien assez de toute cette toile que vous avez
là sans en demander davantage ! s'exclame Ti-Jean.
Les trois princes finissent par arriver chez le roi et
s'empressent d'aller lui montrer leurs trouvailles. La toile de
Félix est sans pareille ; celle d'Aubert, si cela est possible,
est encore plus fine et plus soyeuse. Les deux frères,
satisfaits d'eux-mêmes, disent à leur père en ricanant :
- Ti-Jean n'a pas l'air de rapporter de toile !
Et voilà Ti-Jean qui arrive en courant, sort la noix de sa poche
et dit à son père :
- Père, prenez mon couteau. Fendez la noix sur le coin de la
table. Fendez, fendez et refendez.
Ses frères se mettent à rire.
- Pauvre Ti-Jean, disent-ils, une sale noix en guise de toile !
Le roi fend la noix. Dans la noix, il y a une autre noix ; il
fend la deuxième, en trouve une troisième encore plus petite.
Fend, fend et refend. Et surgit de celle-là, brusquement, trente
aunes de la toile la plus fine qui se soit jamais tissée, une
toile couleur de lune. Toute la cour est émerveillée. On n'a
jamais vu toile si belle. C'est donc Ti-Jean qui a gagné
l'épreuve au grand dépit des deux frères.
Le roi dit :
- J'ai trois paroles ; il en reste encore deux. Celui qui me
rapportera le plus beau cheval sous le soleil aura ma couronne.
Félix et Aubert partent en entendant ces mots, si vite que
Ti-Jean a peine à les suivre. Rendus à la fourche des chemins,
Félix dit :
- Moi, je choisis le même chemin, c'est le meilleur.
Aubert n'a pas non plus l'idée de changer sa route et Ti-Jean,
eh bien, il ne lui reste que le troisième. Avant de se quitter,
les trois frères disent :
- Au décroît de la lune, nous nous retrouverons tous les trois
ici.
Et les voilà partis. Ti-Jean marche, marche, marche et prend le
sentier de la forêt. Il s'arrête à la petite maisonnette
recouverte de chaume et observe encore la chatte blanche
transportant de l'eau dans une petite charrette attelée à
quatre crapauds. « Miaou, miaou », fait la chatte avant de
plonger dans la cuve et d'en ressortir changée en princesse plus
belle encore que la première fois.
- Que cherches-tu, Ti-Jean ? demande-t-elle.
- Un cheval pour mon père le roi qui a donné sa deuxième
parole.
- Demain matin, lui confie la princesse rends-toi à mon écurie
et prends le plus galeux de mes crapauds. Une fois rendu chez ton
père tu renfermeras le crapaud et le lendemain, il sera le plus
beau cheval de la terre.
Ti-Jean suit les directives de la princesse. Aux trois chemins,
il rencontre ses frères. Ah ! qu'ils ont de beaux chevaux ! En
voyant Ti-Jean à cheval sur un crapaud galeux, ils s'écrient :
- Ne te montre pas ainsi au roi notre père ! C'est rire de lui !
Ti-Jean refuse d'écouter leurs quolibets. Lorsqu'ils arrivent,
ils rangent leurs montures à l'écurie et Ti-Jean passe
l'étrille sur son crapaud et l'enferme dans un réduit.
Le lendemain, Félix et Aubert se lèvent avant l'aube pour aller
montrer leurs beaux chevaux à leur père.
- Et Ti-Jean, demande le roi ?
- Ah ! lui, répond Aubert, il a rapporté un crapaud !
- Un crapaud !
Pendant ce temps, Ti-Jean court à l'écurie ouvrir le petit
réduit et il s'amène en compagnie du plus beau cheval de la
terre, le crin d'argent et ferré de sabots d'or.
- Ah ! s'écrie le roi, c'est loin d'être un crapaud ! C'est
encore toi, Ti-Jean, qui as gagné.
Les frères ne ricanent plus ; ils sont plutôt furieux. Mais le
roi déclare :
- Il me reste une parole. Celui de vous trois qui ramènera la
plus belle femme au monde aura ma couronne. Cette fois, c'est ma
dernière parole !
Félix, Aubert et Ti-Jean partirent, les uns sur leurs chevaux,
Ti-Jean sur son crapaud. Ils suivent les mêmes chemins et ils
marchent, marchent, marchent. Ti-Jean arrive à la petite
maisonnette et rencontre à nouveau la chatte blanche qui plonge
dans la cuve en faisant miaou, miaou. Elle ressort princesse,
belle comme la lune, rayonnante comme le soleil. Ti-Jean en tombe
à la renverse ébloui par sa beauté.
- Te voilà pour la troisième fois, dit-elle. Que cherches-tu,
cette fois, Ti-Jean ?
- Cette fois, il me faut ramener à mon père la plus belle femme
du monde.
- Te voilà bien mal pris, dit la princesse.
- Pas tant que ça, fait Ti-Jean ; je n'en connais pas d'aussi
belle que vous ni n'en veux jamais connaître.
- Eh bien, Ti-Jean, tu dois savoir qu'une méchante fée m'a
métamorphosée en chatte le jour et je ne redeviendrai princesse
que lorsque le fils d'un roi m'épousera. Je m'attends bien à
mourir d'ennui ici avec ma cuve et mes crapauds.
- Patience ! dit Ti-Jean. Je suis prince, fils de roi. Je peux
donc te délivrer.
- Je ne peux t'en empêcher.
- Alors, partons, s'écrie Ti-Jean.
- Attends ! Demain matin, je serai encore chatte blanche. Tu
attelleras mes quatre crapauds à mon chariot et nous partirons
ensemble.
Le lendemain, Ti-Jean fait comme prévu. La chatte blanche est
assise à ses côtés. Elle grimpe sur ses genoux, sur ses
épaules en miaulant : miaou, miaou. À la fourche des chemins,
Félix et Aubert sont là qui attendent Ti-Jean. À leurs côtés
il y a deux belles filles, grasses, joufflues et rougeaudes.
Apercevant Ti-Jean avec sa chatte ils s'esclaffent et disent :
- Cette fois, c'est le bout ! Il confond une femme avec une
chatte !
- Au moins, ne nous suis pas de près avec ta ménagerie, lance
Félix.
Ti-Jean continue sa route, fouettant ses crapauds tandis que la
chatte le frôle en miaulant. Miaou, miaou.
Le lendemain, le roi trouve que les deux filles rapportées par
Félix et Aubert sont bien jolies.
- Et Ti-Jean ? demande le roi.
- Ah ! lui, il ramène une chatte. Une chatte blanche qui miaule
!
- Une chatte ! s'écrie le roi. Il me faut la voir.
Ti-Jean a dormi trop longtemps. Vite, il attelle ses quatre
crapauds qui se changent en chevaux sans pareils. Dans un
carrosse étincelant, il emmène la princesse Merveille, belle
comme le jour, radieuse comme le soleil. Le roi, ébloui, en perd
la parole.
Enfin, revenu de sa surprise, il dit :
- Ti-Jean, c'est à toi que revient mon royaume !
Enlevant sa couronne de sur sa tête, le roi la pose sur la tête
de Ti-Jean.
On fit des noces magnifiques. J'y suis allée et j'ai bu beaucoup
de vin. J'ai dormi dans le fossé toute la journée. Mais, au
moins, j'ai pu venir jusqu'à vous, ce soir, pour vous raconter
cette histoire.
Cette belle histoire nous vient des Micmacs. Premiers aborigènes rencontrés au Canada par Jacques Cartier en 1534, les Micmacs appartiennent à la grande famille olgonquine. Ils ont été les alliés des français. Leurs mythes sont très riches, comme celui-ci qui raconte la naissance du soleil.
Un vieil Indien vivait avec sa
femme un peu à l'écart du village de sa tribu. Un jour, allant
cueillir des baies sauvages, la femme trouva un enfant qu'elle
ramena dans sa loge. Il grandit et chassa pour ses parents
adoptifs qui le nommèrent Petit Fils.
Après deux fois dix printemps, Petit Fils décida qu'il voulait
prendre femme. Il se construisit un wigwam solide, fit provision
de viande de gibier, puis il partit à la recherche d'une
épouse. Il arpenta tous les sentiers de la forêt, grimpa
plusieurs montagnes, scruta les rochers du bord de la mer mais il
ne trouva pas la femme qu'il désirait. Alors, il coupa un
tilleul et se tailla une femme avec le bois doux et blanc. Il
s'appliqua particulièrement à lui faire un beau visage rond. Il
fut bien surpris quand la femme en bois lui dit :
- Porte-moi dans ton wigwam, couche-moi sur le lit de sapinage et
recouvre-moi d'une peau d'ours. Je t'épouserai dans trois jours.
Mais d'ici là ne me regarde pas, sinon tu ne me reverras plus
jamais.
Petit Fils obéit à la femme en bois et pour ne pas être tenté
de la regarder, il s'enfuit dans la forêt. Le lendemain il
revint en se répétant : « Il ne faut pas que je la regarde
sinon je ne la reverrai plus jamais. »
Malgré sa détermination, ses pieds l'entraînèrent vers une
ouverture entre deux morceaux d'écorce de bouleau dans le mur du
wigwam. Il ordonna à ses pieds de cesser leur manège mais ils
n'écoutèrent pas et le conduisirent si près de l'ouverture
qu'il ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil à l'intérieur.
Il vit une fille au visage rond et blanc qui était assise et qui
cousait des mocassins. Elle était si belle et il eut si peur de
la perdre qu'il courut sans bruit se cacher dans la forêt.
Le troisième jour, il revint au wigwam. Près de la source il
vit des empreintes de pas qui s'en éloignaient.
- Ma femme est partie ! s'écria-t-il plein de chagrin.
Il courut au wigwam et le trouva vide. Alors, il prit son arc et,
dans son carquois, une flèche en bois de cornouiller rouge. Il
tira la flèche du côté où se couche la lune et il se mit
aussitôt à courir dans la même direction. Il filait si vite
qu'il arriva avant qu'elle touche terre. Puis, il tira de nouveau
sa flèche rouge et fit ainsi, pendant toute la journée,
beaucoup de chemin.
À la tombée de la nuit, il aperçut une maison. À
l'intérieur, une vieille femme faisait bouillir du maïs.
- Grand-mère, demanda-t-il, avez-vous vu passer ma femme ?
- Oui, mon fils, hier, à midi, dit la vieille. Mais il est trop
tard pour suivre sa piste. Mange et repose-toi.
Le lendemain, quand le jeune homme remit ses mocassins pour
reprendre sa route, la vieille lui donna un os de lynx en disant
:
- Garde-le, il pourra te servir où tu vas.
Toute la journée, Petit Fils courut derrière sa flèche rouge
en suivant les traces de sa femme. Après avoir franchi autant de
distance que la veille, il arriva à une autre maison où une
vieille femme faisait cuire du maïs.
- Grand-mère, demanda-t-il, avez-vous vu passer ma femme ?
- Oui, mon fils, hier, à midi. Mais il est trop tard pour la
suivre. Mange et repose-toi. Tu repartiras demain.
Le lendemain, au moment d'enfiler ses mocassins, la vieille donna
au jeune homme un os de lynx semblable à celui qu'il avait
déjà reçu. Et il reprit sa course derrière la flèche rouge
jusqu'à la nuit. Il croisa alors une troisième maison abritant
une vieille qui faisait cuire du maïs.
- Grand-mère, avez-vous vu passer ma femme ? demanda-t-il.
- Oui, mon fils, hier à midi. Mais il est trop tard pour
continuer de la suivre. Mange et repose-toi car ta route est
longue et cette maison est la dernière que tu rencontreras avant
d'atteindre l'arbre carré dont la tête se perd dans le Monde
d'en Haut. C'est par là que ta femme est montée. Il y a des
marches creusées dans l'arbre mais elles sont invisibles. À toi
de trouver la façon de faire.
Le lendemain, au moment du départ, la vieille femme donna à
Petit Fils une queue d'écureuil. Il arriva bientôt au pied de
l'arbre carré. Il en fit le tour afin de s'assurer que les
traces de pas de sa femme s'y arrêtaient. Puis il s'assit pour
fumer et réfléchir. Il se rappela les os de lynx que les deux
vieilles lui avaient donnés. Il en prit un dans chaque main et,
en les enfonçant dans l'écorce à tour de rôle, il réussit à
grimper. Il grimpa très longtemps si bien que les os de lynx
s'usèrent. Mais il était maintenant rendu si haut qu'il ne
voyait ni le Monde d'en Bas ni le Monde d'en Haut. Ne sachant
quoi faire, il fit appel à son génie protecteur et lui demanda
conseil.
- Ferme les yeux, lui souffla celui-ci dans une bourrasque de
vent, et monte les marches que tu ne vois pas.
Confiant, Petit Fils reprit son ascension les yeux bien fermés
ce qui dura le temps de fumer dix pipes. Puis, désobéissant à
son génie protecteur, il ouvrit les yeux pour voir où il
était. Patatras ! Il dégringola à l'endroit où les os de lynx
s'étaient usés car c'était sa punition. Il était bien
découragé. Il pensa à se laisser tomber en bas de l'arbre
carré mais la pensée de sa femme au visage rond et blanc comme
la neige lui redonna courage. Il songea tout à coup à la queue
d'écureuil que lui avait donnée la dernière vieille. Il la
prit dans sa main et, soudain, il se mit à grimper aussi vite
que le petit animal auquel elle appartenait.
Finalement, il arriva à l'endroit où l'arbre carré dépassait
le Monde d'en Haut sans en toucher le bord. Un grand vide le
séparait. Qu'allait-il faire ? Comme un écureuil, Petit Fils
sauta au-dessus du vide et se retrouva sur un petit monticule de
terre ferme face à un ours blanc qui lui demanda :
- Que viens-tu faire ici dans ce monde qui n'est pas le tien ?
- Je viens chercher ma femme au visage rond et blanc comme la
neige.
- Elle t'a prévenu que si tu la regardais une fois tu ne la
reverrais plus jamais.
- Je veux la chercher malgré cela.
- À ta guise, répondit l'ours. Mais pour demeurer ici tu dois
subir une épreuve. Il faut faire faire le tour du monde à cette
boule de feu que voici.
- En courant ?
- Oui. Mais un de mes frères courra avec toi. S'il arrive le
premier avec la boule, il te mangera.
- Et si c'est moi ?
- Mon frère court très vite, se contenta de dire l'ours blanc.
Déjà l'autre ours avait saisi la boule brûlante dans sa
gueule. Le jeune homme n'essaya pas de la lui ôter. Il serra
plus fort dans sa main sa queue d'écureuil et bondit sur le dos
de son rival et se laissa emporter par lui.
Ils firent ainsi le tour du Monde d'en Haut sans que l'ours
s'aperçût qu'il avait un cavalier. Mais lorsqu'ils
approchèrent du but, le jeune homme mordit l'oreille de l'ours.
Celui-ci, surpris, arrêta sa course et lâcha la boule dont
s'empara aussitôt le jeune homme pour finir le premier.
- Bien joué ! s'exclama l'ours blanc qui l'avait accueilli.
Puisque tu es si malin, désormais, c'est toi qui promèneras le
soleil autour du monde.
Et c'est ainsi que Petit Fils devint le porteur du soleil.
Mais si l'histoire s'arrête là, peut-on penser qu'il ne cessa
de chercher sa jolie femme au visage rond et blanc comme la neige
? Ou peut-être qu'il finit par la trouver dans le Monde d'en
Haut puisqu'elle était devenue la Lune.