La Chasse-Galerie. Pois-Verts.

La Chasse-Galerie.

 

Dès qu'ils savaient tenir une hache, les hommes vaillants du Québec partaient aux chantiers après les récoltes où ils abattaient des arbres jusqu'à la fonte des neiges.
Dans des cabanes rudimentaires, les bûcherons trimaient dur et s'ennuyaient terriblement de leurs femmes et de leurs « blondes ». Cette histoire est la plus célèbre du Québec et compte de nombreuses versions.

Dans le chantier en haut de la Gatineau, on était la veille du jour de l'an. La saison avait été dure et la neige atteignait déjà la hauteur du toit de la cabane.
J'avais terminé de bonne heure les préparatifs du repas du lendemain et je prenais un petit coup avec les gars, car pour fêter l'arrivée du nouvel an, le contremaître nous a vait offert un petit tonneau de rhum. J'en avais bien lampé une douzaine de petits gobelets et, je l'avoue franchement, la tête me tournait. En attendant de fêter la fin de l'année avec les autres, je décidai de faire un petit somme.
Je dormais donc depuis un moment lorsque je me sentis secoué assez rudement par le chef des piqueurs, Baptiste Durand, qui me dit :
- Jos ! Les camarades sont partis voir les gars du chantier voisin. Moi, je m'en vais à Lavaltrie voir ma «blonde». Veux-tu venir avec moi ?
- À Lavaltrie ? Es-tu fou ? Lavaltrie, c'est à plus de cent lieues. Ça nous prendrait plus d'un mois pour faire le chemin à pied ou en traîneau à cheval.
- Il ne s'agit pas de cela, répondit Baptiste. Nous ferons le voyage en canot dans les airs. Et demain matin, nous serons de retour au chantier.
Je venais de comprendre. Mon homme me proposait de courir la chasse-galerie et de risquer mon salut éternel pour le plaisir d'aller embrasser ma blonde au village. Ah ! ma belle Lise, je la voyais en rêve avec ses beaux cheveux noirs et ses lèvres rouges ! Il est bien vrai que j'étais un peu ivrogne et débauché à cette époque, mais risquer de vendre mon âme au diable, ça me surpassait. Mais Baptiste Durand s'impatientait :
- Il nous faut un nombre pair. On est déjà sept à partir et tu seras le huitième. Fais ça vite : il n'y a pas une minute à perdre ! Les avirons sont prêts et les hommes attendent dehors.
Je me laissai entraîner hors de la cabane où je vis en effet six de nos hommes qui nous attendaient, l'aviron à la main. Le grand canot d'écorce était sur la neige dans une clairière. Avant d'avoir eu le temps de réfléchir, j'étais assis devant, l'aviron pendant sur le plat-bord, attendant le signal du départ.
D'une voix vibrante, Baptiste lança :
- Répétez après moi !
Et tous les sept, nous répétâmes :
- Satan, roi des enfers, nous te promettons de te livrer nos âmes, si d'ici à six heures nous prononçons le nom de ton maître et du nôtre, le bon Dieu, et nous touchons une croix dans le voyage. À cette condition tu nous transporteras à travers les airs, au lieu où nous voulons aller et tu nous ramèneras de même au chantier !

Acabri ! Acabras ! Acabram !
Fais-nous voyager par-dessus les montagnes !

À peine avions-nous prononcé les dernières paroles que le canot s'éleva dans les airs. Le froid de là-haut givrait nos moustaches et nous colorait le nez en rouge. La lune était pleine et elle illuminait le ciel. On commença à voir la forêt représentée comme des bouquets de grands pins noirs. Puis, on vit une éclaircie : C'était la Gatineau dont la surface glacée et polie étincelait au-dessous de nous comme un immense miroir.
Puis, petit à petit, on commença à distinguer les lumières dans les maisons, des clochers d'églises qui reluisaient comme des baïonnettes de soldats.
Et nous filions toujours comme tous les diables, passant par-dessus les villages, les forêts, les rivières et laissant derrière nous comme une traînée d'étincelles. C'est Baptiste qui gouvernait car il connaissait la route puisqu'il avait fait un tel voyage déjà. Bientôt la rivière des Outaouais nous servit de guide pour descendre jusqu'au lac des Deux-Montagnes.
- Attendez un peu, cria Baptiste. Nous allons raser Montréal et effrayer les sorteux qui sont encore dehors à cette heure-ci. Toi, Jos, en avant, éclaircis-toi le gosier et chante-nous une chanson !
On apercevait en effet les mille lumières de la grande ville et Baptiste d'un coup d'aviron nous fit descendre à peu près à la hauteur des tours de l'église Notre-Dame. J'entonnai à tue-tête une chanson de circonstance que tous les canotiers répétèrent en choeur :

Mon père n'avait fille que moi
Canot d'écorce qui va voler
Et dessus la mer il m'envoie
Canot d'écorce qui vole, qui vole
Canot d'écorce qui va voler !

Les gens sur la place nous regardaient passer et nous continuions de filer dans les airs. Bientôt nous fûmes en vue des deux grands clochers de Lavaltrie qui dominaient le vert sommet des grands pins.
- Attention ! cria Baptiste. Nous allons atterrir dans le champ de mon parrain Jean-Jean Gabriel et nous irons ensuite à pied pour aller surprendre nos connaissances dans quelque fricot ou quelque danse du voisinage.
Cinq minutes plus tard, le canot reposait dans la neige à l'entrée du bois et nous partîmes tous les huit à la file pour nous rendre au village. Ce n'était pas une mince besogne car il n'y avait pas de chemin battu et nous avions de la neige jusqu'au califourchon. Baptiste alla frapper à la porte de la maison de son parrain. Il n'y trouva qu'une fille engagée qui lui dit que les gars et les filles de la paroisse étaient chez Batisette Augé, à la Petite-Misère, de l'autre côté du fleuve, là où il y avait un rigodon du jour de l'an.
- Allons au rigodon chez Batisette, dit Baptiste, on est sûr d'y rencontrer nos blondes.
Et nous retournâmes au canot, tout en nous mettant mutuellement en garde sur le danger qu'il y avait de prononcer certaines paroles et de prendre un coup de trop car il fallait reprendre la route du chantier et nous devions y arriver avant six heures du matin sinon nous étions flambés comme des carcajous et le diable nous emportait au fond des enfers !

Acabris ! Acabras ! Acabram !
Fais-nous voyager par-dessus les montagnes !

cria de nouveau Baptiste. Et nous voilà repartis pour la Petite-Misère, en naviguant en l'air comme des renégats que nous étions tous.
En deux tours d'aviron, nous avions traversé le fleuve et nous étions chez Batisette Augé dont la maison était tout illuminée. On entendait les sons du violon et les éclats de rire des danseurs dont on voyait les ombres se trémousser à travers les vitres couvertes de givre. On cacha le canot et on courut vers la maison. Baptiste nous arrêta pour dire :
- Les amis, attention à vos paroles. Dansons mais... pas un verre de jamaïque ou de bière, vous m'entendez ? Et au premier signe, suivez-moi tous car il faudra repartir sans attirer l'attention.
Suite à nos coups sur la porte, le père Batisette lui-même vint ouvrir. On nous reçut à bras ouverts et nous fûmes assaillis de questions.
- D'où venez-vous ?
- N'êtes-vous pas dans les chantiers ?
Mais Baptiste Durand coupa court à ces discours en disant :
- Laissez-nous nous décapoter et puis, ensuite laissez-nous danser. Nous sommes venus exprès pour ça. Demain matin, nous répondrons à toutes vos questions.
Moi, je n'avais eu besoin que d'un coup d'oeil pour trouver ma Lise parmi les autres filles du canton. Elle se faisait courtiser par un nommé Boisjoli de Lanoraie mais je vis bien qu'elle m'avait vu. Elle m'accorda la prochaine danse avec le sourire, ce qui me fit oublier que j'avais risqué le salut de mon âme juste pour avoir le plaisir de me trémousser à ses côtés. Pendant deux heures de temps, une danse n'attendait pas l'autre et ce n'est pas pour me vanter si je vous dis qu'il n'y avait pas mon pareil à dix lieues à la ronde pour la gigue simple.
Mes camarades, de leur côté, s'amusaient comme des lurons. Du coin de l'oeil j'avais aperçu Baptiste s'envoyer des gobelets de whisky blanc dans le gosier mais je n'y avais pas prêté attention tant j'étais heureux de danser. Puis, quatre heures sonnèrent à la pendule. Il fallait partir.
Les uns après les autres, il fallut sortir de la maison sans attirer les regards ce qui se réalisa sans trop de mal. Mais rendus dehors, on s'aperçut que Baptiste Durand avait pris un coup de trop et qu'il était si soûl qu'il avait du mal à se tenir debout. On n'était pas rassurés car c'était lui qui gouvernait.
La lune était disparue et le ciel n'était pas aussi clair qu'auparavant. Ce n'est pas sans crainte que je pris ma place à l'avant du canot, bien décidé à avoir l'oeil sur la route que nous allions suivre. On lança la formule.

Acabris ! Acabras ! Acabram !
Fais-nous voyager par-dessus les montagnes !

Et nous revoilà partis à toute vitesse. Mais il devint évident que notre pilote n'avait plus la main aussi sùre, le canot décrivait des zigzags inquiétants. On frôla quelques clochers et enfin, l'un de nous cria à Baptiste :
- À droite ! Baptiste ! À droite, mon vieux ! tu vas nous envoyer chez le diable si tu ne gouvernes pas mieux que ça !
Et Baptiste fit tourner le canot vers la droite en mettant le cap sur Montréal que nous apercevions déjà dans le lointain. Le voyage fut très mouvementé à cause de Baptiste qui lançait des jurons et qui s'endormait mais on finit par apercevoir le long serpent blanc de la Gatineau. Il fallait piquer au nord vers le chantier.
Nous n'en étions plus qu'à quelques lieues, quand voilà-t-il pas que cet animal de Baptiste se leva tout droit dans le canot en lâchant un juron qui me fit frémir jusqu'à la racine des cheveux. Impossible de le maîtriser dans le canot sans courir le risque de tomber d'une hauteur de quatre-vingts mètres au moins. Il se mit à gesticuler en nous menaçant de son aviron et tout à coup, le canot heurta la tête d'un gros pin et nous voilà tous précipités en bas, dégringolant de branche en branche comme les perdrix que l'on trouve juchées dans les épinettes.
Je ne sais pas combien de temps je mis à descendre car je perdis connaissance avant d'arriver et mon dernier souvenir était celui d'un homme qui rêve qu'il tombe dans un puits sans fond.
Vers les huit heures du matin, je m'éveillai dans mon lit dans la cabane où m'avaient transporté des bûcherons qui nous avaient trouvés dans la neige. Personne n'était blessé mais on avait tous des écorchures sur les mains et la figure. Enfin, le principal c'est que le diable ne nous avait pas tous emportés et que nous étions sains et saufs.
Tout ce que je puis vous dire, mes amis, c'est que ce n'est pas si drôle qu'on le pense d'aller voir sa blonde en canot d'écorce, en plein coeur d'hiver, en courant la chasse-galerie. Surtout si vous avez un maudit ivrogne qui se mêle de gouverner. Si vous m'en croyez, vous attendrez à l'été prochain pour aller embrasser vos p'tits coeurs, sans courir le risque de voyager aux dépens du diable.
Surtout que, sachez-le, la Lise, eh ! bien... elle a fini par épouser le Boisjoli de Lanoraie, la bougresse !


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Pois-Verts.

 

Pois-Verts c'est celui qui se moque de la cupidité de son maître en lui vendant comme charmes des objets inutiles et en le faisant mettre dans un sac et jeter à la mer. On voit ici le triomphe de l'ingéniosité. Le maître que Pois-Verts a roulé n'est pas le médecin ni le roi, mais le curé. Le curé était un personnage très important de la vie des gens d'autrefois, et les conteurs adaptaient souvent des récits merveilleux en y introduisant des personnages de la vie courante.

Il était une fois un homme appelé Pois-Verts. Il était à la fois le serviteur et l'homme de confiance du curé. Un jour, il se mit à jouer des tours à son maître. Le curé s'en accommoda pendant quelques années mais, à la fin, excédé, il dit à son engagé :
- Pois-Verts, ramasse tes guenilles et va-t'en ! Je n'ai plus besoin de toi.
- Je ne demande pas mieux que de m'en aller, répond Pois-Verts, j'en ai assez de vous servir.
Et sur ce, il s'en va et s'achète une petite propriété, près de celle de son ancien maître.
Pois-Verts était très intelligent. Un bon matin, il s'invente un plan. Il prend deux gros morceaux de fer qu'il fait bien rougir au feu. Puis, il dépose son chaudron près de lui et se fabrique un petit fouet ; ensuite, il envoie chercher le curé, son voisin.
Quand le curé est sur le point d'arriver, Pois-Verts prend les morceaux de fer rouge et les jette dans sa soupe. Il met son chaudron entre ses jambes et, avec son petit fouet, il claque sur le chaudron disant :
- Bouille, ma soupe !
Le curé entre, aperçoit son ancien serviteur fouettant son chaudron et la soupe bouillant.
- Pois-Verts, quel secret as-tu pour ainsi faire chauffer ton repas ?
- Ce secret est dans mon fouet, répond Pois-Verts qui fouette tranquillement son chaudron, tout en parlant, tandis que la soupe bout de plus belle.
Le curé, enchanté de voir bouillir la soupe et d'apprendre le secret du fouet dit :
- À moi qui ai des servantes pas trop vives, ce fouet serait bien utile. Toi qui es tout seul, Pois-Verts, tu n'en as pas besoin.
- On a toujours besoin d'un bon article, monsieur le curé. Mais pour vous rendre service je suis prêt à vous le vendre. Mon fouet vaut cent piastres.
- Il n'est pas cher, reprend le curé, voilà cent piastres. Donne-moi le fouet.
Pois-Verts prend l'argent et remet le fouet.
Une fois l'entente conclue, le curé ne tient pas un long discours, mais il s'en retourne au presbytère et dit à ses servantes :
- Je n'ai plus besoin que d'une servante. Les deux autres, je les mets à la porte.
Les servantes deviennent pensives. À celle qu'il garde, le curé dit :
- Va chercher la théière, mets-y le thé dans de l'eau froide.
« Qu'est-ce que le curé a envie de faire ? » se demande la servante en obéissant à son maître.
- La théière est-elle prête ? demande le curé.
- Oui, monsieur le curé, tout est bien prêt.
Monsieur le curé va chercher le fouet ; il prend la théière, la met sur la table et commence à la fouetter en disant:
- Bouille, théière !
Rien ne bout.
Le curé claque le fouet à nouveau. Rien ! Découragé, il dit :
- Je ne m'y prends pas bien. Pois-Verts était assis à terre, le chaudron entre ses jambes. Je vais faire comme lui.
Il s'assoit à terre, il met la théière entre ses jambes et la fouette de son mieux. Après avoir fouetté tranquillement, il se met à la fouetter à grands coups. Il n'est pas plus avancé. La servante demande :
- Monsieur le curé, où avez-vous eu ce fouet-là ?
- Je viens de l'acheter à Pois-Verts.
- C'est encore un tour qu'il vous a joué, comme au temps où il restait ici.
Furieux, le curé jette le fouet au feu en disant :
- Demain, Pois-Verts aura de mes nouvelles !
Le lendemain, Pois-Verts fait venir sa vieille mère, lui demandant de passer la journée chez lui. Ayant rempli une vessie de sang il l'accroche au cou de sa mère et commence à se promener dans sa maison, en regardant d'une fenêtre à l'autre. Il s'attendait à voir bientôt le curé arriver en fureur. Tout à coup, il l'aperçoit approcher de la maison. Faisant un grand vacarme, Pois-Verts se met à renverser la table et les chaises et à tout casser. Comme le curé entre, il saisit sa vieille mère et lève son canif en criant :
- Vieille garce ! il y a assez longtemps que le monde vous connaît. C'est fini !
Pour le calmer, le curé dit :
- Pois-Verts, que fais-tu ? Que fais-tu ?
- C'est mon affaire, fait Pois-Verts, je ne veux pas voir de curieux chez moi.
Et de son couteau il perce la vessie pleine de sang qui pend au cou de sa mère. Le sang coule et la vieille tombe comme mourante. Ceci dégoûte le curé qui commence à lancer des injures à Pois-Verts et à le menacer.
- Cette fois ton temps est arrivé ! je vais te mettre entre les mains de la justice et ta tête tombera sur l'échafaud !
- Je viens de vous dire que je ne veux pas voir de curieux chez moi, répond Pois-Verts en prenant son sifflet. Ma mère est morte, mais elle va revenir à la vie !
Et le voilà qui se met à siffler avec son instrument :
- Tourlututu ! Reviendras-tu ?
La vieille commence à bouger.
- Tourlututu, reviendras-tu ? répète-t-il.
Et Pois-Verts ajoute :
- La troisième fois, je ne manque jamais mon coup. Tourlututu, reviendras-tu ? ou ne reviendras-tu pas ?
Il n'a pas sitôt prononcé « Tourlututu » que la vieille est debout.
Étonné de voir ce sifflet si merveilleux, le curé demande :
- Pois-Verts, où as-tu pris ce sifflet ?
- Une vieille magicienne me l'a donné, avec ce sifflet, je peux faire tout ce que je veux, répond Pois-Verts.
- Ah ! voilà ce qu'il me faut pour mes paroissiens.
- Un bon article fait l'affaire de tout le monde.
- Veux-tu me le vendre ? demande le curé. Combien veux-tu pour ton sifflet, Pois-Verts ?
- Pour vous rendre service, je vais vous le vendre, monsieur le curé.
- Combien veux-tu ?
- Deux cents piastres, monsieur le curé.
- Il n'est pas cher, Pois-Verts, je le prends et je vais commencer par ma servante.
- Sachez bien vous en servir, monsieur le curé. Vous avez vu comment je m'y suis pris pour ma vieille mère.
- Sois sans crainte, dit le curé.
Le curé part et arrive au presbytère pas trop de bonne humeur. Il commence à brasser la table, le pupitre, la vaisselle.
- Monsieur le curé ! dit la servante, vous n'êtes pas à votre place dans mon armoire.
- Comment ça, je ne suis pas à ma place ? Ah ! je vais t'en faire une place !
Il prend le couteau à pain et tranche le cou de la servante. La servante est morte et le curé est fier d'essayer son sifflet. Il fait la même chose que Pois-Verts. Il siffle :
- Tourlututu ! reviendras-tu ?
La servante ne bouge pas.
- Tourlututu, reviendras-tu ? siffle-t-il à nouveau.
Rien.
« C'est curieux, pense le curé, la première fois que Pois-Verts a sifflé la vieille avait bougé ; et la deuxième fois elle s'était presque levée. Ici, c'est la deuxième fois et elle ne bouge pas. Pourtant j'ai fait comme Pois-Verts. »
Il essaie encore.
- Tourlututu ! reviendras-tu ? Ou ne reviendras-tu pas ?
Mais la servante est morte et le reste. Le curé devient pensif. « Depuis longtemps, Pois-Verts me joue des tours. Cette fois-ci, c'est le dernier ! Je vais faire prononcer un jugement contre lui en justice et le faire disparaître. »
Le curé dénonce alors Pois-Verts et Pois-Verts est condamné à être mis dans un sac et jeté à la mer. Pois-Verts est satisfait. Le soir, les deux serviteurs du curé viennent le chercher, le mettent dans un sac et partent pour la mer.
- Non ! je ne veux pas y aller ! Non, je ne veux pas y aller ! crie Pois-Verts tout le long du chemin.
Passant devant une auberge, les serviteurs entrent boire un verre et laissent le sac dehors sur le perron.
- Je ne veux pas y aller ! Je ne veux pas y aller ! crie toujours Pois-Verts, pour se désennuyer.
Pendant que les serviteurs boivent, un pauvre passe et, curieux, écoute Pois-Verts crier dans le sac : « Je ne veux pas y aller ! »
Approchant du sac, le pauvre homme y touche et demande :
- Où ne veux-tu pas aller ?
- On m'emmène coucher avec la princesse ; mais jamais ils ne m'y feront consentir, dit Pois-Verts.
- Veux-tu me donner ta place ? demande le pauvre homme.
Pois-Verts accepte avec plaisir.
- Détache le sac et prends ma place.
Pois-Verts sort et le pauvre s'y fourre. À peine Pois-Verts est-il en fuite que les serviteurs arrivent, saisissent le sac et pendant qu'ils marchent le pauvre homme crie comme faisait Pois-Verts :
- Je ne veux pas y aller ! Je ne veux pas y aller !
- Veux, veux pas, répondent les serviteurs, c'est au large que tu vas aller.
Et tenant le sac à chaque bout, ils comptent un, deux, trois et vlan ! ils lâchent le sac qui tombe au large.
Le lendemain, le curé demande à ses serviteurs :
- L'avez-vous jeté au large ?
- Soyez tranquille monsieur le curé, répondent-ils, Pois-Verts a joué assez de tours ; il ne reviendra jamais.
« Enfin, je serai bien débarrassé ! » pense le curé en se promenant comme d'habitude sur le large perron de sa maison.
Plus tard, après le repas, il voit venir un troupeau de bêtes à cornes. Plus le troupeau approche, plus il voit que celui qui le mène ressemble à Pois-Verts. Appelant l'un de ses serviteurs le curé dit :
- Voilà un beau troupeau de bêtes à cornes. Mais regarde donc en arrière, ça ressemble à Pois-Verts.
- Ça ne se peut pas, répond l'autre, hier au soir nous l'avons jeté à l'eau.
- Regarde comme il faut, serviteur ; ça m'a l'air de Pois-Verts !
De fait, Pois-Verts, le bâton à la main, menait le troupeau et de temps en temps criait :
- Ourche, mourche !
Le curé se hissa sur le bout des pieds pour mieux voir et s'écria :
- C'est Pois-Verts !
- Bonsoir, monsieur le curé, bonsoir ! dit Pois-Verts en passant devant le presbytère.
- Comment, Pois-Verts, mais c'est bien toi ?
- Oui, monsieur le curé, c'est bien moi.
- Mais d'où viens-tu avec toutes ces bêtes à cornes ?
- Ah ! monsieur le curé, ne m'en parlez pas ! Si vos serviteurs m'avaient seulement jeté dix pieds plus loin, je vous ramenais les deux plus beaux chevaux noirs qu'on n'ait jamais vus dans la province. Mais ils m'ont jeté au milieu de ce troupeau de bêtes à cornes que j'ai ramené avec moi.
Le curé tombe encore dans le panneau et croit Pois-Verts.
- Si j'y allais moi-même, Pois-Verts ? Toi, qui connais la distance exacte... ?
- Je vous garantis, monsieur le curé, que je ne manquerais pas mon coup ! Si un de vos serviteurs m'aide ce soir, je vous jetterai en plein milieu des beaux chevaux.
- Accepté !
Pois-Verts mène son troupeau sur sa ferme. Quand il revient le soir, il aide le curé à entrer dans le sac et s'en va avec un serviteur le porter au bord de la mer.
- Jetons monsieur le curé au large, dit Pois-Verts.
Et monsieur le curé s'en va rejoindre le pauvre homme au fond de la mer où il est resté.
Avec tous les tours qu'il avait joués, Pois-Verts devint un gros commerçant.


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