Le premier des Tamias rayés.

 

Le tamia rayé est un animal propre à l'Amérique du Nord. De la même famille que l'écureuil, il porte de magnifiques rayures de chaque côté du corps. Selon diverses tribus amérindiennes, ces rayures lui sont venues d'une bien curieuse façon.

Il y a très longtemps, au temps où le monde était encore jeune, un petit écureuil roux devint l'ami d'un jeune garçon.
À cette époque, les gens apprenaient à utiliser des arcs et des flèches et les animaux se méfiaient d'eux. Cette situation rendait Manitou, le Grand Esprit des forêts du nord, très triste. Mais il se réjouit en voyant l'écureuil et le jeune garçon ensemble.
Leur histoire débuta pendant un hiver particulièrement glacial, un hiver où le vent et le froid ne laissaient aucun répit.
L'écureuil avait épuisé ses provisions de graines et de noix qu'il avait enfouies dans le trou du vieux bouleau. Mais il avait beau fouiller partout, il ne trouvait plus rien à manger. Alors, il commença à souffrir de la faim.
Le jeune garçon, qui avait remarqué l'écureuil, lui lança un gland. L'écureuil prit peur et se sauva. Puis, voyant que le garçon ne semblait pas hostile, il s'approcha. Le garçon lui lança un autre gland. L'écureuil vint plus près.
Ils devinrent amis. Ils se promenaient et, ensemble, ils mangeaient des glands et des grains de maïs. Quand arriva le printemps, ils s'amusèrent encore.
Un jour d'été, le garçon ne sortit pas du wigwam. L'écureuil l'attendit longtemps puis il s'approcha de l'ouverture. Il vit le garçon couché sur sa couverture. L'écureuil le traita de paresseux et lui demanda de venir le rejoindre.
- Je ne peux pas venir ; je ne peux pas jouer aujourd'hui, répondit le jeune garçon.
L'écureuil ne comprenait pas les paroles du garçon mais il sentait qu'il se passait quelque chose de grave. Il était si inquiet qu'il fila vers les buissons et rapporta à son ami une belle framboise rouge et mûre. Le garçon tendit sa main pour la prendre mais son bras retomba, inerte. Il était malade. Son père et sa mère étaient malades aussi.
Pendant trois jours, l'écureuil apporta des baies à la famille mais ils ne guérissaient pas.
La maladie du garçon rendait l'écureuil triste. Il courut dans tous les wigwams du village demandant de l'aide mais la maladie s'était propagée dans toute la tribu.
« Il ne me reste qu'une seule chose à faire, pensa l'écureuil, et c'est de demander de l'aide aux animaux. » Il fit une prière au Manitou et s'élança à la recherche du porc-épic. Le porc-épic se tenait sur une branche de saule au bord de son étang préféré. Il tentait d'attraper une racine de nénuphar pour son repas.
- Porc-épic, lança l'écureuil. J'ai quelque chose à te demander.
Le porc-épic trop occupé à tenter d'attraper la racine n'avait pas envie d'être interrompu. Il ne répondit pas.
- Porc-épic ! répéta l'écureuil d'une voix forte. C'est moi, ton ami, Écureuil. Veux-tu réclamer un conseil des animaux ?
- Pourquoi ? demanda Porc-épic.
- Pour une raison majeure. Mais, tu sais, comme je suis petit, personne ne viendra si c'est moi qui convoque. C'est la première fois que je te demande une faveur.
Porc-épic resta muet tandis qu'il réfléchissait. Puis il dit :
- D'accord. Ce sera sur la colline au bord du lac au coucher du soleil. Va faire l'annonce à tous.
L'écureuil remercia le porc-épic et s'enfuit à toute allure à travers la forêt. Il trouva le castor en train de réparer son barrage dans le ruisseau.
- Assemblée ce soir, lança-t-il sans même s'arrêter. Sur la colline au coucher du soleil. Porc-Épic convoque. Venez tous.
- Trop d'assemblées rugit le castor. C'est à quel sujet ?
- Il faut venir, c'est important, renchérit l'écureuil.
- Bon, j'irai, grommela le castor. Trop de réunions.
La marmotte accepta d'assister à l'assemblée et le rat musqué proposa de venir en compagnie de la loutre. Le renard faisait la sieste. Il accepta de venir car le renard ne veut jamais rien manquer.
L'écureuil parcourut tout le bois en criant :
- Assemblée ce soir ! Assemblée ce soir !
Il évita le serpent et convoqua de loin la belette et la moufette, qui chassaient les sauterelles au bord d'une prairie.
Puis, l'écureuil fonça dans le sous-bois pour parler aux lapins ; il descendit dans les terriers des taupes. Il fila vers la chute où le raton-laveur pêchait. Il grimpa jusqu'en haut d'un mélèze qui couronnait une falaise pour atteindre l'orignal qui clapotait dans son marais. Il courut partout et trouva tout le monde sauf l'ours.
L'écureuil savait que l'ours avait mauvais caractère et il n'avait pas tellement envie d'aller à sa recherche. Quand le soleil se mit à décliner, l'écureuil rencontra Porc-épic au sommet de la colline et, ensemble, ils regardèrent les animaux s'acheminer vers le lieu de l'assemblée. Ils se bousculaient en riant et enfin, ils prirent place en formant un cercle.
Porc-épic s'avança au milieu du cercle et les animaux se turent. Mais avant que Porc-épic pût prononcer une seule parole, on entendit un grand branle-bas dans les pins au pied de la colline. L'ours fit son apparition. Les animaux, retenant leur souffle, le virent grimper la pente et prendre place au milieu d'eux.
Porc-épic regarda l'assemblée. Il regarda l'ours et dit :
- Cette réunion a été commandée par l'écureuil. Je lui laisse la parole.
Et il retourna à sa place dans le cercle.
L'écureuil se tint debout au centre du cercle. Il savait bien que les animaux détestaient les hommes et il savait aussi que cette réunion était sa seule responsabilité. L'ours allait-il se mettre en colère ?
Le souvenir du garçon malade lui revint en mémoire. D'une voix claire et franche, il dit :
- Les hommes sont malades, dit-il. Il faut les aider.
Au travers des cris de protestation, retentit le grognement furieux de l'ours.
- Que voulez-vous dire par « aider les hommes ? » fit-il.
Tremblant de peur, l'écureuil n'osait pas répondre. Puis il se ressaisit :
- L'hiver passé, je n'avais plus un seul grain à manger et un garçon m'a sauvé la vie. Il m'a donné des glands et des grains de maïs. Aujourd'hui, il est malade et il a besoin d'aide.
L'ours se leva et se rapprocha de l'écureuil. Les autres firent de même et le cercle se rétrécit.
- Comment oses-tu demander de l'aide pour ces chasseurs grogna l'ours.
- Ce garçon est mon ami, balbutia l'écureuil. Il peut mourir...
Il ne termina pas ses paroles car l'ours s'avança vers lui avec tous les animaux à sa suite. Il saisit l'écureuil dans ses énormes pattes et serra fort.
L'écureuil affolé mordit sa grosse patte.
L'ours, surpris, lâcha prise et l'écureuil s'enfuit à toute vitesse. L'ours réussit à enfoncer ses griffes dans son dos mais l'écureuil fila. Il courut plus vite que le vent à travers la forêt pour échapper à l'ours et à ceux qui couraient derrière.
L'ours le suivait mais il était maladroit et trébuchait souvent. L'écureuil se faufila sous un bosquet. Il resta caché de longues heures, fou de douleur et d'effroi. Puis, les animaux cessèrent de le chercher. Il pensa que la seule place où il serait en sécurité était le wigwam du petit malade. Il y courut et s'y blottit toute la nuit et le jour suivant.
Le soir, l'écureuil se glissa hors de l'habitation où reposaient les malades. Il croyait bien qu'ils allaient mourir, comme lui d'ailleurs, tant ses blessures au dos lui faisaient mal. Il s'assit dans une clairière sous la lune et entendit soudain la voix du Manitou :
- Tu as été fidèle en amitié, Écureuil. Parle aux hommes : ils vont t'écouter. Voici comment ils doivent se soigner. Dis-leur de faire bouillir ensemble de la gomme de sapin, d'épinette et de pruche avec des morceaux d'écorce d'orme. Chacun doit boire cette boisson. Et ils seront guéris.
Écureuil transmit cette directive à la mère du garçon. Elle se leva malgré son état et alla récolter les ingrédients nommés par Manitou. Elle fit bouillir sa marmite et prépara la boisson. Quand elle fut prête, Écureuil se mit en frais d'en apporter à tous les membres du village. Au bout d'une semaine, tous les hommes, les femmes et les enfants étaient sur pied.
Les blessures d'Écureuil cicatrisèrent lentement, laissant sur sa peau cinq traces noires. Écureuil en était très fier. Manitou se fit entendre encore une fois pour dire :
- Ces cinq rayures sont des marques de courage pour ceux de ta race. Dorénavant tes enfants, et les enfants de tes enfants porteront ces rayures. Tu n'es plus un écureuil maintenant. Tu es un tamia. Va en paix !
Et depuis ce jour, les hommes se rappellent comment, grâce à son courage, le premier tamia reçut ses rayures.


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La Dame blanche de Montmorency.

 

Ce récit est adapté d'une légende orale qui circule encore sur la côte de Beaupré. La bataille à laquelle on fait référence est celle de Montmorency, qui précéda de quelques mois celle dite des « Plaines d'Abraham » (1759) où les Anglais conquirent, après tant d'efforts, la Nouvelle-France.

Mathilde Robin courait sur le chemin. Dans les fermes de Beauport on la regardait passer en souriant : on savait bien qu'elle allait rejoindre Louis Tessier , un jeune et vaillant travailleur de la terre à qui elle était promise. À la fin de l'été, quand les récoltes seraient terminées, ils s'uniraient pour toujours.
Main dans la main, Mathilde et Louis marchaient au bord de la rivière Montmorency dont ils connaissaient tous les méandres. Après les durs travaux du jour, ils se rendaient parfois jusqu'en haut du grand sault, là où on voit toute l'île d'Orléans qui ressemble à un gros poisson couché au milieu du fleuve.
Ils faisaient mille projets et leur coeur débordait d'amour. Mathilde énumérait les trésors que contenait son coffre : les draps de lin tissés avec soin, les couvertures et le linge qu'un brin de romarin parfumait. Mais elle refusait de décrire la robe blanche qu'elle avait cousue pour le grand jour. Louis ne la verrait que le matin des noces ! Ah ! qu'elle avait hâte ! Pourquoi les heures s'écoulaient-elles si lentement ?
Mathilde s'exerçait à la patience. Elle observait l'eau qui filait vers le fleuve en songeant que le temps aussi filait comme l'eau et que le jour de leur mariage allait finir par arriver.

Et voici qu'un matin de juillet, dans toutes les paroisses de la côte, les curés avaient réuni les familles et lancé :
- Partez ! Emmenez bêtes et provisions ! Terrez-vous au fond des bois ! Les Anglais sont là !
Les femmes avaient suivi les ordres et elles avaient conduit les enfants et les bêtes à l'abri. Les maisons et les granges restaient toutes désertes. Seuls demeuraient sur les bords du fleuve Saint-Laurent les hommes, jeunes et vieux, qui s'étaient engagés dans les milices pour défendre leurs biens jusqu'au dernier souffle.
Depuis plus d'un mois, la flotte anglaise sillonnait le fleuve. Chaque jour, de la pointe de l'île ou du haut des falaises, des messagers annonçaient l'arrivée d'une nouvelle frégate ennemie pleine de soldats. Partout sur l'eau on pouvait voir des bateaux immobiles aux canons pointés vers la côte. Toute la colonie était sur le qui-vive. Quand allait-on se battre ? Et où ?

Les soldats étaient à l'affût dans les deux redoutes sur la falaise. On avait établi des postes de garde aux trois gués sur la rivière Montmorency, où des troupes d'hommes armés assuraient la défense. Non, les Anglais venant de l'ouest ne franchiraient pas la rivière !
Mathilde Robin aurait bien voulu camper avec les miliciens. Elle aurait tout accepté pour être auprès de Louis ! Mais la guerre est l'affaire des hommes, elle le savait. Réfugiée dans les bois avec sa famille, elle languissait. À chaque fois qu'arrivait un nouveau venu parmi les tentes, son jeune frère Guillaume qui agissait comme sentinelle courait la prévenir. Elle se précipitait pour écouter ce qu'il avait à raconter et à chacun d'eux elle posait toujours la même question :
- Avez-vous vu Louis Tessier ? Sa compagnie est-elle sur les battures
(1) ! Sur la falaise près du sault ?
Parfois le messager, compatissant, avait quelques mots gentils pour elle. Souvent, si c'était un compagnon de Louis, il la rassurait.
- Louis garde le gué d'en haut sur la rivière. Ne vous en faites donc pas...
Il faisait une chaleur accablante. On attendait la pluie qui ne venait pas. Cinq, six fois par jour, il fallait aller puiser de l'eau à la rivière ; Mathilde surveillait les bêtes et aidait à préparer des repas frugaux. Elle sentait qu'elle ne pouvait plus vivre sans voir Louis.
Chaque jour son désir d'être près de celui qu'elle aimait augmentait. Elle aurait voulu plonger son regard dans le sien, sentir son haleine sur sa joue. Mais elle savait aussi qu'une attaque des Anglais était imminente. La peur et l'angoisse augmentaient sa détresse. Louis lui avait dit :
- Québec ne tombera pas. Le gouverneur a fait venir des troupes de Trois-Rivières. On va se battre. Les Anglais n'auront jamais la Nouvelle-France !
Mathilde n'en pouvait plus d'attendre !
Un matin encore plus torride que les autres, tout le campement fut en émoi. Une rumeur était venue, on ne sait trop comment et Guillaume cria :
- Deux navires anglais sont échoués sur la batture près de la chute !
Mathilde se joignit aux femmes en toute hâte. Les premiers coups de canon tonnèrent. Ils ne cessèrent plus de tout le jour. Seuls les bruits des armes et l'odeur du feu arrivaient jusqu'au campement. La chaleur accablante augmentait l'inconfort des familles. Soudain, on entendit rouler l'orage dans le ciel. Des nuages noirs éclatèrent enfin et une pluie torrentielle s'abattit sur le bois, couvrant de son fracas tous les bruits de la guerre qui se déroulait plus bas, près du grand sault.
Puis, dans l'après-midi, un milicien arriva avec quelques Indiens et un blessé qu'il confia aux femmes.
- Les Habits rouges ont attaqué les redoutes, dit-il, hors d'haleine, et ils ont tenté de gravir les falaises et de franchir les gués. Mais nos troupes les attendaient derrière les fascines et elles ont empêché leur avance.
La pluie continuait. Les soldats anglais qui tentaient de ravir les escarpements se mirent à glisser dans la boue et sur les rochers. Et, voyant que la marée allait les retenir prisonniers sur la batture, ils firent marche arrière dans les cris et la confusion, laissant derrière eux de nombreux morts.
Les Anglais étaient vaincus.
La bataille de Montmorency se terminait par une brillante victoire des Français.
Dans le bois, tout le monde attendait des nouvelles. Quelques soldats et miliciens essoufflés et trempés vinrent rassurer leurs parents.
- Nous les avons vaincus ! Ils sont repartis sur leurs bateaux !
Une victoire ! Ces quelques mots semèrent l'espoir dans les coeurs. Tout le monde se mit à se féliciter et à manifester sa joie en s'embrassant.
- Les Anglais vont partir, la guerre va s'arrêter ! On va retourner sur nos terres pour faucher l'orge et le blé ! lança une voisine.
Des coups de feu retentissaient encore au loin. La guerre se poursuivait-elle donc malgré la victoire ?

Mathilde eut beau attendre et attendre encore, Louis ne vint pas au campement dans le bois.
Alors, n'y tenant plus, elle quitta les autres sous la pluie et se dirigea en hâte vers la rivière.
Elle se mit à courir sur les rochers sans se soucier des ronces qui déchiraient son mantelet et son jupon de droguet
(2). Bientôt elle arriva au premier gué.
Louis Tessier ? Non, il n'était pas là. À l'autre gué, peut-être.
Mathilde, haletante, continua son chemin. Au deuxième gué, elle trouva une troupe réduite qui festoyait autour d'un feu.
- On a repoussé les Anglais ! criaient les miliciens. Viens fêter avec nous. Dansons !
- Je cherche quelqu'un, rétorqua Mathilde. Avez-vous vu Louis Tessier ?
On n'avait pas vu Louis. Mathilde repartit, escaladant les rochers, le coeur en bataille. Au troisième gué, elle le trouverait. Mais là aussi, elle fut déçue. Il n'était pas au troisième gué. « Il a peut-être tenté d'aller à la ferme », se dit-elle.
Elle se précipita sur le sentier qui menait aux habitations. Et cette fois encore, elle ne trouva personne. Mais elle fut saisie de crainte en voyant flamber autour d'elle des granges et des maisons. Elle comprit que les Anglais avaient incendié les fermes et les granges, qui brûlaient sans témoins ni sauveteurs.

Elle courut à perdre haleine vers sa maison encore intacte. Elle ouvrit la porte et appela :
- Louis !
Seul le silence lui répondit. Mathilde réussit à se guider dans la noirceur. À tâtons, elle ouvrit l'armoire et repéra sa robe blanche. Elle la saisit et la serra contre elle. Puis elle se dépêcha de ressortir. Les battements de son coeur résonnaient dans ses oreilles tandis qu'elle courait vers l'abri de la forêt.
Pendant de longues heures elle marcha, fouilla chaque buisson, s'écorchant les bras et le visage aux branches. Parfois elle trébuchait avec dégoût sur les corps de soldats anglais mais, obstinément, elle poursuivait sa quête en répétant le nom de l'aimé. Elle arriva enfin en amont de la grande chute ; elle vit des gens et entendit des appels.

- Mathilde ! Oh ! Mathilde !
Folle d'espoir elle alla vers les voix qui montaient dans la nuit. En la voyant, les miliciens s'écartèrent et firent silence. Il était là, son Louis : il reposait sur la rive dans ses habits familiers.
Mathilde l'appela doucement, attendant qu'il se lève et qu'il accoure vers elle. Mais Louis restait couché et ne donnait aucun signe de vie. Ses compagnons semblaient figés. Ils baissaient les yeux sans dire un mot. Alors, elle comprit qu'elle arrivait trop tard. Elle se jeta sur son corps en hurlant sa douleur.
Des hommes tentèrent de l'apaiser, de lui expliquer comment Louis avait sans doute été blessé et comment il s'était traîné pour boire à la rivière avant de mourir. Mais Mathilde, déchirée de sanglots, n'entendait rien. Alors, les miliciens la laissèrent seule avec Louis, son amour enfin retrouvé.
Au bout d'un moment, elle sécha ses larmes. Son coeur, tout fondant d'amour, se durcit. Sans qu'on puisse la retenir, elle s'enfuit dans la première lumière de l'aube au moment même où glissaient sur le fleuve les bateaux anglais chargés de leurs blessés et de leurs morts.
Mathilde se mit à marcher comme une somnambule. Guidée par le bruit grandissant de l'eau qui se précipitait vers le fleuve, elle arriva juste en haut, au bord du rocher. C'était là où tant de fois elle s'était tenue avec Louis, là où toute la rivière, d'un geste majestueux, bascule dans le vide. Mathilde enfila sa robe blanche et sans hésiter un seul instant, elle ouvrit tout grand les bras et se laissa glisser dans la chute.
On ne la revit plus jamais.
Dans les mois qui suivirent, la colonie connut des heures plus sombres encore car les Habits rouges revinrent et, cette fois, ils gagnèrent. Mais les habitants de la côte de Beauport ne manquaient pas de courage. Les familles réintégrèrent leurs fermes et rebâtirent en tentant d'oublier que le pays avait changé de roi.
Encore aujourd'hui, pendant les belles soirées d'automne, juste à la fin du jour, les gens de l'île d'Orléans racontent qu'ils peuvent voir distinctement une jeune femme toute vêtue de blanc errer au pied du grand sault de Montmorency.
C'est le fantôme de Mathilde Robin qui, les soirs de lune, semble chercher encore dans les bouillons de la chute le corps de son bien-aimé. Et le vent apporte parfois sa plainte jusqu'à Saint-Pierre ou Sainte-Pétronille. Alors, les gens s'arrêtent et disent :
- La voilà. C'est Mathilde Robin, la dame blanche.

(1) Battures : estran, partie du rivage asséchée à marée basse. Retour
(2) Droguet : étoffe de laine.
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