Morvette.
On connaît bien l'histoire du petit poisson d'or qui comble les désirs du pêcheur. Mais comment être à la hauteur quand on a toujours la morve au nez et qu'on se mouche dans ses doigts ? Notre héros réussira-t-il, malgré sa sale mine, à gagner le coeur de la princesse ?
Un couple avait un seul fils.
Depuis son enfance, ce petit avait la morve au nez. Il passait
son temps à se moucher avec ses doigts. Alors, ses parents
l'avaient appelé Morvette. La famille était pauvre, le père
était pêcheur et il gagnait sa vie avec peine. Un jour qu'il
partait à la pêche, Morvette lui dit :
- Vous me promettez depuis longtemps de m'emmener avec vous.
Aujourd'hui, je viens à la pêche.
- Jamais de la vie! s'écria le père, malpropre comme tu es, tu
ferais peur aux poissons.
Morvette se mit à pleurer et à se moucher de plus belle. Sa
mère dit à son mari :
- Voyons, emmène-le donc ! Il est assez grand pour travailler et
il doit apprendre, car qui nous fera vivre quand nous serons
vieux ?
L'argument porta et le père se décida à emmener Morvette. Ils
allèrent au quai et le père choisit une barque pour lui et une
autre pour son fils, qu'il fit s'éloigner au large.
- Débrouille-toi, lui dit-il.
Pauvre Morvette se sentait bien seul, loin sur la mer au milieu
des vagues et des goélands. Il mit sa ligne à l'eau mais rien
ne mordait à l'hameçon. Il commença à s'ennuyer
sérieusement. Tout à coup, à sa grande surprise, sa ligne fut
prise. Il tira de toutes ses forces et vit apparaître hors de
l'eau un beau petit poisson d'or. Et sa surprise redoubla quand
le petit poisson d'or se mit à parler.
- Mon bon petit Morvette, jette-moi à l'eau d'où je viens et tu
seras comblé.
- Tu es bien trop beau s'écria Morvette. Tu t'es laissé
prendre, je te garde.
- Mon bon Morvette, je suis le génie de l'eau. Laisse-moi
retourner d'où je viens et tu auras tout ce que tu souhaiteras,
dit le petit poisson.
En entendant ces mots, Morvette hésita un moment puis prit le
petit poisson d'or et le rejeta à l'eau. Il se remit à pêcher.
Rien ne mordait à sa ligne alors il dit à voix haute :
- Petit poisson d'or, si ce que tu m'as dit est vrai, je veux que
tu remplisses ma barque de poissons.
Il n'avait pas fini de parler que la barque était pleine
jusqu'au bord de poissons brillants et frétillants. Morvette
cria à son père qui s'était rapproché de venir l'aider. Quand
celui-ci arriva, il fut bien étonné de voir à quel point
Morvette s'était bien débrouillé. Il prit une partie des
prises dans sa barque et père et fils repartirent vers la rive,
contents de leur journée.
Arrivés chez eux, le père dit :
- Morvette, on a tellement de poissons que tu vas prendre les
deux plus beaux et tu vas aller les porter au roi en cadeau de ma
part.
Morvette partit avec deux beaux poissons soigneusement
enveloppés. Arrivé au château, il frappa à la grande porte et
la princesse vint ouvrir et demanda :
- Où donc as-tu pêché ces beaux poissons ?
- Dans la mer, répondit Morvette ; et je peux avoir tout ce que
je veux.
- Vraiment, dit la princesse amusée. Comment t'appelles-tu,
petit ?
- Mon nom est Morvette, pour vous servir.
- Tu as un beau nom, dit la princesse en éclatant de rire.
Et elle rit de plus belle. Mais Morvette n'était pas content. Il
cria :
- Ah ! vous riez de moi, mais par la vertu de mon petit poisson
d'or vous le regretterez, car avant longtemps vous aurez de mes
nouvelles !
Et il quitta les abords du château.
Quelque temps plus tard, les gens du château furent dans la
consternation car la princesse donna le jour à un enfant, un
beau petit garçon. Comme la princesse elle-même ne pouvait
expliquer la chose à ses parents, le roi résolut de consulter
une fée. La fée dit au roi que pour retrouver le père de
l'enfant il fallait donner au petiot une boule d'or et tous les
hommes du royaume devaient venir défiler devant lui. Celui à
qui le petiot présenterait la boule d'or était son père.
Le roi fit donc proclamer par tout son royaume que tous les
hommes devaient se présenter au château et qu'à défaut de le
faire, ils seraient mis à mort. Le jour fixé arriva et le père
de Morvette se préparait à partir quand Morvette dit :
- Moi aussi, je veux aller au château comme les autres.
- Tu peux bien venir mais malpropre comme tu es, tu te tiendras
derrière la porte, car le roi pourrait bien te chasser.
Le père et Morvette suivirent la foule. Le père entra et
Morvette se cacha derrière la porte. À la grande surprise de
tous, le petiot se leva du berceau, se mit à marcher et
présenta sa boule d'or à Morvette caché derrière la porte.
En apercevant Morvette qui se mouchait dans ses doigts, le roi
entra dans une grande colère et donna l'ordre à ses gens de
prendre Morvette, la princesse et le petiot et de les mettre dans
un canot pour les abandonner à leur sort au milieu de la mer. Ce
qui fut fait.
Au bout de quelques heures, l'enfant eut faim et les parents
aussi. La princesse dit à Morvette :
- Tu t'es vanté de pouvoir avoir tout ce que tu veux ; peux-tu
avoir de la bouillie pour ton petiot ?
Morvette demanda de la bouillie et une fricassée au petit
poisson d'or et il obtint les mets désirés. Quand ils eurent
mangé, la princesse dit :
- Puisque tu peux tout obtenir, pourquoi ne pas demander un beau
château voisin de chez mon père ?
Morvette invoqua encore le petit poisson d'or et ils furent
transportés dans un magnifique château encore plus beau que
celui du roi. Au matin, quand le roi regarda par la fenêtre il
vit le château voisin du sien, il envoya ses serviteurs demander
qui habitait cette riche demeure et fut fort surpris d'apprendre
que c'était Morvette avec sa fille et leur fils.
Un peu de temps passa puis la princesse dit à Morvette :
- Puisque tu peux tout obtenir de ton petit poisson d'or,
pourquoi ne demandes-tu pas de ne plus avoir de morve au nez ?
Morvette était si habitué à se moucher qu'il n'y avait pas
pensé. Il invoqua de nouveau le petit poisson d'or et l'envie de
se moucher disparut aussitôt. Il avait le nez bien sec. Si bien
que lorsqu'il se présenta au château du roi, il était un jeune
homme fort présentable.
Le roi fut enchanté et l'accepta comme mari pour sa fille. Il
lui donna son nom et fit de lui son héritier. Mais plutôt que
de l'appeler Gontran, qui était un nom fort respectable, la
princesse continua de l'appeler Morvette. Le petit poisson d'or
ne cessa jamais d'accéder aux désirs de Morvette pour le
récompenser de l'avoir retourné à la mer.
Et c'est ainsi que Morvette vécut heureux avec sa femme et ses
nombreux enfants, dont aucun n'hérita de la manie de se moucher
continuellement.