Le premier été sur la toundra.

Chez les Amérindiens, l'éducation était basée sur les récits mythiques que transmettaient oralement les anciens. Ce récit des oiseaux à l'origine des saisons a plusieurs variantes et des récits très proches ont été racontés chez les Cris et les Naskapis. Pour les Montagnais, ce récit est un tahadjimunn, une histoire qui raconte des événements survenus avant même que l'humanité existe dans sa forme actuelle.

Au commencement du monde, le Grand Nord ne connaissait pas l'été. L'hiver durait toute l'année.
Un jour, le vent qui voyageait beaucoup raconta aux animaux qu'il avait vu l'été.
- Loin d'ici, vers le sud raconta-t-il, l'air est doux et chaud. Le soleil brille dans le ciel. Le sol est couvert de plantes de toutes sortes.
Les animaux de la toundra furent bien étonnés d'entendre les paroles du vent. Ils se mirent à penser de plus en plus souvent à l'été.
- Nous sommes fatigués du froid, de la neige et de la glace, dirent-ils enfin. Vent voyageur, dis-nous pourquoi l'été ne vient pas jusqu'ici ?
Mais le vent ne répondait pas.
Finalement, harcelé de questions, le vent finit par leur révéler son secret :
- Ce sont les fauvettes qui apportent l'été, dit-il. Un méchant manitou les a attrapées ; il les a ligotées ensemble et les a suspendues dans son wigwam (1). Il les surveille sans répit de sorte qu'il leur est impossible de s'évader. C'est pour cette raison qu'elles ne peuvent venir porter l'été jusqu'ici.
Les animaux indignés réfléchirent à ces paroles :
- Il faut trouver le wigwam du méchant manitou ! cria le caribou.
- Allons délivrer les fauvettes ! dit le lièvre.
- J'y vais, déclara Thacho, le pécan (2).
Et il partit aussitôt dans la direction indiquée par le vent.
Thacho marcha plusieurs jours et plusieurs nuits à travers les grandes étendues couvertes de neige de la toundra. Puis, il arriva à un endroit où la neige fondue laissait voir des plaques de terre et de mousse. Il leva la tête et vit le soleil qui brillait dans le ciel. Un peu plus loin, il vit de grands arbres qui agitaient leurs branches feuillues et des champs couverts de fleurs. Il entendit mille chants d'oiseaux tout autour de lui. « Ce doit être ici le pays de l'été », pensa Thacho.
Il se mit à chercher le wigwam du méchant manitou avec l'intention bien arrêtée de relâcher les fauvettes d'été.
Après avoir franchi des forêts et des champs de plus en plus verdoyants, il découvrit, à la tombée du jour, un vaste wigwam décoré de grands dessins rouges. Sans attendre, Thacho se glissa à l'intérieur et constata qu'il n'y avait personne sauf.. un gros paquet suspendu aux piquets du toit.
Sans perdre un instant, il coupa avec ses dents pointues les liens qui retenaient les oiseaux captifs. Et dans un grand bruissement d'ailes, les fauvettes libérées s'envolèrent aussitôt dans le ciel. Thacho se rendit compte qu'elles se dirigeaient vers le nord. « Enfin, pensa-t-il, elles s'en vont chez nous ! »
Il se mit à sauter et à gambader de joie quand surgit le méchant manitou.
Il ne fallut pas longtemps à ce dernier pour comprendre ce qui s'était passé, car les fauvettes dessinaient un nuage mouvant dans le ciel au-dessus de sa tête et leurs cris égayaient le silence du soir.
Fou de rage, le manitou s'élança après Thacho qui avait filé sans attendre.
Une poursuite échevelée s'ensuivit. Thacho courait de toutes ses forces à travers les bois et les champs, le méchant manitou sur ses talons. Mais tout le monde sait que Thacho est imbattable à la course. Le manitou, voyant qu'il n'allait pas le rattraper, sortit une flèche de son carquois et tira dans sa direction.
Il lança plusieurs flèches sans l'atteindre. Puis, enfin, une de ses flèches transperça la queue de Thacho. Thacho sauta d'un bond dans le ciel vers le monde d'en haut.
La lune qui avait tout vu décida de garder Thacho, le brave, avec elle, dans le monde d'en haut. Elle le transforma sur-le-champ en étoile. Thacho resta donc avec la lune, sa queue transpercée d'une flèche.
Aujourd'hui, quand les hommes voient briller l'étoile du nord, ils disent :
- Regardez, c'est le pécan, Thacho : c'est lui qui a libéré les fauvettes d'été. C'est grâce à lui que nous connaissons l'été dans la toundra.

(1) wigwam : habitat traditionnel de certains Amérindiens
(2) pécan :
martre


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Ti-Jean Ratoureux.

 

Encore une fois, voici notre Ti-Jean lancé dans une aventure bien périlleuse... Un terrible géant terrorise le royaume, Ti-Jean réussira-t-il à le vaincre, grâce à son ingéniosité légendaire ?

La nouvelle s'était répandue dans les alentours que le roi avait bien du mal à trouver quelqu'un pour garder ses troupeaux. Ti-Jean Ratoureux dit à son père :
- Je vais aller me faire engager chez le roi. Je suis assez grand, je suis sûr que je serai capable.
Ses parents le laissèrent partir car ils étaient bien pauvres et avaient plusieurs autres enfants à charge.
Ti-Jean Ratoureux se mit en marche avec un petit paquet de hardes et un croûton. Il finit par arriver chez le roi.
- Sire, lui dit-il, on dit que vous avez besoin d'un engagé pour garder vos troupeaux ? Me voici !
- Tu me sembles bien jeune et bien petit, dit le roi, car le travail est risqué... il y a un géant qui est venu s'établir dans mon domaine. Il tue mes engagés, il s'empare de mes bêtes et les mange.
- C'est bien effrayant !
- J'ai envoyé mes gens d'armes, des troupes entières, mais personne ne réussit à capturer le géant. Si ça continue, je n'aurai plus de troupeau... continua le roi.
- Ah ! dit Ti-Jean Ratoureux, ne vous en faites pas. Je pense que j'y arriverai, moi. J'ai bien hâte de rencontrer votre géant.
- Bon ! alors, demain, tu iras garder mes troupeaux.
Le reste de la journée, Ti-Jean s'occupa à visiter les terres du roi avec ses gens. Ils lui firent voir le précipice et le petit chemin tournant par où passait le géant. Ti-Jean prit bonne note de tout ce qu'il voyait et alla se coucher.
Le lendemain, de très bonne heure, il se munit d'un câble, d'une grosse tarière utile pour faire des trous larges et profonds et de six oeufs cuits durs pour son repas. Dès qu'il fut arrivé dans la prairie où paissaient les troupeaux du roi, il se rendit au bord du précipice par où passait le géant. Il attacha son câble à un arbre tout près et le dissimula dans l'herbe tout autour du précipice de manière à ce qu'il fût invisible. Puis, il choisit un gros pin et, avec sa tarière, il perça trois trous dans son écorce, un premier de cinq centimètres, un deuxième de huit centimètres et un dernier de quinze centimètres de profondeur. Puis il replaça l'écorce si bien qu'on n'y voyait rien.
Il monta dans le gros pin et s'assit confortablement sur une haute branche pour attendre la venue du géant. Il n'eut pas à attendre longtemps. Bientôt une tête émergea du trou et le géant apparut. Il s'avança du côté de l'arbre en reniflant.
- Hum ! hum ! Il y a une petite odeur de chair fraîche ici, s'écria-t-il en levant les yeux.
Il aperçut Ti-Jean Ratoureux dans l'arbre.
- Tiens ! tiens, voilà un nouveau. Descends donc de ta branche pour que je fasse ta connaissance.
Ti-Jean était passablement ému à la vue du géant mais il se ressaisit et calma sa voix pour répondre :
- Ma connaissance, mon géant, tu la feras assez vite. Pour le moment, je suis occupé à prendre mon repas ; quand j'aurai fini je descendrai. Assieds-toi au pied de l'arbre et attends.
Et Ti-Jean prit un oeuf et se mit tranquillement à le manger comme si de rien n'était. Le géant, surpris de la réplique hardie du garçon, lui demanda :
- Qu'est-ce que tu manges là ? Ça sent bon ! Donne m'en donc un peu, ça me fera passer le temps d'attente.
Ti-Jean, qui s'était muni de cailloux ronds comme des oeufs avant de grimper, lui en lança un sur la tête en disant:
- Tiens ! Mange celui-là, mais n'en demande pas trop ; j'ai juste ce qu'il faut pour mon repas.
Le caillou vint frapper le géant sur un oeil. Ouille ! Il se frotta, le ramassa et voulut croquer dedans et se cassa une dent.
- Hé ! l'ami ! qu'est-ce que tu m'as envoyé là ? C'est bien dur !
- Ce n'est pas dur du tout ! s'écria Ti-Jean en mordant dans un autre oeuf.
- Donne-m'en donc un autre, dit le géant.
Ti-Jean prit un autre caillou dans sa poche et le lança sur le géant qui le reçut dans l'autre oeil. Très agacé, il se frotta l'oeil, ramassa le caillou et en le croquant se cassa deux autres dents.
- Tes oeufs sont trop durs. Je ne les veux pas. Si tu descendais... ça ferait mieux mon affaire, dit le géant, que de me casser les dents sur tes oeufs.
- Pour me croquer, moi ? lança Ti-Jean.
- C'est ça !
- Ah ! Tu n'es même pas capable de manger les oeufs que je te donne ! Tu as pu faire peur à d'autres que moi mais attends ! J'achève de manger et je vais descendre. D'abord on va faire un marché, poursuivit Ti-Jean. On va aller frapper à poings nus sur l'arbre qui est là devant. Si tu enfonces ton poing plus profondément que moi dans le corps de l'arbre, tu pourras me manger. Mais si c'est moi qui enfonce le poing le plus avant, ce sera le signe que je suis le plus fort et tu déguerpiras pour ne plus jamais revenir.
Le géant qui croyait à une victoire facile s'écria :
- C'est d'accord ! Alors, descends, descends petit vermisseau !
Ti-Jean Ratoureux descendit du gros pin et se dirigea en compagnie du géant vers le gros arbre qu'il avait percé à l'aide de sa tarière. Il se plaça devant l'endroit où il avait percé ses trous et plaça le géant du côté opposé.
- Attention ! cria Ti-Jean. Je frappe le premier !
Il frappa avec son poing et enfonça de cinq centimètres. Le géant, fort surpris de ce résultat, frappa à son tour mais il ne fit qu'aplatir l'écorce, se déchirant le poing qui se mit à saigner abondamment.
- Est-ce tout ce que tu peux faire ? demanda Ti-Jean. Regarde-moi donc !
Il frappa de nouveau et enfonça son poing de huit centimètres. Le géant, de plus en plus surpris de la facilité avec laquelle Ti-Jean enfonçait son poing dans l'arbre, s'élança de toutes ses forces. Il ne fit qu'aplatir un peu plus l'écorce et il se cassa le bras tandis que son poing n'était plus qu'un morceau de chair meurtrie ensanglantée. Il se tordit dans un cri de rage et de douleur.
Ti-Jean, le voyant ainsi éclopé, se mit à rire de plus belle.
- Pour un fanfaron comme toi, ce n'est pas trop mal ! Et il frappa encore, enfonçant son poing de quinze centimètres dans l'écorce.
- Ti-Jean, tu es le plus fort, dit le géant. Je vais m'en aller d'ici. Il partit par le chemin du précipice par lequel il était venu.
- Tu fais bien de ne plus reparaître car, sinon, je te passerai mon poing au travers du corps, dit Ti-Jean en guise de salut.
Ti-Jean suivit le géant jusqu'au précipice. Comme il s'apprêtait à y descendre, le géant se retourna. À cet instant, Ti-Jean tendit le câble caché dans l'herbe. Le géant s'empêtra dedans, trébucha et alla tomber tête la première dans le fond du précipice. Jean entendit un cri, un cri terrible et ce fut le silence.
Ti-Jean comprit que le géant était mort et qu'il pouvait aller annoncer la nouvelle au roi. Mais il ne partit pas tout de suite. Il réfléchit un moment puis s'en alla dans la prairie et ramassa trois petites crottes de mouton. Il les disposa par terre, les couvrit de son chapeau qu'il maintint en place avec des petites pierres. Après ça, tête nue, il se mit en route vers le château.
Le roi et ses gens virent venir Ti-Jean et allèrent à sa rencontre pour savoir s'il avait rencontré le géant.
- Votre géant, dit Jean au roi, n'était pas si dangereux que vous le pensiez. Vos gardiens de troupeau avant moi n'étaient que des poltrons. J'en suis venu à bout facilement. Même que j'ai jeté son corps au fond du précipice et je me suis emparé de son esprit marabout que j'ai emprisonné sous mon chapeau. Demain, si vous voulez, nous irons le chercher.
Le roi était enchanté de ce que Ti-Jean lui disait.
- Si tu as fait tout cela, Ti-Jean, je ne puis attendre à demain ! Il me faut m'emparer tout de suite de l'esprit marabout du géant maudit, s'écria-t-il.
Comme le soir tombait il donna l'ordre à ses gens de préparer des flambeaux et l'on partit en procession chantant et criant : « Hourra pour Ti-Jean Ratoureux ! Victoire ! Hourra ! » Le roi ouvrait la marche ; tout le monde avait hâte de voir l'esprit marabout du géant.
En chemin, Ti-Jean Ratoureux s'approcha du roi et lui glissa à l'oreille :
- Sire, j'ai peur que ces cris et ce bruit ne fassent peur à l'esprit marabout et qu'il ne s'échappe.
- L'as-tu bien emprisonné ? demanda le roi.
- Oui, dit Ti-Jean, mais ce n'est qu'un chapeau qui le recouvre et il pourrait s'échapper par le moindre petit trou.
- Tant pis, dit le roi, de savoir que nous sommes débarrassés du géant me comble d'aise au point que j'ai envie de crier encore plus fort que mes gens !
Et les cris et les chants redoublèrent. Comme on approchait de la prairie, Ti-Jean répéta sa recommandation au roi de cesser de faire du bruit. Mais celui-ci ne voulait pas l'écouter.
- Laisse-nous nous divertir à notre manière, dit le roi.
- Tant pis, répliqua Ti-Jean, je ne suis pas responsable de ce qui pourrait se passer.
En arrivant, le roi fit poster ses troupes et ses serviteurs en cercle et lui-même s'avança vers le chapeau.
- Soyez vif en soulevant mon chapeau, dit Ti-Jean, car, s'il n'est pas déjà parti, l'esprit marabout doit être joliment réveillé et il sera difficile à saisir.
Le roi suivit les conseils de Ti-Jean. Il souleva le chapeau et enfonça promptement une main pour la retirer aussitôt. Il y avait dedans trois petites crottes de mouton. Avant qu'il réagisse, Ti-Jean cria :
- Je vous avais averti de ne pas faire tant de bruit ! L'esprit marabout a eu peur et s'est enfui.
Le roi et ses gens étaient si contents de la disparition du géant qu'ils reformèrent une procession et rentrèrent au château en chantant plus fort que jamais. Ti-Jean Ratoureux fut fêté comme un sauveur et le roi lui donna une partie de ses terres et la main de la plus jeune des princesses qui était, bien sûr, la plus jolie.

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