Pacaud, chien fidèle.

Le loup-garou était autrefois dans les campagnes une superstition très répandue. Dès qu'un mécréant n'avait pas fait ses pâques, pendant sept ans de suite, il était aussitôt transformé par le diable en bête, parfois en loup, parfois en chien et même quelquefois en cochon. Si on lui tirait du sang, l'être humain ainsi métamorphosé reprenait sa forme humaine.

Il était une fois deux voisins. L'un s'appelait Doyon, l'autre Paradis. Le fils de Paradis était un bon à rien. Il travaillait quand ça lui chantait, il buvait beaucoup et avec ça, il ne fréquentait pas l'église. Mais ses parents l'aimaient bien malgré ses défauts.
Un beau jour, il disparut. Ses parents le cherchèrent partout, dans les auberges du canton, dans les sentiers le long de la forêt, au cas où il y serait endormi en train de cuver son vin. Ils ne le trouvèrent nulle part. Madame Paradis alla trouver sa voisine, madame Doyon.
- Mon fils a disparu, annonça-t-elle, inquiète. Vous ne l'auriez pas vu ?
- Pas depuis un bout de temps, répondit madame Doyon. Où donc était-il parti ?
- Je n'en sais rien, tout ce que je sais c'est qu'il portait ses vêtements de semaine. Pauvre Édouard ! soupira sa mère en imaginant le fils noyé ou roulé dans un fossé.
Le père Paradis arpenta tous les villages voisins à la recherche de son fils. Personne ne savait où il était allé ; personne ne l'avait vu passer. À la fin, les époux se résignèrent et pleurèrent la mort d'Édouard, leur seul fils. Le père trimait dur, car tout le travail de la ferme lui restait sur les bras.
Chez les voisins, un soir d'hiver, arriva un gros chien brun. Il restait au bord de la porte, observant Ferdinand Doyon tandis qu'il trayait les vaches dans l'étable. Quand il sortit, il s'élança vers lui, lui lécha les mains et lui fit une joie en le suivant. L'homme entra et dit à sa femme :
- Regarde donc le beau chien brun. Je ne l'ai jamais vu par ici...
- Il est bien beau. Il est peut-être perdu. Si on le gardait, ça nous ferait de la compagnie ? dit sa femme.
- C'est bon, gardons-le. Mais si on le réclame, il faudra le rendre.
- Pas de problème, déclara sa femme. Faut pas le faire coucher dehors, cette nuit, il fait trop froid !
Et les époux Doyon firent entrer le chien qui s'installa tout près du poêle dans la cuisine. Le chien brun menait sa vie de chien. Il était doux et affectueux et il faisait un bon gardien. Si des intrus approchaient, il jappait aussitôt. Il allait chercher les vaches au clos et les ramenait à l'étable. Les Doyon étaient enchantés de leur chien, que personne n'avait jamais réclamé. Au bout de quelques années, ils le considérèrent comme faisant partie de la famille. Ils lui avaient donné un nom, ce fut Pacaud.
Pacaud passait ses journées à suivre Ferdinand ou Célestine Doyon dans leurs tâches sur la ferme. Le soir, au souper, Pacaud s'approchait de la table et ils lui donnaient une bouchée de temps en temps. Puis, il devint encore plus familier, allant jusqu'à mettre sa patte sur le bord de la table pour qu'on pensât à lui.
Ferdinand Doyon trouvait qu'il exagérait. Il le gronda et le renvoya en disant :
- Couche, Pacaud !
Mais Pacaud recommençait. Une bonne fois, le père Doyon se fâcha et lui donna un coup de couteau sur la patte sans vouloir le blesser. Pacaud, tout piteux, s'en alla. Et les Doyon continuèrent à souper en paix. Tout à coup, la mère Célestine se retourna vers le poêle et elle aperçut Édouard, le fils du voisin, dans ses vêtements de semaine qui se chauffait le dos. Le coeur lui manqua. Elle se leva d'un bond, renversant sa chaise et murmura :
- Édouard ! C'est toi, tu es de retour ?
- Oui, c'est moi, fit le garçon.
- D'où viens-tu donc ? demanda le père Doyon.
- Je ne viens pas de loin, dit-il. C'est moi qui étais... Pacaud. Vous m'avez délivré tout à l'heure en me donnant un coup de couteau sur la patte.
Les époux n'en revenaient pas. Ils avaient hébergé un loup-garou toutes ces années !
Avec un mélange de frayeur et de soulagement, Célestine dit :
- Tu étais un si bon chien... tellement fidèle !
- Merci de m'avoir délivré, dit Édouard à Ferdinand Doyon.
- Maintenant, dit Ferdinand Doyon, tu ferais mieux de retourner chez les tiens. Ils ont eu bien du chagrin de ta disparition.
Édouard retourna chez ses parents qui l'accueillirent avec émotion. On raconta son histoire dans le canton. Édouard n'allait plus jamais se soûler dans les auberges et il ne manqua pas d'aller à la messe tous les dimanches.
Il acheta un chien noir à ses parents qu'ils appelèrent Pacaud.


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Martineau-pain-sec.

Ce conte populaire recueilli en Beauce, où l'on retrouve le personnage de Martineau le Futé qui, grâce à son astuce, vient à bout d'une licorne et de trois géants.

Il était une fois un jeune garçon nommé Martineau qui était plutôt paresseux. Et en plus il avait toujours faim, ce qui fait qu'il coûtait cher à nourrir. Son père trouvait que le temps était venu pour lui de quitter la maison pour aller gagner sa vie de par le monde.
- Martineau, mon fils, tu as une vie à faire ailleurs qu'ici. Va.
- Mon père, je veux bien mais, je vous en prie, donnez-moi quelque chose avant mon départ.
Le père lui remit un pain sec, une bouteille de lait et cinq sous.
- Voilà, dit-il, tu as tout ce qu'il te faut.
Le fils quitta le foyer à pied. Il marcha longtemps. On était en plein été et le soleil chauffait fort. Martineau était couvert de sueur et épuisé de fatigue. Vint un moment où il choisit un arbre dans un pré et s'assit dessous, à l'ombre. Il sortit le pain et le lait de sa besace mais, tandis qu'il mangeait, les mouches ne cessaient de tourner autour de lui.
- Laissez-moi la paix, leur cria Martineau. Quand j'aurai fini, je vous donnerai votre part.
Quand il eut fini il émietta son pain qu'il trempa de lait et dit :
- Voilà, les mouches, venez vous régaler !
Les mouches s'abattirent d'un seul coup sur le pain et Martineau en tua mille d'un seul geste et cinq cents du revers de la main.
Fier de lui, il se remit en route car une petite idée lui trottait dans la tête. Il arriva dans un village où il trouva un peintre, le paya cinq sous pour qu'il lui fasse un écriteau sur lequel il fit écrire : « Martineau-pain-sec en a tué mille d'un coup de main et cinq cents du revers. »
Il s'en alla au bord du chemin, y planta son écriteau, se coucha tout à côté et s'endormit. Le roi vint à passer par là et lut l'écriteau.
« Martineau-pain-sec en a tué mille d'un coup de main et cinq cents du revers. » Il dit à son cocher :
- Va donc réveiller le dormeur.
- Aller le réveiller ? s'enquit le cocher. Pour me faire tuer ?
- Réveille-le poliment, fit le roi.
Le cocher s'approcha avec précaution et réveilla Martineau qui demanda en se levant :
- Que me voulez-vous ?
- Monsieur le roi veut vous parler, dit le cocher.
Martineau-pain-sec s'approcha du carrosse et le roi lui dit :
- Est-il vrai, monsieur Martineau, que vous en tuez mille d'un coup de main et cinq cents du revers ?
- Sur ma parole, oui ! répondit Martineau.
- Voulez-vous vous engager à mon service ? dit le roi.
- Oui, monsieur le roi, répondit Martineau-pain-sec.
- Dans ma forêt, continua le roi, il y a une bête féroce et trois géants qui ravagent le pays. Pourriez-vous les détruire ?
- Une bête féroce ? s'enquit Martineau.
- Oui, c'est une licorne.
- Et les trois géants ?
- Ce sont les plus terribles de la Terre, expliqua le roi.
Martineau dit :
- Je pense bien pouvoir vous en débarrasser. Donnez-moi de quoi me nourrir une journée entière.
Le roi lui donna un panier rempli de mets délicieux et Martineau, plein d'enthousiasme, partit à pied sur le sentier qui menait à la forêt du roi. Il arriva bientôt devant une grosse épinette près de laquelle les géants se tenaient d'ordinaire. Martineau ramassa trois cailloux qu'il mit dans sa poche et il grimpa dans l'arbre pour se cacher. Il attendit.
Tout à coup, un géant se présenta, portant sur ses épaules un gros merisier entier avec branches et racines qu'il jeta sur le sol, ce qui fit trembler le grand arbre dans lequel Martineau était juché.
Un deuxième géant apparut avec un tonneau rempli d'eau sur chaque bras. Un troisième apporta un grand chaudron et un boeuf mort qu'il jeta, lui aussi, par terre. Ping Pang !
« Ce sont de véritables monstres », pensa Martineau en les regardant agir. Le premier géant fit un grand feu ; le deuxième versa l'eau dans le chaudron du troisième qui y mit son boeuf et brassa le brouet avec un gros bâton. Quand tout fut cuit à point, les géants mangèrent et ensuite, ils se couchèrent au pied de l'épinette et s'endormirent en ronflant leurs bouches monstrueuses grandes ouvertes.
Martineau-pain-sec, se tenant au bout d'une branche, lança un caillou sur la bouche du plus jeune. Pan ! il lui cassa une dent. Le géant se réveilla en colère et gifla son voisin.
- Ça t'apprendra à me laisser dormir tranquille ! fit-il avant de se rendormir.
Martineau lança un autre caillou au deuxième géant et pan ! lui cassa deux dents. Il lança son dernier caillou au troisième géant et pan ! il lui cassa trois dents. Les trois géants se réveillèrent et se mirent à se battre croyant que l'un avait tapé l'autre. Ils arrachèrent des arbres, se battirent furieusement et s'assommèrent. À la fin, ils roulèrent par terre, à moitié morts. À ce moment précis, Martineau descendit de l'épinette et, avec son couteau, il leur trancha la gorge à tous les trois.
Martineau s'en retourna chez le roi. Le voyant arriver, celui-ci s'étonna :
- Tu es encore en vie, Martineau-pain-sec ?
- Oh ! oh ! mon roi, des petites jeunesses comme ça, je fais leur affaire en deux tours de main.
- J'ai peine à te croire, dit le roi.
- Eh bien, venez voir, dit Martineau-pain-sec en entraînant le roi le long du sentier qui menait à la forêt.
En voyant les géants la gorge tranchée le roi fut épaté mais il raconta à Martineau que ce n'était pas la fin des problèmes du royaume.
- Une licorne féroce tue tous mes gens. Elle les empale avec sa corne et ensuite, les dévore. Peux-tu m'en débarrasser demanda le roi à Martineau.
- J'aurais besoin de quelques provisions, dit Martineau-pain-sec qui avait grand-faim à la suite de ses exploits.
- Tout ce que tu voudras, s'écria le roi.
Martineau-pain-sec reçut du pain frais, du jambon et des beignets à la confiture ; bien rassasié, il reprit le sentier et marcha longtemps. Arrivé au bout, il se demanda où se cachait la méchante licorne. Et il la vit soudain près des murs d'une vieille église en ruine. Martineau n'eut que le temps de se retourner que déjà elle filait droit sur lui. Vite il se cacha derrière la porte en bois qui tenait encore debout. Avant que la licorne pût arrêter son élan, il sortit et referma la porte derrière lui. La licorne enfonça sa corne dans la porte et se retrouva prisonnière. Elle avait beau se morfondre de rage et de fureur, donner des coups de sabot, elle ne put se dégager. Martineau monta dans le clocher pour examiner son fait et se frotta les mains. Il reprit le chemin du château du roi.
- Tu es encore en vie Martineau ? s'écria le roi en le voyant venir.
Martineau-pain-sec raconta au roi comment il avait réduit la méchante licorne à l'impuissance. Ils grimpèrent tous deux dans le clocher pour la voir qui se morfondait et se tordait. Elle finit par rendre l'âme et depuis ce jour, la vie coula douce et tranquille. Martineau veilla à la sécurité de tous les habitants du royaume et il ne manqua jamais de nourriture car le roi lui fournit, toute sa vie durant, une table bien garnie. Ainsi fut la vie de Martineau-pain-sec.

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