La bourse du coq.
La vie est bien peu reposante pour ce couple de paysans pauvres. Ils se chamaillent sans cesse. La découverte d'une bourse pleine d'écus ne fera qu'empirer la situation. Mais leur vieux coq chante d'une bien drôle de façon ! Qui aurait cru que grâce à ce cocorico la paix reviendrait dans le ménage ?
Il était une fois un vieux
couple. Un mari plutôt morose ; une femme plutôt aigrie et tous
deux sans ressources, sans métier, sans un bout de pain à se
mettre sous la dent. Ils vivotaient chichement et leur extrême
pauvreté était la source de bien des chicanes. Ils ne
possédaient qu'un vieux coq et c'est lui qui changea leur vie.
Voici comment ça se passa.
Un matin, en grattant la terre, le coq découvrit une petite
bourse de cuir remplie de pièces d'argent. Oh ! la belle affaire
! Pour ces deux-là, c'était une véritable fortune. On pourrait
penser que cette découverte aurait dû apporter la paix dans le
ménage mais ce fut tout le contraire qui arriva. En effet, la
vieille avait vu la bourse en premier et elle s'empressa de la
cacher pour que son mari ne pût pas la trouver. Mais c'était
compter sans le coq qui avait tout vu.
Quand le mari rentra du bois où il était allé ramasser des
branches mortes, le coq se jucha sur la fenêtre et se mit à
chanter :
- Rendez-moi ma bourse ! Rendez-moi ma bourse !
Le mari, fort étonné, demanda à sa femme si elle savait ce que
ça voulait dire.
- Ce coq est fou ! s'écria-t-elle. Aussi fou que toi ! Repars
donc dans la forêt et emmène-le avec toi ! Vous ne valez pas
gros, l'un comme l'autre.
Sur ce, la chicane reprit de plus belle. Alors, le vieux déclara
:
- Très bien, je m'en vais ! Et j'emporte le coq.
- Pas question, dit la vieille. Il faut le séparer en deux
parties égales.
Le mari alla chercher un grand couteau.
- Quelle part veux-tu ? demanda-t-il.
- Le derrière ! dit la vieille. Je vais me faire un bon ragoût.
Et hop ! le vieux coupa le coq en deux et partit avec la portion
qui lui revenait. Mais comme il avait bien aimé son coq il
hésitait à le faire cuire, alors il lui fabriqua un derrière
avec un morceau de toile qu'il bourra de paille. Le coq semblait
tenir le coup et le vieux s'en alla, son demi-coq sous le bras.
Après avoir marché deux ou trois semaines, errant de village en
village, quêtant et se faisant engager pour de menus travaux, il
se sentit bien las et misérable, surtout que l'automne arrivait
et le vent et la pluie le faisaient bien souffrir. Il s'assit au
bord du chemin et se mit à réfléchir. Il se dit qu'il vaudrait
peut-être mieux rentrer à la maison et endurer les misères de
sa femme car la vie de vagabond le désolait. Il se leva d'un pas
déterminé, il reprit la route pour retrouver son logis, son coq
sous le bras.
Il vit venir tout à coup tout un essaim d'abeilles bourdonnantes
qui s'adressèrent au coq en ces mots :
- Mon bon coq, voici venir l'hiver et le froid ; veux-tu nous
emmener avec toi ?
- Bien sûr, répondit le coq, montez dans mon derrière de
paille et vous y serez chaudement logées.
Les abeilles ne se firent pas prier et entrèrent dans le
derrière du coq. Le vieux se remit en marche.
Rendu au milieu du bois qu'il lui fallait traverser, il vit venir
un loup qui s'adressa au coq en ces mots :
- Bon coq ! Voilà bientôt l'hiver qui arrive ; il va faire
froid. Veux-tu m'emmener avec toi ?
- Volontiers, dit le coq ; monte dans mon derrière de paille.
Et le vieux se remit en marche, son coq rapaillé sous le bras.
Lorsqu'il eut traversé le bois et qu'il fut en vue de sa maison,
il rencontra une source limpide qui sortait de terre sous un gros
caillou.
- Bon coq, lança la source ; tu sais que le froid qui s'en vient
va me geler tout rond ; veux-tu m'emmener avec toi?
- Bien sûr, dit le coq. Monte dans mon derrière de paille.
Et le vieux mari approcha doucement de sa maison. Il regarda par
la fenêtre et vit sa femme attablée devant une bonne soupe. Il
alla déposer le coq dans sa vieille grange et revint chez lui.
Sa femme, qui semblait de fort bonne humeur, lui servit un bon
repas ce qui l'enchanta car il avait marché toute la journée
sans manger. La vieille garda sa bonne humeur toute la soirée et
invita son mari à demeurer avec elle, sans lui faire de
reproches. Il était si content de retrouver la paix du foyer
qu'il alla se coucher le sourire aux lèvres. On les aurait cru
réconciliés.
Mais au petit matin, ce fut une autre affaire. Dès le premier
rayon de soleil, le coq se jucha sur la fenêtre et se mit à
chanter :
- Rendez-moi ma bourse ! Rendez-moi ma bourse !
La vieille entra dans une terrible colère.
- Comment ? Tu as eu l'audace de ramener ce coq enragé ! Va
l'enfermer tout de suite dans la bergerie. Les deux moutons que
j'ai achetés ne vont faire qu'une bouchée de son derrière de
paille que tu lui as posé.
Le vieux prit son coq à regret pour le porter à la bergerie. La
mort dans l'âme, il se demandait bien ce qui allait arriver...
quand le coq, à peine entré, appela le loup à son secours.
- Sieur Loup, si tu veux passer un hiver au chaud, dit-il, c'est
le temps de venir à mon secours. Débarrasse-moi de ces moutons.
Le coq n'eut pas besoin de répéter l'invitation. Le loup sauta
sur les moutons et les égorgea dans l'instant.
Le coq revint se jucher sur la fenêtre et se remit à chanter :
- Rendez-moi ma bourse ! Rendez-moi ma bourse !
- Comment ! s'écria la vieille, tu n'as pas porté le coq à la
bergerie ?
- Oui, je l'ai porté.
La vieille alla voir et trouva ses deux moutons égorgés. Elle
rentra chez elle, folle de rage, et dit à son vieux mari:
- Ton coq a égorgé mes moutons. Ça suffit ! Jette-le dans le
four que je viens d'allumer pour faire cuire le pain.
Le vieux, qui avait promis de conserver la paix, se leva pour
jeter le coq dans le four. Mais le coq appela la source à son
secours :
- Eau de source, si tu ne viens pas éteindre le feu, tu ne
pourras passer l'hiver chaudement avec moi !
La source ne demandait pas mieux que d'éteindre le feu ce
qu'elle fit en rassemblant ses gouttelettes.
Puis, le coq retourna se jucher sur la fenêtre et chanta :
- Rendez-moi ma bourse ! Rendez-moi ma bourse !
- Comment ! hurla la femme en colère. Tu n'as pas mis le coq
dans le four comme je te l'avais dit ?
- Oui, je l'y ai mis.
La vieille alla voir et trouva son four éteint. Elle était
tellement fâchée qu'elle empoigna le coq et dit :
- Cette fois, c'est moi qui vais lui tordre le cou !
Elle mit le coq entre ses deux genoux mais le coq dit aussitôt :
- Abeilles, abeilles, venez à mon secours sinon vous ne pourrez
pas passer l'hiver dans mon derrière de paille.
À cet appel, les abeilles sortirent et se mirent à piquer la
vieille à tel point qu'elle criait et se lamentait, si bien
qu'elle finit par dire :
- Ôte tes abeilles, coq, et je te rendrai ta bourse !
Le coq fit rentrer les abeilles et la vieille alla chercher la
bourse de cuir qu'elle lui donna. Le coq donna la bourse à son
maître en reconnaissance pour le derrière de paille qu'il lui
avait posé.
Le maître, ayant la bourse en main et de quoi vivre, fit régner
la paix dans le ménage. Et le coq, malgré son derrière de
paille, vécut encore de nombreuses années.
La légende du diable qui se déguise en beau jeune homme pour mieux ravir une jolie femme est fréquente. Ici, l'événement se déroule pendant une veillée de mardi gras, comme il y en avait beaucoup dans les villages et campagnes du début du siècle.
Il y avait autrefois un nommé
Latulipe qui avait une fille appelée Rose dont il était fou.
Elle était la plus jolie des jeunes filles ; sa peau était
douce, ses joues roses, sa chevelure brune bouclée, ses gestes
gracieux. Son père l'adorait et lui passait tous ses caprices.
La jolie Rose avait un fiancé qui se nommait Gabriel. Elle
aimait bien son amoureux mais ce que Rose aimait encore plus
c'était les divertissements. Elle cherchait toujours prétexte,
une fête ou un événement quelconque, pour demander à son
père de convier des musiciens et des « jeunesses » chez eux
pour une veillée.
Quelques jours avant le mardi gras, elle se mit à tourmenter son
père :
- Feriez-vous venir le violoneux du rang voisin, Père ? On dit
qu'il joue à merveille. On ferait un petit bal pour le mardi
gras ! Dites oui ! oh ! dites oui, suppliait Rose.
Le père Latulipe se laissa tourmenter un jour, deux jours et à
la fin, de guerre lasse, il consentit.
- Mais ma fille, dit-il, il faudra faire attention. Je ne veux
pas qu'on danse après minuit ! Le carême commence le lendemain
et il faut faire pénitence.
Rose, folle de joie, embrassa son père et promit de respecter la
tradition. Elle passa le reste de la semaine à préparer sa
toilette, à décorer la salle. Enfin le mardi gras arriva.
Dans la campagne, les nouvelles vont vite. Quand on sut qu'il y
avait bal chez Latulipe, ce ne fut pas un seul violoneux qui se
présenta. Il en vint trois et des meilleurs !
Si bien que la fête fut magnifique. On riait, on dansait avec
tant d'ardeur et de plaisir que le plancher en craquait.
Au-dehors une tempête de neige s'était déclarée mais personne
n'y faisait attention. Le bruit des rafales de vent était
entièrement couvert par le son des violons qui entraînaient les
danseurs dans des cotillons et des rigodons étourdissants.
Rose était gaie comme un pinson : elle ne manquait pas une
danse, acceptant toutes les invitations. Son fiancé Gabriel se
sentait un peu délaissé mais, voyant sa Rose si heureuse et si
enjouée, il prit son mal en patience en songeant qu'ils seraient
bientôt unis pour la vie.
Tout à coup, au milieu d'un
rigodon, on entendit une voiture s'arrêter devant la porte.
Plusieurs personnes coururent aux fenêtres pour tenter de
distinguer le nouveau venu à travers la neige collée aux
carreaux.
Ils virent d'abord un magnifique cheval noir et puis un grand
gaillard tout couvert de neige et de frimas qui s'avança sur le
seuil. On s'arrêta de parler et de chanter et l'inconnu entra.
Il secoua la neige de ses bottes et de son manteau et on remarqua
l'élégance de son costume de fin velours tout noir.
- Puis-je m'arrêter dans votre maison quelques instants
demanda-t-il.
Le maître de maison, le père Latulipe, s'avança vers lui et
dit :
- Dégreyez-vous, monsieur, et venez vous divertir. Ce n'est pas
un temps pour voyager !
L'étranger enleva son manteau mais refusa de se débarrasser de
son chapeau et de ses gants.
- Une coutume de seigneur, chuchotèrent les curieux regroupés
autour de lui.
Tout le monde était impressionné par l'arrivée de ce nouveau
venu. Les garçons étaient pleins d'admiration pour le cheval
noir qui était attaché au poteau de la galerie. Ils lui
trouvaient le poil brillant et l'allure altière des pur-sang
mais ils s'étonnaient de constater que là où ses sabots
étaient posés, la neige avait fondu complètement. Drôle de
bête, pensaient-ils.
Les demoiselles, elles, examinaient en rougissant le bel homme
élégant. Chacune d'elles, dans le secret de son coeur,
espérait que ce survenant allait l'inviter à danser.
Mais c'est vers Rose qu'il alla.
- Mademoiselle, lui dit-il en la fixant de ses yeux de braise,
voulez-vous danser avec moi ?
Il va sans dire que Rose ne se fit pas prier, sentant peser sur
elle le regard de toutes ses compagnes qui l'enviaient. L'inconnu
entraîna aussitôt la jeune fille dans un quadrille, puis lui en
fit danser un autre ; les violoneux ne s'arrêtaient pas et on
enchaîna avec des reels et des cotillons.
Rose ne pouvait plus s'arrêter de danser : c'était comme si
elle ne pouvait plus se détacher des bras de son partenaire.
Tous les invités les regardaient évoluer ensemble en louant
leur élégance. Comblée de bonheur, Rose oublia totalement
Gabriel qui s'était retiré dans un coin, mal à l'aise.
- Voyons, donc, Gabriel ! lui lança Amédée, un jovial paysan,
en lui tendant un gobelet plein de caribou. Prends pas cet air
d'enterrement ! Sois gai, bois et profite de ta jeunesse !
Mais Gabriel eut beau boire plus que sa soif le lui commandait,
son coeur était douloureux. Et Rose, sa belle Rose, les joues en
feu, continuait de tourner avec le beau jeune homme.
Soudain, on entendit sonner le
premier coup de minuit. Le père Latulipe regarda l'horloge. Les
danseurs s'arrêtèrent et les violons se turent.
- Il est minuit, fit l'hôte. Le mercredi des Cendres est
arrivé, alors, je vous demande de vous retirer.
Rose vint pour se dégager mais son compagnon serra ses deux
mains dans les siennes.
- Dansons encore, lui murmura-t-il.
Rose ne voyait plus les gens autour d'elle qui retenaient leur
souffle. Ni sa mère, ni son père, ni Gabriel... Rose était
envoûtée par la voix et le regard de son compagnon et voilà
que, sans l'aide de la musique, les deux danseurs reprirent les
pas du cotillon et se remirent à danser, danser, danser...
Les autres s'étaient figés. Personne ne bougeait. L'hôte
hésitait à intervenir. Puis, le tourbillon ralentit.
L'étranger saisit un gobelet plein sur la table, le leva en
criant :
- À la santé de Lucifer !
Ses yeux lançaient des éclairs, une flamme bleue jaillit de son
verre, faisant reculer les invités effrayés. Mais il ne
lâchait pas Rose qu'il tenait fermement. Puis se penchant vers
elle, il déposa sur sa bouche un baiser brûlant.
Au même instant, le tonnerre éclata dans le ciel au-dessus du
toit ; dans un brouhaha de cris et de hurlements, la maison prit
feu. Dans la confusion qui suivit, on ne vit pas l'homme en noir
lâcher la main de Rose et s'enfuir dans la nuit sur son cheval.
Au petit matin, il ne restait que des cendres de la maison des
Latulipe. Et Rose, réfugiée chez les voisins, était vieillie
de cinquante ans. Ses cheveux bruns avaient la couleur de la
cendre. Ses joues roses et rebondies la veille étaient pâles et
toutes ridées. Et sur ses lèvres on voyait la trace d'une
brûlure toute fraîche. C'était la trace du baiser qu'elle
avait reçu du diable !