Le renard et le loup.

 

Le renard appartient au folklore de la région parisienne au moins depuis le Moyen Âge. (Une preuve en est, par exemple, qu'on situe son repaire à Mauperthuis, non loin de Melun, dans le célèbre Roman de Renart.
Le conte qui suit est pourtant un des rares contes d'animaux recueillis dans notre région d’Ile-de-France.

Pour une fois, le loup et le renard étaient tombés d'accord. Ensemble ils se mirent à l'affût et sautèrent sur la première chèvre qui commit l'imprudence de s'écarter du troupeau. La pauvrette n'eut même pas le temps de pousser un bêlement avant de passer de vie à trépas...
- Mangeons-la tout de suite, dit le loup glouton.
- Mais non, rétorqua le renard, on va la faire cuire chez toi, elle n'en sera que meilleure.
- D'accord.
Dans le repaire du loup, ils placèrent un chaudron sur le feu, avec la chèvre dedans... Le pot-au-feu se mit bientôt à bouillir, si bien que le loup s'en pourléchait les babines à l'avance.
Devant la mine de son compère, Renard ne put résister à l'envie de lui jouer un tour à sa façon :
- Passe donc l'écumoire, lui dit-il, moi je n'y vois pas trop clair.
Le loup prit l'ustensile de cuisine, se pencha au-dessus du chaudron. Alors, hop, d'une poussée vigoureuse, Renard le précipité dans la soupe bouillante, avant de s'enfuir, tout réjoui d'entendre l'autre hurler de douleur.
Le loup réussit à s'extirper du chaudron ; il lui fallut huit jours pour guérir de ses brûlures.
Le neuvième, il sortit de chez lui... et rencontra le renard, vers qui il se précipita, l'accusant avec véhémence de l'avoir malmené.
Le renard se défendit, raconta qu'il ne s'était rendu compte de rien ; et s'il avait quitté le repaire du loup, c'était pour laisser à son compagnon la chèvre tout entière :
- Tu comprends, je n'avais plus faim tout à coup...
Bref, il en dit tant qu'il embrouilla son compagnon :
- Faisons la paix, proposa-t-il pour conclure, et allons chercher une autre chèvre à croquer.
- Je te pardonne, dit le loup. Et j'accepte.
Ainsi fut fait, une deuxième chèvre attrapée, emportée, jetée dans la marmite au repaire du loup.
Mais, à nouveau, le renard ne put s'empêcher d'y précipiter aussi son compagnon lorsque ce dernier entreprit d'écumer la soupe. Il s'enfuit ensuite comme la première fois, riant plus fort encore.
Au neuvième jour qui suivit, le loup rescapé, bien que toujours endolori, rencontra à nouveau son bourreau sur le chemin ; cette fois, en se précipitant vers lui, il se fit menaçant :
- Je t'ai vu ! cria-t-il. Gare à toi, je vais te faire passer le goût des méchantes plaisanteries !
Renard recula, se défendit comme il le put :
- Je ne sais pas ce qui m'a pris, gémit-il, je n'avais pas ma tête à moi, tu sais, j'ai des ennuis de famille.
À nouveau, devant le discours du rusé, le loup finit par pardonner, à nouveau une chèvre paya de sa vie leur réconciliation...
Chez le loup, le renard essaya de résister à la tentation. Mais lorsqu'il vit pour la troisième fois le loup écumer la soupe sans méfiance, rien n'y fit : pour la troisième fois, le loup tomba dans le chaudron !
Seulement, le neuvième jour, lorsque le loup put sortir de son repaire et qu'il rencontra le renard, plein de furieuse colère, il ouvrit la gueule, ses dents pointues étincelèrent au soleil. Pas question de l’écoutez ! Renard frémit devant le danger :
- Attends, supplia-t-il, s'il te plaît, avant de me mettre à mal, laisse-moi d'abord aller à la messe. Que les portes du Paradis me soient au moins ouvertes !
- J'accepte, gronda le loup frémissant d'impatience. Mais je t'accompagne. Tu ne perds rien pour attendre.
À l'église, maître renard fit semblant de prier, le loup somnolait à ses côtés, mais seulement d'un oeil. Enfin le renard eut une idée : il regarda autour de lui, l'air ennuyé.
- Qu'as-tu ? demanda le loup, intrigué par son manège.
- Le sonneur n'est pas là, répondit le renard. Comment annoncer au monde que je fais pénitence ? Rends-moi ce service, compagnon, sonne la cloche à sa place.
- Je ne sais pas le faire.
- Mais si, c'est facile, regarde.
En un instant le rusé compère attacha la corde de la grosse cloche de l'église à la queue du loup et tira dessus de toutes ses forces.
La cloche s'ébranla, le loup se sentit soulevé de terre, queue en l'air et tête en bas. Arrivé à bonne hauteur, il retomba rudement au sol, avant de repartir encore vers le sommet du clocher, meurtri et affolé, criant à pleine gorge !
Renard riait comme un moine un jour de festin en regardant le pendu aller et venir dans les airs.
Mais il cessa de rire lorsque le loup réussit à se dégager, grâce à un effort désespéré, et se précipita vers lui, les yeux féroces. Là, il sentit sa dernière heure venue.
- Pitié ! gémit-il. Je comprends ta colère ! Avant de mourir accepte pourtant que je revoie une dernière fois ma femme et mes pauvres enfants, que je rédige aussi mon testament. S'il te plaît...
Le loup se laissa fléchir, tout en conservant son air cruel, et en répétant d'un ton résolu :
- Tu ne perds rien pour attendre !
Ils sortirent de l'église et s'en allèrent dans la forêt de Malvoisine, où se trouvait le terrier du renard.
Bien entendu, celui-ci avait une idée en tête. Lorsqu'ils furent à proximité de son gîte, il s'élança soudain vers le trou d'entrée et disparut sous terre. Le loup se précipita à sa suite, mais ne put entrer, le passage étant trop étroit pour lui !
Fou de rage, il hurla, courut, sauta de tous côtés. L'autre, maintenant bien à l'abri dans sa maison, se mit à rire de bon coeur.
Le loup finit par se calmer. Ne voulant pas s'avouer vaincu, il menaça :
- Attends que je ramasse du bois, je t'enfumerai !
- Merci, cria le renard, fais du feu, d'accord, j'ai justement un peu froid.
Le loup réfléchit :
- Je vais plutôt t'inonder; l'Yerres est proche, il me suffira de creuser un brin pour en détourner le cours.
- D'accord, approuva le renard, ne te gêne pas. Qu'il y ait beaucoup d'eau, j'ai grand soif.
Le loup gronda de contrariété, mais il n'était pas encore à bout de ressources.
- Je vais t'envoyer des pierres sur la tête !
- Jette, jette donc, les pierres me seront utiles, il me faut encore monter un mur pour finir ma maison.
Cette fois, le loup ne sut plus que répondre, et c'est le renard qui le conseilla :
- Allons, compère, si tu veux entrer chez moi, passe donc par la cheminée. Elle se trouve tout à côté du grand chêne, à ta droite...
Le loup se dit que le renard était bien sot de lui montrer ainsi le chemin. Il s'avança, découvrit l'extrémité de la cheminée à l'endroit dit, cachée dans les herbes hautes.
Babines retroussées, il sauta sans hésiter.. et aboutit en plein dans une marmite emplie d'eau sur laquelle retomba le couvercle.
Le feu se mit à crépiter, et c'est ainsi que le renard, faute d'avoir mangé trois moitiés de chèvre, mangea un loup tout entier.

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