Contes du Valois.
Gérard de Nerval évoque aussi dans ses souvenirs de jeunesse ces contes valoisiens. C'est lui, en particulier, qui situe la légende de saint Nicolas, à Clermont-sur-Oise.
LA LÉGENDE DE SAINT NICOLAS
Il était une fois, trois petits
enfants que leurs parents envoyèrent glaner dans les champs du
côté de Clermont-sur-Oise. Les enfants glanèrent tant, à
droite, à gauche, qu'à la fin ils se perdirent.
La nuit venue, fatigués, ils aperçurent enfin une lumière à
l'horizon. C'était celle du boucher du village. Ils frappèrent
à sa porte et demandèrent l'hospitalité.
- Entrez, entrez, dit le boucher avec empressement, la place chez
moi ne manque pas.
Tout en parlant il regardait dehors, de tous côtés, sans voir
personne. Le village entier dormait, nul ne vit les enfants
pénétrer dans sa maison. Il referma la porte.
Hélas, le boucher était un terrible criminel : les trois
enfants à peine entrés chez lui, il les tua sans pitié, les
hacha menu comme chair à pâté, les mit au saloir tels de
vulgaires pourceaux...
Sept années passèrent. Un jour le grand saint Nicolas vint à
Clermont-sur-Oise, frappa à son tour à la porte du boucher, lui
demandant de le loger.
- Entrez, entrez, s'empressa le boucher, la place chez moi ne
manque pas...
Saint Nicolas s'installa chez l'homme, demanda à souper. Le
boucher apporta du jambon. Saint Nicolas le repoussa, disant
qu'il n'était pas bon. Il repoussa aussi un rôti, disant qu'il
n'était pas cuit. Le boucher ne savait plus que lui offrir :
- Apportez-moi, dit saint Nicolas, la viande qui est au saloir
depuis sept ans.
Le boucher devint pâle d'épouvante et voulu s'enfuir.
- Ne t'enfuis pas, dit le grand saint Nicolas, repens-toi, Dieu
te pardonnera.
Et tandis que le boucher tombait à genoux et en larmes, saint
Nicolas posa trois doigts sur le bord du saloir :
- Réveillez-vous, fit-il d'une voix douce.
Aussitôt les trois petits enfants apparurent, en entier, comme
s'ils sortaient seulement d'un long sommeil. Le premier dit en
bâillant :
- J'ai bien dormi.
Le deuxième approuva :
- Et moi aussi.
Et le dernier ajouta d'une voix émerveillée :
- Je me croyais au paradis...
LE RETOUR DE LAUTREC
Dans la forêt près de
Chantilly, se dressait le château du sire de Pontarmé ;
celui-ci avait une fille qu'aimait un voisin, le beau Lautrec,
que sa fille aimait aussi.
Cela aurait pu n'être qu'une histoire d'amour si le sire de
Pontarmé s'était montré consentant.
Hélas, il dit :
- Ma fille, il te faut un époux riche et puissant ; Lautrec est
le plus pauvre chevalier que la terre ait jamais porté, il ne
possède seulement pas six deniers vaillants.
- Mon père, j'aime Lautrec et l'aimerai toujours, répondit la
jeune fille.
Le sire ne put la faire changer d'avis, quoiqu'il ajouta. En
désespoir de cause, furieux de la voir résister à sa volonté,
il appela son geôlier, et la fit enfermer dans une oubliette du
château, humide, où la lumière du jour n'entrait jamais.
Apprenant la disparition de celle qu'il aimait, le beau Lautrec,
désespéré, partit pour la Terre sainte, en croisade.
Le temps passa. Le sire de Pontarmé allait de temps àautre
rendre visite à sa fille. Chaque fois il lui demandait si elle
voulait changer d'amour, chaque fois elle répondait qu'elle
aimerait mieux mourir.
En vérité, elle s'affaiblissait, rongée par les maladies et la
vermine. Mais le sire restait comme elle, inébranlable. Aucun
des deux ne voulait céder.
Après sept ans, le chevalier Lautrec revint de Jérusalem. Sur
la route de Saint-Denis, tandis qu'il chevauchait, pensif, il
croisa un convoi funèbre. C'était la fille du sire de Pontarmé
qui venait de trépasser et qu'on menait au tombeau !
Terrible fut sa douleur, et terrible sa colère, si terrible
qu'elle fit fuir l'assistance, nobles et prêtres.
Lautrec resta seul devant le cercueil, pleurant des larmes
amères sur son amour perdu à jamais.
Après un temps de désespoir, il ouvrit le cercueil et déchira
le linceul de toile de lin à l'aide d'un couteau d'or. Il se
pencha vers la morte et l'embrassa, de toute sa tendresse.
Alors, miracle, la jeune fille ouvrit les yeux, sourit, se
dressa, et se jeta dans ses bras, ressuscitée par l'amour.
Tous ceux qui étaient venus pour l'enterrement, et qui
regardaient de loin levèrent joyeusement les bras au ciel. Et
les prêtres se réjouirent, criant :
- Au lieu de l'enterrer, nous allons la marier.
RENAUD, LE TUEUR DE FEMMES
Renaud possède de si grands
charmes, qu'il a charmé la fille du roi. Il l'a menée à sept
lieues de sa résidence, à cheval, sans lui dire un seul mot.
Elle, en chemin, elle dit qu'elle a faim et grand soif. Alors, en
riant, Renaud lui conseille de manger sa main et de boire son
sang, car jamais plus elle ne mangera de pain et ne boira de vin
blanc.
Au bord d'un bois profond, enfin ils s'arrêtent, et Renaud la
prévient :
- Il y a là-bas un vivier ou treize dames sont noyées. Vous
serez la quatorzième.
La fille du roi, bien que morte de peur, ne se laisse pas faire.
Près du vivier, alors qu'il tire l'épée hors de son fourreau,
c'est elle qui le pousse par le côté, le jette dans le vivier,
où il tombe, lâchant son arme !
À son tour de rire. Elle appelle :
- Venez, anguilles et tous poissons, manger la chair de ce larron
!
Renaud se débat pour ne point couler, il cherche à se rattraper
à une branche de laurier. La belle saisit l'épée, coupe la
branche sans pitié.
Renaud essaye de l'apitoyer :
- Tendez-moi la main, demain je vous épouserai.
- Va-t-en, Renaud, va-t-en au fond, épouser les treize dames qui
y sont...
Renaud ne sait plus que dire, sa résistance faiblit.
- Belle, qui vous ramènera chez vous ?
- Ce sera ton cheval grison, il connaît le chemin.
- Belle, que diront tes parents ?
- Je leur expliquerai que j'ai fait de toi ce que tu as voulu
faire de moi. Adieu Renaud...
Ainsi mourut Renaud, le tueur de femmes.