Les écoliers pendus.

 

Revenons à Pontoise, pour ne point en garder seulement un souvenir moqueur. Le petit conte qui suit existe en différentes versions.

Il était une fois, trois écoliers, trois frères qui revenaient de Paris à Pontoise. Trois écoliers joyeux, aimant peut-être trop la plaisanterie.
Ils rencontrèrent trois jeunes demoiselles, leur firent de grands saluts et de grands compliments, leur dirent qu'elles étaient belles, aimables et qu'ils aimeraient bien les revoir. Bref, leur insistance fut telle, que les trois demoiselles, effrayées, se sauvèrent, et allèrent porter plainte auprès des archers de la garde.
Le sergent lissa sa moustache et dit :
- Les écoliers deviennent trop impudents à la fin. Qu'on les arrête et qu'on les emprisonne !
Le juge, prévenu, décida :
- Ce n'est point assez de les emprisonner, on va les pendre ! Il faut faire dans la ville un exemple qui servira à tous.
Dans la prison de Pontoise, les trois frères étaient enfermés au fond d'un cachot. Ils regardaient tristement dans la rue par une ouverture garnie de gros barreaux. Le plus jeune des frères pleurait, tant il avait peur de mourir. L'aîné tentait de le consoler :
- Allons, tout espoir n'est pas perdu : nous avons un frère qui est le grand prévôt de Paris. Peut-être qu'il apprendra notre malheur et viendra nous sauver ?
Hors de la prison, passait une vieille, rassise comme un vieux pain, et méchante avec ça, la propre servante du juge.
Elle entendit les prisonniers et se précipita :
- Mon maître, mon maître... Savez-vous ce que disent les écoliers dans leur geôle ? Qu'ils ont un frère grand prévôt à Paris et qu'il viendrait à leur secours s'il connaissait leur malheur.
Le juge frappa du pied de contrariété :
- Puisqu'il en est ainsi, ils vont être pendus sans attendre. Faites sonner les cloches !
Toutes les cloches de Pontoise se mirent bientôt à tinter le glas. Elles tintaient si haut qu'à Paris le prévôt les entendit et demanda :
- Que se passe-t-il donc à Pontoise pour qu'on y mène si grand bruit ?
- Monseigneur, lui répondit-on, ce sont vos frères que l'on va faire mourir. Nous venons juste d'apprendre la nouvelle.
- Mes frères ! cria le prévôt, frappé en plein coeur.
Il se leva d'un bond.
- Qu'on selle mon cheval ! ordonna-t-il.
Et le voilà lancé au grand galop sur la route. Il pensait avec anxiété :
« Arriverai-je à temps ? Mon cheval est trop lent. »
Pourtant le cheval allait comme le vent.
Il croisa un postillon et lui demanda :
- Arriverai-je à temps ?
Le postillon baissa tristement la tête :
- J'ai grand peur que non, répondit-il.
Le prévôt frappa sa monture à grands coups d'éperons et une demi-heure ne passa point que Pontoise s'annonçait déjà.
Sur la grande place trois potences étaient dressées, hélas, deux des frères se balançaient au bout de leurs cordes.
Et le troisième, le plus jeune, encore en pleurs, montait les barreaux de l'échelle, poussé par le bourreau, en chemise, pieds nus.
- Mes frères ! hurla le prévôt, surgissant sur son cheval hors d'haleine. Qu'ont-ils fait, méchant juge, pour mériter une si lourde peine ?
Le juge trembla, le jeune frère dit la vérité... Le prévôt le délivra, puis mit un genou à terre, le chapeau à la main.
- Ils n'étaient point si coupables, murmura-t-il... Sainte Vierge, je ferai mettre à l'église des cierges aussi pesants qu'eux trois réunis, je ferai dire autant de messes qu'il y a de jours dans l'année, et je vous offrirai une couronne d'or si grande que mon cheval pourra tourner dedans...
Le prévôt releva les yeux en entendant le cri de joie que poussait son plus jeune frère : les deux autres étaient ressucités, ils se tenaient debout au pied de la potence, chacun portait un pigeon blanc sur l'épaule.


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