Dessous le laurier blanc.
Conte du Beauvaisis, qu'on retrouve également en Normandie, par exemple, sous la forme dune vieille chanson du folklore.
Dessous le laurier blanc, la
belle se promène. C'est le printemps, le soleil joue dans les
eaux de létang, la jeune fille rêve à un amoureux, à un
bal où elle ira peut-être un jour prochain... Elle sourit, des
oisillons pépient dans l'arbre, le chat s'avance, elle le
chasse.
- Va plus loin, mauvais.
La servante l'appelle :
- Vous devriez rentrer, mademoiselle, le soir tombe déjà.
- Attends un peu, il fait si bon dehors...
La belle va lentement vers la barrière. Elle entend des galops
de chevaux. Trois cavaliers paraissent, bardés de cuir, rudes et
fiers. Ils rient en la voyant.
- Bonjour, la belle. Quelle heureuse rencontre !
La jeune fille recule, le visage empourpré. Mais l'un des
cavaliers soudain se penche, la saisit à la taille, l'enlève,
la place devant lui sur la selle.
La belle crie, tente de se débattre. À peine entend-elle la
voix sonore des cavaliers :
- Il te faudra choisir entre nous trois !
Les chevaux hennissent, piqués par les éperons, s'élancent sur
la route.
La belle crie toujours son malheur, appelle en vain à son
secours, sa mère, son père. Les chevaux galopent, les cavaliers
tentent de la calmer :
- Ne pleure pas, tu seras heureuse...
Ils arrivent à Beauvais, à la porte d'une hôtellerie remplie
de monde, bruyante. Les cavaliers se font conduire dans un
cabinet particulier, traînant avec eux la belle qui pleure
encore et tremble de tout son corps. Lhôtesse lui demande,
comme si elle ne pouvait croire la réalité pourtant bien
visible :
- Êtes-vous ici par force, mademoiselle ?
- Au jardin de mon père, trois cavaliers m'ont pris...
Les cavaliers commandent à manger et à boire. La belle refuse
la moindre bouchée, la moindre gorgée. À la fin, les cavaliers
se fâchent.
- L'heure est venue, disent-ils. Nous allons te laisser seule un
instant, mais lorsque nous reviendrons, il faudra alors te
décider et choisir entre nous trois. Sinon, gare...
Ils sortent, la belle fixe sur eux un regard éperdu.
Lorsque les cavaliers reviennent, la jeune fille est étendue sur
le sol de tout son long, inerte, pâle et froide comme neige en
hiver.
- Elle s'est évanouie !
- Non, elle ne respire plus. Aucun souffle ne sort de sa bouche.
- Elle est morte...
Les trois cavaliers se relèvent, le visage grave.
- Que faire ? demande le premier.
- Je ne sais pas, dit le deuxième.
- Ramenons-la chez elle, propose le dernier, qui est aussi le
plus jeune.
Ils sont d'accord ; le jeune place le corps de la jeune fille sur
sa selle, et les chevaux repartent dans la nuit.
Le ciel est bas, plein de nuages... Les cavaliers déposent la
belle devant la barrière de sa maison, et s'en vont pour ne plus
revenir.
La lune est cachée, mais un chien aboie, flairant quelque chose.
Le père finit par le suivre dans le jardin. Malgré
l'obscurité, il découvre bientôt la belle étendue sur
l'herbe. Il se précipite, crie, appelle.
Bientôt la maison est pleine de pleurs et de gémissements ; on
emporte la jeune fille dans sa chambre, on la dépose doucement
sur son lit.
- Notre fille est morte, se lamentent les parents, nous n'avons
pas su veiller sur elle, nous sommes maudits.
Les servantes allument des cierges, un laquais court en quête
d'un curé...
Après trois jours et trois nuits, l'enterrement va se faire.
Soudain, la belle ouvre les yeux, sa poitrine se soulève. Au
chevet du lit, les parents crient au miracle, n'osent y croire,
pleurent de joie. La belle sourit, les appelle tendrement.
- Me voilà ressuscitée, mon père, ma mère, dit-elle. J'ai
fait la morte seulement pour garder mon honneur.
Dessous le laurier blanc, la belle à nouveau se promène. C'est
toujours le printemps, au soleil naissant ; les fleurs poussent,
des odeurs fortes s'exhalent de la terre... Mais la belle évite
de s'approcher trop près de la barrière du jardin.