Le Puits qui parle.
Jadis, la rue Amyot, à Paris, s'appelait la rue du Puits-qui-parle. Les méchantes langues disaient qu'un bourgeois excédé y avait noyé sa femme trop bavarde, mais la vérité est différente si l'on en croit le vieux conte.
Il était une fois deux soeurs,
la première se nommait Irmensule et la seconde Odette. Leur
père voulait les marier, surtout l'aînée Irmensule, qui était
sa préférée. Mais, par malheur, chaque prétendant qui se
présentait tombait amoureux d'Odette, sans doute plus dotée que
sa soeur de charme, d'esprit et de bonté.
Irmensule pleurait, Odette était confuse, et le père se mettait
régulièrement en colère, chassant les prétendants l'un après
l'autre...
Cela dura jusqu'au jour où le beau chevalier Raoul apparut dans
la maison. On lui présenta Irmensule, il regarda Odette. Et
cette fois Odette sentit battre son coeur plus vite.
Le père s'aperçut de la chose, Irmensule sanglotait,
désespérée, accusant sa soeur de tous les maux. Le père
décida de réagir avec énergie.
Voilà pourquoi, le jour même, Odette fut enfermée au fond d'un
cachot du couvent des Bénédictines, une bâtisse voisine de la
maison des deux soeurs.
Lorsque le chevalier revint en visite, on lui dit qu'Odette
était partie en Bretagne, rappelée par une vieille parente, et
qu'elle serait absente longtemps, très longtemps... Irmensule
avait revêtu ses plus beaux atours ; elle ne se montra avare ni
de sourires, ni de mines empressées, et le chevalier resta...
Ainsi commença-t-il à faire sa cour à la jeune fille,
peut-être en souvenir d'Odette qu'il ne pouvait oublier,
peut-être dans l'attente obscure de la voir tout de même
réapparaître. En attendant, Irmensule était folle de joie, et
le père se frottait les mains.
Cela dura jusqu'à un jour d'orage ; une pluie soudaine se mit à
tomber alors qu'Irmensule et son chevalier servant se promenaient
justement dans le jardin. Tous deux se réfugièrent en hâte
sous le toit de la margelle du puits pour éviter de se faire
trop mouiller.
Là, tout à coup, ô miracle, ils entendirent une voix qui les
glaça d'effroi. La voix gémissait, se lamentait, maudissait...
C'était la voix d'Odette, déformée, caverneuse...
La pauvrette était toujours enfermée dans le cachot du couvent
voisin, mais par une chance inouïe, ce cachot prenait le jour,
un pauvre jour, par une ouverture donnant dans le puits de la
maison de son père ! Irmensule et le chevalier se sauvèrent...
Le père fut mis au courant. Troublé, lui aussi, il se
précipita chez les Bénédictines, où on lui confirma qu'Odette
était toujours dans sa prison.
Le chevalier parti, il se mit aux aguets près de son puits, et
entendit à son tour la voix lointaine d'Odette, sans se douter
le moins du monde de la raison de ce phénomène inexplicable
pour lui...
Croyant en une quelconque sorcellerie, il alla prévenir le
prêtre de la paroisse. Le lendemain, il y eut une procession,
des prières en nombre, de l'eau bénite et des signes de croix.
Nombreux furent ce jour-là ceux qui entendirent une voix
indistincte monter du Puits-qui-parle. Et parmi eux à nouveau le
chevalier Raoul, tout triste et tout songeur.
Mais la cérémonie dut être efficace puisque le puits cessa de
parler désormais. Certains prétendirent avoir vu d'abord la
nuit venue, une ombre passer au-dessus du mur du jardin, une
ombre humaine portant autour de la taille comme une longue corde
enroulée. Nouveau mystère, une ombre entra et deux ombres
sortirent... à ce qu'il paraît.
Quoi qu'il en soit, on ne revit plus jamais Odette, comme
envolée de son cachot, ni le chevalier Raoul, lui aussi disparu
; Irmensule resta vieille fille jusqu'à la fin de sa vie.