La chèvre qui a pris le loup.

 

Conte de Seine-et-Marne, né, paraît-il, à Sammerron, Bezalles ou Chanteloup...

Biquette vivait heureuse au village ; on venait la traire chaque jour, le reste du temps elle batifolait sans soucis dans le pré où poussait de l'herbe grasse, juste en face de l'église.
De temps à autre, les volailles de la basse-cour voisine caquetaient d'inquiétantes nouvelles :
- Cot-cot, c'est comme je vous le dis, on a vu le loup dans les environs.
- Le loup, juste ciel, qui vous en a parlé ?
- Les voisines, au marché l'autre jour, lorsqu'on m'a vendue à votre fermière.
Biquette écoutait, un instant apeurée, puis reprenait confiance.
- Bah, ce ne sont que des rumeurs.
Ce qui l'ennuyait, c'était le pieu fiché en terre qui retenait la longue chaîne fixée autour de son cou. Comment fuir, si le loup venait ?
Bon, à force d'en parler, le loup finit par arriver. Un soir, Biquette entendit dans la basse-cour voisine en émoi, piailler, piauler, appeler au secours, chaque bête à sa façon...
Elle n'eut pas longtemps à attendre, avant de voir surgir dans son pré le terrible ennemi, au corps maigre, aux yeux cruels, la gueule ouverte montrant ses dents pointues.
Elle faillit défaillir, mais réagit tout de suite : elle tira sur sa chaîne de toutes ses forces, arc-boutée sur ses pattes. Le pieu résista, et le loup commença à se diriger vers elle, avec lenteur, comme s'il avait tout le temps devant lui, sans crainte de la voir fuir.
- Bêê !
Elle eut beau bêler à pleine gorge, personne ne l'entendit... Elle redoubla d'efforts pour arracher son entrave de terre ; le loup avançait toujours.
Soudain, la terre lâcha prise, le piquet sauta en l'air, Biquette se sentit libre. Aussitôt, elle s'enfuit. Le loup bondit derrière ; Biquette savait qu'en quelques bonds il l'aurait rejointe. Par bonheur, soudain, l'église se dressa devant elle ; elle vit la porte, s'y engouffra, le loup sur les talons de ses sabots.
Ce fut une belle poursuite parmi les bancs remués, le chemin de croix parcouru dix fois... La chèvre s'essoufflait, le loup heureusement s'accrochait les pattes à la chaîne et au pieu qui traînaient à la suite de la fuyarde.
À la fin, Biquette n'en pouvait plus. D'un dernier effort désespéré elle sauta dehors. Le piquet s'accrocha au battant de la porte ouverte. Et celui-ci par une chance folle, se referma sur le loup, coinçant sa tête entre le bois et le mur.
Le loup hurla, Biquette se tourna, arrêtée dans son élan. Elle vit le loup prisonnier, elle tira plus fort encore sur sa chaîne. Du coup, le loup, à moitié étouffé, ne put que se taire, les yeux exorbités.
Biquette sans lâcher prise bêla, et bêla encore, jusqu'au moment où ses cris désespérés firent enfin accourir les villageois qui mirent le loup à mal.
Ainsi le faible eut raison du fort. De plus, Biquette gagna la considération respectueuse des pensionnaires de la basse-cour voisine.


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