Les marchands trop malins.

 

Conte de Beaumont-sur-Oise

Il fait chaud, l'étape est longue. Les deux marchands auvergnats sont encore loin de Beaumont où se tient le marché.
- Nous n'arriverons jamais à temps, dit le premier.
- Je n'y peux rien, réplique le deuxième ; au lieu de parler, relève le sac de ton côté, j'en ai plus que ma part...
L'autre proteste, mais tire un peu sur son bras. C'est que les deux marchands portent ensemble un sac empli de marchandises, qui semble lourd, à voir leurs visages crispés, leurs silhouettes pliées, leurs pas hésitants.
Ils se taisent, reprennent leur marche, une main tenant le sac et l'autre le bâton sur lequel ils s'appuient.
Le temps passe, il fait toujours aussi chaud, le chemin semble interminable.
Tout à coup, ils entendent derrière eux un bruit. C'est seulement un homme qui va, bien vêtu, l'allure fière.
L'homme les dépasse avec un petit salut qu'ils lui rendent machinalement...
L'homme est devant eux maintenant... Ils se regardent, ils ont au même instant la même pensée. Lâchant leur fardeau, ils s'élancent, ragaillardis, le bâton haut levé. Ils crient :
- Holà, arrête-toi !
L'homme se tourne :
- Que me voulez-vous ?
Ils l'empoignent.
- Tu vas le voir !
Ils l'entraînent jusqu'au sac à terre :
- Ramasse-le ! crient-ils. Tu vas le porter à notre place. Chacun son tour !
L'homme se rebiffe, mais ils agitent leurs armes :
- Dépêche-toi, sinon gare !
L'homme ne peut faire autrement qu'obéir. Lorsqu'il a le sac sur le dos, les marchands le pressent.
- Allons, marche, plus vite, sans faiblir !
L'homme est fort. Réfrénant sa colère, il avance, portant le lourd fardeau... Les marchands crient, contents de leur idée, se moquant de leur victime.
Ils arrivent ainsi à Beaumont-sur-Oise, sur la place du marché. Il est midi.
- Ça va, disent les auvergnats. Tu peux partir à présent.
Ils rient toujours de leur bonne farce. L'homme leur jette un drôle de regard, pose le sac à terre et s'en va sans un mot.
- C'est pas tout, dit le premier marchand, on déballe la marchandise.
Ils s'empressent... Mais ils n'ont pas fini que déjà de lourdes pattes s'abattent sur leurs épaules tandis qu'une rude voix crie à leurs oreilles :
- Debout ! Suivez-nous...
Ce sont des gardes. Il faut obéir.
- Où nous menez-vous ?
- Le Seigneur de la ville veut vous voir..
Le seigneur de la ville... Le voici, ils le reconnaissent et pâlissent. C'est, bien sûr, l'homme de bonne mine rencontré sur le chemin et qui transporta leur sac de force.
- Qu'on les pende, dit seulement le seigneur.
Ce qui fut fait dès qu'on acheva de dresser la potence.
Un spectateur tira la moralité de l'histoire en déclarant :
- Ville de Beaumont, ville de malheur. Arrivés à midi, pendus à une heure.


Retour