L'enfant qui gaspilla son bien.
Rarement un conte a été aussi célèbre que celui du Retour de l'enfant prodigue. Cette version est établie à partir d'un texte et d'un chant connus par toute l'Ile-de-France.
Le fils s'ennuyait dans la
maison de son père. Un jour, il prit son courage à deux mains
pour aller le trouver :
- Mon père, je veux partir d'ici.
- Partir ? Pourquoi donc ? N'es-tu pas heureux au sein de ta
famille ? De quoi te plains-tu ?
Le garçon baissa la tête, l'air têtu de celui à qui rien ne
fera changer d'avis. Il répéta :
- Je veux partir. Ce n'est pas une vie de travailler du matin au
soir, de se voir reprocher la moindre peccadille, d'être
habillé comme un valet. J'ai passé l'âge de tout cela.
- Mon fils, c'est pour ton bien que je suis ferme avec toi. Et
puis, si tu pars, songe à notre douleur, celle de ta pauvre
mère, celle de nos parents, de nos amis les plus chers.
- Je veux vivre ma vie ! Mon père, vous êtes riche. Donnez-moi
la part qui me revient, je vous prie. Et consentez à mon
départ.
- Comme tu le voudras...
Le garçon se vit bientôt les mains et les poches pleines
d'écus sonnants et trébuchants. La joie qu'il en éprouva
l'empêcha de prêter attention à la tristesse de son père, qui
ne pouvait que murmurer en soupirant :
- Adieu donc, coeur obstiné, adieu pauvre garçon, ton
égarement m'accable...
Le garçon s'enfuit donc, courut en premier chez le tailleur, le
bottier, le barbier, le marchand de pierres précieuses. Bientôt
il fut vêtu comme un prince, de velours et de soie, poudré,
portant une montre d'or au gousset, des diamants piqués à la
cravate.
- À moi les belles dames, à moi les joyeux compagnons.
L'or, tel un aimant attira vers lui les femmes de mauvaise vie,
les faux amis en grand nombre. Tous le flattaient à qui mieux
mieux, le couvraient de louanges, vantaient son esprit, ses
idées... Les folles journées passèrent comme un rêve, faites
de plaisirs recherchés, de soupers fins, de jeux, de danses...
Cela dura autant que dura l'or du fils prodigue, lequel ne voyait
pas les écus filer entre ses doigts, enivré qu'il était à la
fois de vin et de bien-être.
Et puis, la dernière pièce dépensée, le garçon se retrouva
seul, les belles dames en allées, les faux amis aussitôt
disparus sans au revoir, partis vers d'autres nigauds à plumer.
« Oh, le triste changement, pensa-t-il, la bouche amère. Après
un train si charmant, je ne vois plus personne à ma suite. Ceux
qui me faisaient la cour ont pris la fuite, les ingrats, aucun ne
m'a proposé son aide, si faible soit-elle. Ils m'ont déjà
oublié... »
Ses bijoux avaient été volés... Lorsqu'il eut vendu ses beaux
costumes, ses chemises de soie, il ne resta plus rien au pauvre
garçon.
Vêtu seulement d'un méchant habit, il dut se louer pour
subsister comme gardien d'un troupeau de cochons. Son maître lui
donnait à peine la nourriture, le traitait mal. Le fils prodigue
dormait dans la soue puante avec ses bêtes.
Plein de honte et de remords, il soupirait :
« Ici, je meurs de faim, faute d'un morceau de pain, tandis que
chez mon père jamais rien ne me faisait défaut ; le dernier des
valets, chez lui, mangeait autant qu'il le voulait... »
Il s'endormait, les larmes aux yeux, transi de froid, le ventre
criant famine.
À la fin, n'en pouvant plus, il fit taire son orgueil, laissa
tomber ses pourceaux, et s'en alla vers la maison de son père,
si faible qu'il lui fallut un bâton pour l'aider à marcher.
Arrivé près du seuil, il resta longtemps appuyé contre un mur,
sans oser frapper à la porte. Heureusement , un domestique finit
par sortir, et le vit. Les yeux pleins de surprise, il battit en
retraite, courut trouver son maître :
- Monsieur, monsieur, devinez qui je viens de voir, votre fils en
personne !
Le père devint tout pâle :
- Où cela ? demanda-t-il d'une voix emplie d'émotion.
- Dehors, monsieur, dehors.
Le père se précipita, ouvrit la porte, découvrit son fils, et
dans quel triste état !
Le voyant, ce dernier tomba à genoux, baissant la tête :
- Mon père, pardonnez-moi, je me suis mal conduit, je vous ai
causé du chagrin. Si vous voulez encore de moi puisque je suis
votre fils, je vous promets d'être soumis, de travailler de bon
coeur désormais.
- Entre, dit le père, les bras grands ouverts. Entre, tu es ici
chez toi, ici est ta maison. Embrasse-moi, mon coeur est heureux,
j'ai oublié le passé. Holà, les laquais, allez chercher des
souliers pour mettre aux pieds de mon fils, un habit, et une
bague dans ma garde-robe. Mon fils est de retour, qu'on prépare
un festin, qu'on tue le veau gras, qu'on invite parents et amis
à la fête !