La pantoufle de la princesse.


I1 était une fois un homme et sa femme, qui avaient deux fils et qui étaient bien pauvres. Le père étant mort, sa femme et ses enfants ne purent lui faire dire une messe, faute d'argent. Depuis ce moment, on entendit chaque soir des coups frappés dans divers endroits de la maison : c'était le père qui revenait et demandait des prières.
Un jour que le plus jeune des deux fils priait sur la tombe de son père, il vit un petit oiseau voltiger près de lui ; il voulut l'attraper, l'oiseau s'envola à quelque distance. Le jeune homme se mit à sa poursuite, et il se laissa entraîner si loin, qu'à la fin de la journée il se trouva au milieu d'un grand bois. La nuit vint ; le jeune homme monta sur un chêne pour y dormir en sûreté, et il y était à peine qu'il vit trois hommes s'approcher de l'arbre : l'un portait du pain, l'autre de la viande et du vin, le troisième du feu. Ils ramassèrent du bois, l'allumèrent et firent un grand brasier pour y faire cuire leur viande. Or, ces hommes étaient des voleurs.
Ils vinrent à parler d'un château qu'ils voulaient aller piller ; une seule chose les embarrassait, c'était un petit chien qui gardait la porte du château et aboyait à tout venant. Il s'agissait de savoir qui tuerait ce chien ; aucun d'eux ne voulait s'en charger. Comme ils se disputaient, ils levèrent les yeux et aperçurent le jeune homme sur son arbre. Ils lui crièrent de descendre. « C'est toi », lui dirent-ils, « qui tueras le petit chien ; si tu ne veux pas, nous te tuerons toi-même. - Je ferai ce qu'il vous plaira », répondit le jeune homme.
En effet, il tua le petit chien et s'introduisit dans le château par un trou qu'il fit dans le mur. Les voleurs lui passèrent une hache afin qu'il brisât la porte ; mais il les engagea à entrer par le trou qu'il venait de faire. Un des voleurs s'y étant glissé, le jeune homme lui abattit la tête d'un coup de sa hache et tira le corps en dedans. « A votre tour », dit-il au second ; « dépêchons.» Et il lui coupa aussi la tête. Le troisième eut le même sort.
Cela fait, le jeune homme entra dans une chambre, où il trouva une belle princesse qui dormait. Il passa dans une autre chambre, où était aussi une princesse endormie, plus belle encore que la première. Parvenu dans une dernière chambre, il vit une troisième princesse, également endormie, qui était encore plus belle que les deux autres. Le jeune homme prit une des pantoufles de cette princesse et sortit du château. De retour à la maison, il fit dire une messe pour son père.

Cependant, la plus belle des trois princesses aurait bien voulu savoir qui avait pénétré dans le château et enlevé sa pantoufle. Elle fit bâtir une hôtellerie sur la porte de laquelle était écrit : Ici l'on boit et mange pour rien, moyennant qu'on raconte son histoire. Un jour, le jeune homme s'y trouva avec sa mère et son frère. Survint la princesse, qui demanda d'abord à l'aîné de raconter son histoire. L'aîné dit : « Je suis charbonnier ; tous les jours de ma vie je vais au bois pour faire du charbon : voilà toute mon histoire. - Et vous », dit-elle au plus jeune, « qu'avez-vous à raconter ? »
Le jeune homme commença ainsi : « Un jour, des voleurs voulurent entrer dans un château ; ce château était gardé par un petit chien, qui aboyait à tout venant. Ils m'ordonnèrent de tuer ce petit chien, ce que je fis. »
La mère du jeune homme lui disait de se taire, mais la princesse l'obligea à poursuivre.
« Quand les voleurs », continua-t-il, « voulurent ensuite pénétrer dans le château, je les tuai l'un après l'autre. J'entrai dans une chambre, où je trouvai une belle princesse qui dormait ; puis dans une seconde, où était aussi une princesse endormie, plus belle encore que la première ; enfin, dans une dernière chambre, où je vis une troisième princesse, également endormie, encore plus belle que les deux autres. Je pris la pantoufle de cette princesse, et je sortis du château. Cette pantoufle, la voici. »
A ces mots, la princesse, toute joyeuse, montra l'autre pantoufle. Quelque temps après, elle épousa le jeune homme.

E. Cosquin, Contes populaires de Lorraine, 1886


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Jeanne et Brimboriau.


Un jour, un mendiant passait dans un village en demandant son pain ; il frappa à la porte d'une maison où demeurait un homme appelé Brimboriau avec Jeanne sa femme. Jeanne, qui se trouvait seule à la maison, vint lui ouvrir : « Que demandez-vous ? - Un morceau de pain, s'il vous plaît. - Et où allez-vous ? - Je m'en vais au Paradis. - Oh ! bien », dit la femme, « ne pourriez-vous pas porter une miche de pain et des provisions à ma soeur qui est depuis si longtemps en Paradis ? Elle doit manquer de tout. Si je pouvais aussi lui envoyer des habits, je serais bien contente. - Je vous rendrais ce service de tout mon coeur », répondit le mendiant, « mais jamais je ne pourrai me charger de tant de choses. Il me faudrait au moins un cheval. - Qu'à cela ne tienne ! » dit la femme, « prenez notre Finette, vous nous la ramènerez ensuite. Combien vous faut-il de temps pour faire le voyage ? - Je serai revenu dans trois jours. »
Le mendiant prit la jument et partit, chargé d'habits et de provisions. Bientôt après, le mari rentra. « Où donc est notre Finette ? » dit-il. « Ne t'inquiète pas », dit la femme ; « tout à l'heure il est venu un brave homme qui s'en va au Paradis. Je lui ai prêté Finette pour qu'il porte à ma soeur des habits et des provisions, elle doit en avoir grand besoin. Je lui en ai envoyé pour longtemps. Ce brave homme reviendra dans trois jours. »
Brimboriau ne fut guère content ; pourtant il attendit trois jours, et, au bout de ce temps, ne voyant pas revenir la jument, il dit à sa femme de se mettre à sa recherche avec lui. Les voilà donc tous les deux à battre la campagne. En passant près d'un endroit où l'on avait enterré un cheval, Jeanne vit un des pieds qui sortait de terre. « Viens vite », cria-t-elle à son mari ; « Finette commence à sortir du Paradis. » Brimboriau accourut, et, quand il vit ce que c'était, il fut fort en colère.
Sur ces entrefaites, survinrent des voleurs qui emmenèrent Brimboriau et sa femme. Les pauvres gens trouvèrent moyen de s'échapper, et emportèrent en se sauvant une porte que les voleurs avaient enlevée d'une maison. Comme il se faisait tard, ils montèrent tous les deux sur un arbre pour y passer la nuit, Brimboriau tenant toujours sa porte. Bientôt après, le hasard voulut que les voleurs vinssent justement sous cet arbre pour compter leur argent. Pendant qu'ils étaient assis tranquillement, Brimboriau laissa tomber la porte sur eux. Les voleurs effrayés se mirent à crier : « C'est le bon Dieu qui nous punit !» Et ils s'enfuirent en abandonnant l'argent. Brimboriau s'empressa de le ramasser, et dit à sa femme : « Ne nous fatiguons plus à chercher Finette , nous avons maintenant de quoi la remplacer. »

E. Cosquin, Contes populaires de Lorraine, 1886


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Les trocs de Jean-Baptiste.


Il était une fois un homme et sa femme, Jean-Baptiste et Marguerite. « Jean-Baptiste », dit un jour Marguerite, « pourquoi ne faites-vous pas comme notre voisin ? il troque sans cesse et gagne ainsi beaucoup d'argent. - Mais », dit Jean-Baptiste, « si je venais à perdre, vous me chercheriez querelle. - Non, non », répondit Marguerite, « on sait bien qu'on ne peut pas toujours gagner. Nous avons une vache, vous n'avez qu'à l'aller vendre. »
Voilà Jean-Baptiste parti avec la vache. Chemin faisant, il rencontra un homme qui conduisait une bique. « Où vas-tu, Jean-Baptiste ? - Je vais vendre ma vache pour avoir une bique. - Ne va pas si loin, en voici une. » Jean-Baptiste troqua sa vache contre la bique et continua son chemin.
A quelque distance de là, il rencontra un autre homme qui avait une oie dans sa hotte. « Où vas-tu, Jean-Baptiste ? - Je vais vendre ma bique pour avoir une oie. - Ne va pas si loin, en voici une. » Ils échangèrent leurs bêtes, puis Jean-Baptiste se remit en route.
Il rencontra encore un homme qui tenait un coq. « Où vas-tu, Jean-Baptiste ? - Je vais vendre mon oie pour avoir un coq. - Ce n'est pas la peine d'aller plus loin, en voici un. » Jean-Baptiste donna son oie et prit le coq.
En entrant dans la ville, il vit une femme qui ramassait du crottin dans la rue. « Ma bonne femme », lui dit-il, « gagnez-vous beaucoup à ce métier-là ? - Mais oui, assez », dit-elle. - « Voudrez-vous me céder un crottin en échange de mon coq ? - Volontiers », dit la femme. Jean-Baptiste lui donna son coq, emporta son crottin et alla sur le champ de foire ; il y trouva son voisin. « Eh bien ! Jean-Baptiste, fais-tu des affaires ? - Oh ! je ne ferai pas grand'chose aujourd'hui. J'ai changé ma vache contre une bique. - Que tu es nigaud ! mais que va dire Marguerite ? - Marguerite ne dira rien. Ce n'est pas tout : j'ai changé ma bique contre une oie. - Oh ! que dira Marguerite ? Marguerite ne dira rien. Ce n'est pas encore tout : j'ai changé mon oie contre un coq, et le coq, je l'ai donné pour un crottin. - Le sot marché que tu as fait là ! Marguerite va te quereller. - Marguerite ne dira rien. - Parions deux cents francs : si elle te cherche dispute, tu paieras les deux cents francs sinon, c'est moi qui te les paierai. » Jean-Baptiste accepta, et ils reprirent ensemble le chemin de leur village.
« Eh bien ! Jean-Baptiste », dit Marguerite, « avez-vous fait affaire ? - Je n'ai pas fait grand'chose : j'ai changé ma vache contre une bique. - Tant mieux. Nous n'avions pas assez de fourrage pour nourrir une vache ; nous en aurons assez pour une bique, et nous aurons toujours du lait. - Ce n'est pas tout. J'ai changé ma bique contre une oie. - Tant mieux encore, nous aurons de la plume pour faire un lit. - Ce n'est pas tout. J'ai changé l'oie contre un coq. - C'est fort bien fait, nous aurons toujours de la plume. - Mais ce n'est pas encore tout. J'ai changé le coq contre un crottin. - Voilà qui est au mieux. Nous mettrons le crottin au plus bel endroit de notre jardin, et il y poussera de quoi faire un beau bouquet. »
Le voisin, qui avait tout entendu, fut bien obligé de donner les deux cents francs.

E. Cosquin, Contes populaires de Lorraine, 1886


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La fille du meunier.


Un jour, un meunier et sa femme étaient allés à la noce. Leur fille, restée seule au moulin, alla chercher sa cousine pour venir coucher avec elle. Pendant qu'elles disaient leurs prières, la cousine aperçut deux hommes sous le lit. « Tiens ! » pensa-t-elle, « ma cousine vient me chercher pour coucher avec elle, et il y a quelqu'un sous son lit. » Puis elle dit tout haut : « Ma cousine, je vais aller mettre ma chemise, que j'ai oubliée chez nous. - Je peux bien vous en prêter une des miennes. - Merci, ma cousine ; je n'aime pas à mettre les chemises des autres. - Revenez donc bientôt. - Oui, ma cousine. »
La fille du meunier l'attendit longtemps. Enfin, ne la voyant pas revenir, elle se décida à se coucher. Tout à coup les deux voleurs sortirent de dessous le lit en criant : « La bourse ou la vie ! - Nous n'avons point d'argent », dit la jeune fille, « mais nous avons du grain : prenez-en autant que vous voudrez. » Ils montèrent au grenier. Comme il n'y avait pas de cordes aux sacs, la jeune fille leur dit d'aller au jardin chercher de l'osier pour les lier, et, quand ils furent sortis, elle ferma la porte.
Les voleurs avaient une main de gloire, mais la jeune fille ayant eu soin de pousser le verrou, ils ne purent rentrer. « Ouvrez-nous », lui crièrent-ils. - Passez-moi d'abord votre main de gloire par la chatière. » L'un des voleurs la passa, et, tandis qu'il avait la main sous la porte, la jeune fille la lui coupa d'un coup de hache. Aussitôt les deux compagnons prirent la fuite.
Au point du jour, on entendit le violon : c'était les gens de la noce qui revenaient. Le meunier et sa femme étant rentrés au logis, la jeune fille ne leur dit rien de ce qui lui était arrivé.
Quelque temps après, le voleur dont la main avait été coupée se présenta pour demander la jeune fille en mariage. Il s'était fait faire une main de bois, qu'il avait soin de tenir toujours gantée ; il se disait le fils de M. Bertrand, qui était un homme considéré dans le pays : aussi les parents de la jeune fille furent-ils très flattés de sa demande.
Le voleur dit un jour à la jeune fille : « Venez donc voir mon beau château au coin du petit bois. - J'irai ce soir », répondit-elle, mais elle resta à la maison. Quand le voleur revint, il lui dit : « Vous n'êtes pas venue au château ; vous m'avez manqué de parole. - Que voulez-vous ? » répondit-elle, « je n'ai pu y aller ; j'irai demain... Mais pourquoi portez-vous toujours un gant ? - C'est que je me suis fait mal à la main », dit le voleur.
Le lendemain, la jeune fille monta en voiture avec un cocher et un laquais. Au coin du petit bois, elle vit une maison d'apparence misérable. « Voilà », dit-elle, « une triste maison. Restez ici, mon cocher, mon laquais ; je vais voir ce que c'est. » Elle alla donc seule vers la maison et aperçut en y entrant sa cousine, que le voleur égorgeait. « Pour Dieu ! pour Dieu ! » criait-elle, « laissez-moi la vie ! jamais je ne dirai à ma cousine qui vous êtes. - Non, non ! qu'elle vienne, et elle en verra bien d'autres ! » La fille du meunier, qui était entrée sans être remarquée, se hâta de sortir en emportant le bras de sa cousine que le voleur venait de couper. Il y avait sous la table une trentaine de gens ivres, mais personne ne la vit.
Mon cocher, mon laquais », dit la jeune fille, « fuyons d'ici ; c'est un repaire de voleurs. » De retour au moulin, elle raconta ce qu'elle avait vu. Comme le prétendu devait venir le soir même, on appela les gendarmes, on les habilla en bourgeois et on les fit passer pour des amis de la maison.
En arrivant, le voleur dit à la jeune fille : « Vous m'avez encore manqué de parole ; vous n'êtes pas venue voir mon château. - C'est que j'ai eu autre chose à faire », répondit-elle. Vers la fin du repas, le voleur lui dit : « Entre la poire et la pomme, il est d'usage que chacun conte son histoire : mademoiselle, contez-nous donc quelque chose. - Je ne sais rien », dit-elle, « contez vous-même. - Mademoiselle, à vous l'honneur de commencer. - Eh bien ! je vais vous raconter un rêve que j'ai fait. Tous songes sont mensonges ; mon bon ami, vous ne vous en fâcherez pas. - Non, mademoiselle. »
« Je rêvais donc que vous m'aviez invitée à venir voir votre château. J'étais partie en voiture avec mon cocher et mon laquais. Au coin du petit bois, je vis une maison d'apparence misérable. Je dis alors à mon cocher et à mon laquais de m'attendre, et j'entrai seule dans la maison. J'aperçus mon bon ami qui tuait ma cousine. Tous songes sont mensonges ; mon bon ami, ne vous en fâchez pas. - Non, mademoiselle. - " Pour Dieu ! pour Dieu ! " » criait-elle, " laissez-moi la vie! jamais je ne dirai à ma cousine qui vous êtes. - Non, non, qu'elle vienne, et elle en verra bien d'autres !" Je ramassai le bras de ma cousine que mon bon ami venait de couper, et je m'enfuis. Messieurs, voici le bras de ma cousine. »
Les gendarmes saisirent le voleur, et on le mit à mort, ainsi que toute sa bande.

E. Cosquin, Contes populaires de Lorraine, 1886


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