Le loup et les biquets.


La Chèvre eut un jour besoin d'aller à la ville vendre son beurre et son fromage.
« Dès que je serai dehors, dit-elle à ses biquets, fermez bien la porte au verrou et n'ouvrez que si l'on vous montre patte blanche. »
Les biquets promirent d'obéir, et la mère les embrassa et les quitta.
Comme elle passait près du bois, compère le Loup l'aperçut.
« Tiens, la Chèvre qui s'en va à la ville ! Ses biquets doivent être seuls au logis. Si je pouvais les croquer, cela tomberait bien, il y a deux jours que je n'ai pas mangé. »
Et le Loup alla frapper à la porte de la Chèvre.
Pan, pan, ouvrez ! dit-il en contrefaisant la voix de cette dernière.
- Qui est là ?
- C'est moi, votre mère, qui reviens du marché.
- Montrez patte blanche et nous vous ouvrirons.
- J'ai oublié mon panier ; Je vais revenir, dit le Loup en se grattant la tête. »
Puis il alla trouver le compère Renard et lui exposa l'affaire.
« Ce n'est que cela ? j'ai là un sac de farine, trempez-y votre patte et tout sera dit.
- Tu as raison, l'ami, les biquets seront bien attrapés ! »
Sa patte blanchie, le Loup alla frapper à la porte de la Chèvre.
« Pan, pan, ouvrez !
- Qui est là ?
- Votre mère, la Chèvre.
- Montrez-nous patte blanche et nous vous ouvrirons. »
Le Loup passa la patte sous la porte mais dans le chemin, la farine était partie et la patte était noire. Les biquets refusèrent d'ouvrir.
Le pauvre compère retourna demander avis au Renard.
« Ami, déguise-toi en pèlerin, pour sûr qu'on t'ouvrira.
- Mais des habits ?
- J'en ai là de vieux ; je vais te les donner. »
Le Renard habilla le Loup qui pour la troisième fois alla frapper à la porte de la cabane.
La Chèvre était revenue et les biquets lui avaient raconté ce qui était arrivé en son absence.
« Vous avez bien fait de ne pas ouvrir, c'était sans doute le Loup qui venait pour vous croquer. S'il revient, il me le paiera, allez ! »
Et la Chèvre prit une botte de paille et un fagot et les mit dans la cheminée. En ce moment le Loup revenait.
« Pan, pan, ouvrez !
- La porte est fermée et notre mère est à la ville avec la clef. Nous ne pouvons ouvrir. Mais qui êtes-vous ?
- Un pauvre pèlerin qui revient de Jérusalem.
- Nous regrettons bien... mais vous pourriez passer par la cheminée.
- C'est une bonne idée ! dit le Loup. »
Le compère grimpa sur le toit et de là descendit dans la cheminée. Aussitôt la Chèvre alluma la paille et le fagot et le malheureux Loup tomba mort dans le foyer.
La mère et ses biquets le prirent et le jetèrent noir comme boudin dans la rivière voisine.

Henry Carnoy, Contes français, 1885


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Les trois roses et les trois chiens.


Un brave pêcheur vivait tant bien que mal du maigre produit de sa pêche avec sa femme et ses trois enfants.
Il avait beau se lever matin, prendre ses filets et revenir fort tard de la pêche, il ne rapportait jamais que quelques petits poissons qu'à peine il pouvait vendre. Depuis quelques jours surtout, il ne jouait que de malheur et la misère était grande dans sa chaumière.
Ne sachant à quel saint se vouer, le pêcheur avait conduit sa barque dans un endroit isolé au pied d'un gros rocher, et, tout en maudissant son existence, il avait jeté ses filets. En les retirant, il sentit une résistance inaccoutumée et il fut tout étonné de ramener un poisson énorme tel que jamais il n'en avait vu. Sa surprise fut bien plus grande quand il entendit le poisson lui dire :
« Je suis le Roi des poissons et c'est moi qui t'ai jusqu'à présent rendu si malheureux à la pêche en éloignant mes sujets de ta barque. Si tu me fais mourir et que tu me manges avec ta femme et tes enfants, il t'en arrivera bonheur. Tu détruiras un charme qui me tient depuis longtemps dans un corps de poisson et je trouverai moyen de t'en récompenser. Rentre chez toi, mets-moi à frire et conserve mes os que tu enterreras juste au milieu de ton jardin. Tu trouveras un trésor en cet endroit. De ma tête sortiront trois chiens fidèles ; tu en donneras un à chacun de tes fils. Puis trois rosiers sortiront de terre ; que chacun de tes enfants ait le sien. Ces rosiers porteront des feuilles et des fleurs d'un bout de l'année à l'autre. Quand un danger menacera l'un de tes fils, son rosier languira et semblera sur le point de mourir. Fais ton profit de ce que je viens de te dire et retourne chez toi. »
Dès qu'il eut cessé de parler, le Roi des poissons mourut.
Rentré chez lui, le pêcheur raconta à sa femme et à ses trois enfants la bonne fortune inespérée qui venait de lui échoir. Puis on s'occupa de préparer l'énorme poisson dont bientôt il ne resta plus que la tête, les os et les nageoires. Un trou fut creusé au milieu du jardin et l'on y trouva un grand coffre rempli d'argent, d'or et de diamants. Puis le pêcheur y enterra ce qui restait du Roi des poissons.
Lorsque le lendemain matin l'homme alla au jardin, il y trouva trois beaux chiens qui le suivirent à la maison.
Il en donna un à chacun de ses fils, selon la recommandation du Roi des poissons. Il en fut de même pour les trois rosiers qui, quelques jours après, poussèrent à l'endroit où les os avaient été déposés.
Le pêcheur n'était plus le pauvre homme d'autrefois. A la place de sa chaumière, il avait fait bâtir un magnifique château. L'aîné de ses fils s'était marié à une riche héritière et les trois rosiers étaient tout couverts de feuilles et de fleurs.
Un jour l'aîné, étant allé à la chasse, trouva un superbe château complètement inconnu des gens des environs. Il en parla le soir à sa femme.
« Oh ! je sais ce que c'est ; mon père m'a dit autrefois que ce château était habité par une vieille sorcière, et que tous ceux qui avaient voulu y entrer n'en étaient pas revenus.
- Je voudrais bien savoir ce que peut renfermer le château et j'ai l'intention de tenter l'aventure dès demain.
- Je t'en prie, ne l'essaie pas. Tu ne reviendrais jamais.
- C'est décidé. Demain je prendrai mon chien et je saurai à quoi m'en tenir. »
Et, malgré les supplications de sa femme, le nouveau marié prit ses dispositions pour aller visiter le château merveilleux.
Il suivit le chemin de la forêt, puis celui du château auquel il ne tarda pas à arriver. Là, personne ne se montra pour lui barrer la route. Il traversa des cours, des corridors, des salles, et partout ce n'étaient que cavaliers, que princes, que jeunes filles immobiles et que, de près, il trouvait de pierre. Enfin, il arriva à une porte auprès de laquelle une vieille femme filait sa quenouille.
« Où vas-tu, jeune homme ?
- Je viens visiter ce château et je voudrais y entrer.
- C'est fort bien. Mais laisse là ton chien et attache-le au fil de ma quenouille. »
Le jeune homme attacha le chien et se trouva aussitôt changé en pierre. La vieille sorcière ricana et se remit à filer.

Mais, dans le jardin du pêcheur, l'un des rosiers avait perdu ses feuilles et ses fleurs à l'instant où le chercheur d'aventures avait été changé en pierre. Les deux frères s'en aperçurent et prévinrent leur père.
« Votre frère est en grand danger. Jacques, siffle ton chien, et vole au secours de ton aîné. »
Jacques siffla son chien et se mit à la recherche de son frère. Lui aussi arriva devant le château merveilleux, traversa des cours, des corridors et des salles et trouva la vieille filant sa quenouille.
« Hé, la vieille ! N'avez-vous point vu mon frère aîné venir dans ce château ?
- Si, si. Il est dans cette grande salle. Laisse ton chien et attache-le à mon peloton de fil, et je te laisserai libre d'entrer. »
Jacques attacha le chien et se trouva à l'instant même changé en pierre, tandis que la vieille se remettait à filer.

Le second rosier avait perdu ses feuilles et ses fleurs.
Quand le cadet s'en aperçut, il siffla son chien, dit adieu à son père et se mit à chercher ses frères.
Arrivé au château, il vit les chevaliers et les belles dames alignés le long des murs et il soupçonna quelque piège. Aussi quand la vieille lui dit d'attacher son chien à son peloton de fil, il s'écria :
« Fidèle, mon chien, saute donc à la gorge de cette maudite sorcière ! »
Et le chien prit son élan, saisit la vieille par le cou et l'étrangla. Au même moment le charme fut détruit, et les chevaliers, les princes, les belles dames et leurs chevaux, les deux frères et leurs chiens, revinrent à la vie, tandis que dans le jardin de l'ancien pêcheur, les trois rosiers refleurissaient de plus belle et n'avaient jamais été si beaux.
Les chevaliers et les princesses quittèrent le château après avoir bien remercié le jeune homme.
Les deux plus jolies des belles dames qui étaient là suivirent les jeunes gens et les épousèrent.
Et il y eut des noces si belles, si belles, que depuis que le monde est monde on n'a encore vu leurs pareilles.

Henry Carnoy, Contes français, 1885


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Les petits garçons et le Diable.


Deux petits garçons étaient un jour au bois à cueillir des fleurs pour s'en faire un bouquet. Ils s'attardèrent dans leur recherche, et lorsqu'ils voulurent retourner à la maison, ils s'aperçurent qu'ils étaient perdus. Ils eurent beau aller de droite, de gauche, d'avant et d'arrière, ils ne purent retrouver leur chemin. Les petits garçons avaient grand-peur.
« Si le loup vient, se disaient-ils, il nous mangera.
- Oui, aussi il nous faudrait trouver quelque cabane de bûcheron où passer la nuit.
- Comment faire ?
- Monte sur ce grand chêne et vois si tu n'aperçois pas quelque lumière. »
Le petit garçon grimpa le long de l'arbre et, de branche en branche, arriva au sommet. Il regarda dans toutes les directions et finit par remarquer une lumière brillant dans le lointain. Il prit son chapeau et le laissa tomber dans la direction de la lumière. Puis il descendit et partit de ce côté. Comme il avait des haricots dans sa poche, il en sema sur son chemin de manière à pouvoir le lendemain revenir dans la forêt, et bientôt il se trouva avec son frère devant un magnifique château.
« Pan, pan ! firent-ils.
- Qui est là ? dit une femme qui vint leur ouvrir.
- Nous sommes deux petits garçons égarés dans la forêt, et nous voudrions que vous nous logiez pour la nuit. Demain matin, nous retournerons chez nos parents.
- Vous ne savez donc pas que vous êtes dans la maison du Diable et que, s'il vous voit ici à son retour, il vous mangera ?
- Bonne femme, vous nous cacherez bien, et votre mari n'en saura rien.
- Allons, venez tout de même , je vous mettrai dans un petit cabinet. »
Les petits garçons entrèrent dans le château du Diable ; la bonne femme leur donna à manger un poulet rôti et leur fit boire son meilleur vin ; puis elle les fit coucher dans le petit cabinet dont elle avait parlé. Vers minuit, le Diable rentra.
« Femme, je sens la viande fraîche, la chair de chrétien !
- Tu te trompes, sans doute ; à moins que ce ne soit ce hibou qui a passé tout à l'heure et qui a laissé tomber un os dans la cheminée.
- Non, non, c'est la viande fraîche que je sens ! »
Le Diable fureta partout et finit par trouver les petits enfants.
« Femme, prends ces garçons et mets-les à la broche.
- Ce n'est pas nécessaire pour aujourd'hui ; je t'ai fait cuire un jeune agneau et il est tout prêt à être mangé.
- Alors, ce sera pour demain ; en attendant, mets les enfants dans le tonneau. »
La femme fut forcée de placer les petits dans un tonneau vide mais elle leur donna une queue de rat en leur disant de la présenter au Diable si celui-ci venait avant le jour.
Lorsque le Diable eut fini de manger, il eut encore faim et il alla au tonneau pour y prendre les enfants.
« Donne-moi ton bras, toi, l'aîné ! dit-il à l'ouverture.
- Le voici, dit le petit garçon en avançant la queue de rat.
- Tu as les bras aussi maigres que cela ? Alors, je vais te laisser ici avec ton frère jusqu'à ce que vous soyez grossis.
Le Diable alla se coucher en songeant au bon repas qu'il ferait quand ses prisonniers seraient convenablement engraissés.
Quand les enfants l'entendirent ronfler, ils sortirent du tonneau, mirent beaucoup de bois dans la cheminée et s'enfuirent en montant jusqu'au toit. Puis ils crièrent :
« Méchant Diable, méchant Diable, nous sommes sauvés, tu ne pourras jamais plus nous rattraper ! »
Le Diable se réveilla furieux et vit que les deux petits garçons étaient au-dessus de la maison.
« Attendez, attendez, je vais vous reprendre et ne faire qu'une bouchée de votre maigre carcasse ! »
Et il grimpa dans la cheminée. Mais comme il était fort grand et très gros, il ne put bientôt plus ni monter ni descendre, et il poussait des cris épouvantables, sacrant et jurant comme un démon qu'il était.
Les petits garçons se hâtèrent de descendre du toit et de rentrer dans le château. Ils prirent une torche et allumèrent le bois qu'ils avaient mis dans la cheminée. Bientôt le Diable fut entièrement rôti, et ce fut un démon de moins. La bonne femme était bien heureuse d'être débarrassée de son vilain mari, et elle dansait et chantait comme si elle avait été à la noce.
Le matin venu, elle prit toutes ses richesses et en mit la moitié de côté pour ses petits sauveurs qui, grâce aux haricots qu'ils avaient jetés la veille, purent retrouver la forêt et le chemin de leur maison.
Avec l'or et l'argent du Diable, ils vécurent heureux, et s'ils ne sont pas morts, ils doivent être bien vieux, car ma grand'mère tient leur histoire de sa propre grand'mère morte il y a bien longtemps.

Henry Carnoy, Contes français, 1885


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