Jean à la Tige d'Haricot.
Un pauvre homme, nommé Jean, planta un jour des haricots. Un de ceux-ci
poussa si haut, si haut, que le sommet se perdait dans les nues. Lorsque les plantes se trouvèrent
bonnes à récolter, le paysan se mit à en cueillir les gousses. Après avoir travaillé jusqu'au soir et
rempli plusieurs paniers, Jean alla se coucher, remettant au lendemain la récolte de la plante
gigantesque. Il jugea utile de commencer par le haut. Il mit dix jours pour grimper au sommet. Là il
aperçut la maison du bon Dieu. Il alla y frapper. Saint Pierre vint ouvrir et demanda ce qu'il
voulait.
« Une petite aumône, car je suis un pauvre malheureux. »
Le saint voulut le jeter à la porte. Le bon Dieu, attiré par le bruit, donna un âne à jean en lui
disant :
« Voici un âne qui te rendra heureux si tu le veux. Lorsque tu lui diras : Ane, montre ton talent ! il
fera des louis d'or au lieu de crottes. »
Jean à la Tige d'Haricot partit et descendit sur la terre avec son âne. Il voulut avoir de l'argent
pour acheter de quoi manger. A cet effet, il ordonna au baudet de montrer son talent. Jean eut de l'or
à foison. Il en remplit ses poches et alla dans une hôtellerie qui se trouvait non loin de là. Il
voulut se faire servir du vin le plus cher. L'hôtesse hésitait.
« Vous croyez que je n'ai pas d'argent ! Ah ah ! en voici, et des pièces toutes neuves encore ah !
ah ! »
On lui apporta plusieurs bouteilles de vin qu'il paya aussitôt en recommandant à la femme de ne pas dire
à son âne de montrer son talent. Jean ne tarda pas à s'endormir sur une table. L'hôtesse s'approcha du
baudet et lui dit :
« Ane, fais voir ton talent à l'instant. »
Elle fut tout étonnée de voir le sol se couvrir aussitôt de pièces d'or qu'elle ramassa avec soin. Elle
conduisit le grison dans une écurie et le remplaça par le sien. Jean se réveilla enfin, prit l'âne et
alla retrouver sa femme.
« Tu as été bien longtemps parti », lui dit-elle ; « je te croyais mort.
- Ah ! femme ; j'ai été trouver le bon Dieu ; il m'a fait cadeau de cet âne qui donne de l'or à
discrétion. Vois plutôt. »
En disant ces mots, il étendit un tablier sous l'âne et lui commanda de faire voir son talent. L'animal
ne bougea pas. Jean le battit et ne réussit qu'à faire pousser au grison des han ! han ! formidables, et
à remplir le tablier de tout autre chose que ce qu'il en attendait.
Il remonta le long de la tige d'haricot et alla se présenter de nouveau à la porte du paradis. Cette
fois le bon Dieu donna au paysan une table magique qui apprêtait à dîner. Jean la prit sur son épaule
et commença à descendre le long de la plante. Le froid était vif ; de gros flocons de neige tombaient
de toutes parts. Le pauvre homme s'enveloppa dans une des feuilles de la plante et y passa la nuit. Le
lendemain il redescendit sur la terre et alla à l'hôtellerie. La femme lui demanda ce qu'il voulait
qu'on lui servît.
« Oh ! pas grand'chose ; voici une table qui va me fournir ce dont j'ai besoin. Voyez... Table, fais
ton devoir »
Un festin magnifique se trouva prêt en un clin d'oeil. Jean à la Tige d'Haricot mangea, but et
s'endormit. L'aubergiste lui prit la table et la changea contre une autre. A son réveil, le paysan
retourna à sa chaumière.
« Cette fois, femme, nous ne manquerons plus de rien. Cette table nous donnera des aliments
délicieux... Table, fais ton devoir... Table, fais ton devoir... » Mais rien ne parut.
Il remonta une troisième fois au ciel et obtint du bon Dieu une poêle qui frappait tous ceux qu'on
désignait. Jean retourna à l'auberge.
Dès que l'hôtesse le vit paraître avec sa poêle, elle le fit entrer et lui demanda ce qu'il désirait.
« Peu de chose. Une bouteille de vin d'abord ensuite... nous verrons. »
La femme apporta du vin ; Jean le but et dit à sa poêle de faire son devoir. L'ustensile de cuisine se
mit à l'instant à battre l'hôtesse.
« Grâce !... Grâce ! » hurlait-elle. La poêle frappait de plus en plus fort.
« Grâce !... et... je vous... rendrai votre âne...
- Et ma table ?
- Aussi... mais faites arrêter la poêle !...»
La table et l'âne furent rendus à Jean, qui partit retrouver sa femme. Il arriva bientôt devant la
porte de son habitation.
« Femme, femme ! » s'écria-t-il joyeux ; « j'ai retrouvé mon âne et ma table. Les voici... Ane, fais
voir ton talent ! Table, fais ton devoir. »
Un repas somptueux se trouva prêt à l'instant. Quant à l'âne, il se mit à remplir la maison d'or et
d'argent. Jean à la Tige d'Haricot en remplit plusieurs caisses et fit construire un beau château.
Quelques années après, on trouva l'âne mort dans son écurie ; la table pourrit ; la poêle s'usa. On ne
s'en inquiéta plus : on n'avait plus besoin de leurs services.
Henry Carnoy, Contes français, 1885
Les bêtes du meunier et les loups.
Entre Harponville et Warloy était bâti autrefois un moulin qui
appartenait à un batteur d'huile vieux comme les rues et pauvre à rendre des points à Lazare. Depuis
longtemps le moulin s'était détraqué et l'on n'apportait plus les oeillettes des environs pour en
faire extraire l'huile. Pas d'ouvrage, pas d'argent, pas d'argent, pas de pain et misère complète.
C'était le chemin qu'avait suivi le vieux Michel. Ce qui lui faisait le plus de peine dans sa détresse,
c'était de ne pouvoir nourrir comme par le passé son âne, son chat, son chien, son coq et son canard
qu'il aimait plus que lui-même. Aussi un jour, il ouvrit la porte de sa cabane et mit tous ses animaux
en liberté.
Mes pauvres bêtes, dit-il, il n'y a plus de foin pour l'âne à l'écurie, je n'ai pas de pain pour le
chien et le chat, pas d'orge pour le coq et le canard, je ne veux pas vous laisser mourir de faim ; le
bois de Vadencourt est proche ; vous y trouverez un abri pour la nuit et sans doute la nourriture qui
vous est nécessaire. »
Le batteur d'huile était bien triste de perdre ses bêtes, et ses bêtes étaient bien peinées de
quitter leur vieux maître. Enfin, après force pleurs et adieux de chaque côté, le batteur d'huile ferma
la porte et les animaux s'éloignèrent.
Ils arrivèrent dans le bois auprès d'une cabane où étaient une dizaine de loups.
« Quoi faire ? se demandèrent les bêtes du meunier.
- Si vous m'en croyez, dit l'Ane, nous allons nous mettre à pousser chacun quelques éclats de voix,
après nous être cachés dans un buisson. Nous ferons sauver les loups et nous aurons la cabane pour y
passer la nuit.
- C'est cela ! C'est cela ! dirent les animaux. »
Et aussitôt ils s'enfoncèrent dans un fourré et chantèrent chacun à sa façon.
« Hi! Han ! hi ! han ! fit l'Ane d'une voix de tonnerre.
- Miaou ! Miaou ! fit le Chat.
- Aou ! Aou ! Aou ! dit le Chien.
- Coquiacou ! Coquiacou ! éclata le Coq.
- Can ! Can ! Can ! Can ! ajouta le Canard.
Effrayés de ce vacarme épouvantable, les loups, croyant avoir mille légions de diables à leurs trousses,
quittèrent la maison et s'enfuirent tout au loin.
Bien joyeuses les bêtes du moulin entrèrent dans la cabane et mangèrent à la santé des loups d'un
excellent repas préparé par ces derniers. Lorsqu'ils eurent bien mangé, ils songèrent à se reposer.
L'Ane se coucha près de la porte, le Chat sur l'armoilette, le Chien sur le fumier de la cour, le Coq
sur la cheminée, le Canard sur le buffet.
Les loups étaient enfin revenus de leur frayeur. Ils chargèrent un des rusés de la bande d'aller en
éclaireur voir par lui-même quelle était la cause du concert qui les avait interrompus dans leur fête.
Le Loup partit, fouilla partout et arriva à la maison. N'entendant aucun bruit, il entra. L'Ane
l'apercevant lui envoya un grand coup de pied en passant ; le Chat lui donna un coup de griffe, le Coq
lui fit c... dans l'oeil, le Canard poussa un formidable can ! can ! et comme il passait près du fumier
en se sauvant le Chien lui mordit la cuisse.
Retourné auprès de ses compagnons et interrogé par eux, le Loup raconta qu'une bande nombreuse de gens
s'était établie dans la cabane.
« Jugez-en, ajouta-t-il ; en entrant, un forgeron m'a donné un coup de marteau, un savetier m'a piqué
d'un paquet d'alênes, un maçon réparant la cheminée m'a jeté du mortier dans l'oeil, et comme je
m'échappais, un journalier m'a frappé d'un coup de fourche, tandis qu'un autre homme criait à tue-tête :
Attends ! Attends ! »
Plus épouvantés que jamais, les loups se sauvèrent bien loin et ne revinrent jamais au bois de
Vadencourt. Le lendemain, le Chat trouva la bourse des loups et, de compagnie, nos cinq animaux
allèrent la porter à leur vieux maître, le batteur d'huile du moulin, avec qui depuis ce jour ils
vécurent heureux, mangeant à discrétion et s'égaudissant fort lorsque l'Ane ou le Canard faisait le
récit de la journée passée dans le bois de Vadencourt, à la cabane aux loups.
Henry Carnoy, Contes français, 1885
Un jeune homme nommé Jean s'engagea un jour dans une ferme pour soigner
les bestiaux. Au bout de trois ans, il résolut de s'en aller. A cet effet, il demanda à son maître de
lui payer ce qu'il avait gagné. Celui-ci prit dans sa bourse... trois liards et les donna à Jean, qui
s'en alla tout joyeux. Après avoir marché trois jours, il arriva à un carrefour où se tenait assis un
vieillard sale, malpropre, en haillons, qui lui dit :
« Faites-moi une petite charité pour l'amour de Dieu !
- J'ai justement trois liards , je vais vous les donner. En trois ans j'en pourrai gagner autant.
Prenez-les.
- Pour récompenser votre bon coeur, je vous donne à faire trois souhaits.
- En ce cas, je demande un Fusil qui ne manque jamais son but, un Violon qui oblige à danser, et la
Parole franche, c'est-à-dire qu'on ne puisse jamais rien me refuser. »
Le pauvre homme réalisa les souhaits de Jean, qui continua son chemin moitié dansant et moitié courant.
Il arriva ainsi dans un bois où il s'arrêta pour se reposer. Jean entendit alors une voix qui disait :
« Ah ! que ne donnerais-je pas pour avoir ce beau rossignol qui chante sur cet arbre ! »
C'était le fermier qui avait donné trois liards au jeune homme. Celui-ci prit le Fusil qui ne manquait
jamais son but et tua le rossignol, qui tomba dans un buisson de ronces et d'épines. L'avare se baissa
et entra dans le fourré épineux où se trouvait l'oiseau. Prenant alors son Violon magique, Jean joua,
et l'avare, emporté par une force merveilleuse, se mit à sauter, à bondir dans les ronces qui le
déchiraient de toutes parts.
« Arrête ! arrête ! » criait-il au jeune homme je te donnerai cinq cents écus. Mais hâte-toi : je n'en
puis plus. »
Jean cessa de jouer et reçut les écus du fermier qui s'en alla en grommelant et courut le dénoncer à la
justice. Le jeune paysan fut arrêté, jugé et condamné à mort. L'exécution fut fixée au lendemain.
Le fermier, les juges, toute la population de la ville étaient réunis sur la place, où avait été dressée
une haute potence. Jean arriva et demanda aux juges de lui donner son Violon pour en jouer encore une
fois avant d'être pendu. Le fermier se mit alors à crier : « Ne lui donnez pas le Violon !...
Liez-moi ! Liez-moi ! » Mais Jean avait la Parole franche : on ne put lui refuser. Prenant le Violon
merveilleux, il joua, et chacun se mit à danser sans pouvoir s'en empêcher, le fermier tout le premier.
Lassés, exténués, mourant de fatigue, les juges prièrent Jean d'arrêter, lui promettant de le laisser
libre. Le jeune homme cessa de jouer, et il put retourner à son village avec son Violon et son Fusil,
dont il se servit encore dans maintes occasions.
Henry Carnoy, Contes français, 1885
Un soldat, surnommé Bras-d'Acier, était passé caporal depuis vingt ans.
Ne pouvant devenir sergent, il alla trouver son colonel et lui demanda son congé. Comme ses supérieurs
n'avaient rien à lui reprocher, il fut libéré. Avant de quitter son régiment, il reçut six écus neufs
de cinq francs pour faire sa route. Le voilà parti, heureux comme un roi, pour retourner dans ses
foyers. A peu de distance de la ville, il rencontra un pauvre homme qui lui demanda la charité.
« Mon cher monsieur, j'ai six beaux écus tout neufs, je vais vous en donner un. Il m'en restera encore
cinq pour faire mon voyage. »
Le mendiant s'éloigna. Après s'être reposé quelques instants, le caporal repartit. Il s'arrêta dans
une ferme où il reçut la plus cordiale hospitalité. En quittant son hôte, il rencontra de nouveau le
pauvre à qui il avait déjà fait l'aumône.
« La charité pour l'amour du bon Dieu ! » dit celui-ci. Le soldat tira un nouvel écu de sa bourse et
le donna. Quatre fois encore le mendiant se présenta et reçut jusqu'au dernier les écus du caporal.
Pour le récompenser il obtint du pauvre, qui n'était autre que le bon Dieu, une Baguette magique qui
accomplissait tous les désirs de celui qui la possédait. Le soldat alla dans une hôtellerie pour y
passer la nuit. L'hôtesse crut qu'il se moquait d'elle, car depuis longtemps personne n'osait plus
venir loger, le Diable hantant la maison et faisant mourir les voyageurs.
« Logez-moi tout de même et je ferai déloger Satan. Pour cela je ne demande que du pain, un jambon, du
vin, un jeu de cartes et une chandelle. »
L'hôtesse le laissa faire et lui donna ce qu'il demandait. Le soldat s'enferma dans l'appartement,
s'assit devant un bon feu qui pétillait dans l'âtre, soupa et attendit. Minuit allait sonner. Un
grognement se fit entendre et un objet pesant tomba par la cheminée aux pieds du caporal : c'était une
jambe, qu'il jeta dans un coin de la salle. Une autre jambe suivit, puis un tronc humain, deux bras et
une tête portant deux longues cornes recourbées. Tout cela rejoignit la jambe et forma le corps du
Diable, qui vint s'asseoir devant le militaire.
« Tu n'as pas peur, mon brave. Mais pourquoi ne m'as-tu pas laissé dans le foyer ?
- Fallait le dire, fallait le dire, et je vous aurais laissé griller. C'est fait, n'y pensons plus.
Jouons une partie de cartes.
- Je le veux bien jouons. »
Et les deux ennemis se mirent à jouer à berniqes. Une des cartes tomba par terre. Satan
voulu forcer le soldat à la ramasser.
« Je ne la ramasserai point.
- Tu le feras.
- Ce sera toi.
- Je vais te tuer si tu ne te hâtes point.
- Tu crois, Satan. Eh bien ! dis-moi des nouvelles de ceci : « Par la vertu de ma baguette, je commande
que tu sois lié, garrotté et enfermé dans mon sac ! »
Ce qui fut fait. Le lendemain, le soldat alla trouver des forgerons auxquels il donna quelque argent
pour battre pendant deux heures le Diable sur une enclume. Le Diable hurlait, criait sans se tirer du
mauvais pas dans lequel il se trouvait. Il dut consentir à signer un écrit par lequel il consentait à
ne plus jamais entrer dans l'hôtellerie. De cette façon, il put reprendre sa liberté. Le soldat
n'était plus loin de son village lorsqu'il passa devant la boutique d'un pâtissier. Des gâteaux de
toute espèce étaient exposés à la vitrine. L'ex-caporal entra et demanda le prix des brioches et des
gâteaux. On lui en montra à cinq francs, à trois francs et à cinquante centimes.
« Voulez-vous », dit-il au pâtissier, « me donner ces trois gâteaux pour un sou ?
- Pour un sou ! vous raillez. Je vous les donnerai pour dix francs.
- Je les aurai pour rien, en ce cas. Par la vertu de ma baguette, que tous vos gâteaux se mettent dans
mon sac. »
A l'instant le sac fut rempli de pâtisseries. Le soldat s'en alla sans payer, poursuivi par les cris du
marchand qui le dénonça à la police.
Les archers conduisirent le voleur en prison.
Il fut condamné à être pendu le surlendemain. Il s'échappa trois fois de prison, et trois fois il fut
repris. On fut obligé de le lier pour l'amener au lieu de l'exécution. Il avait conservé en secret un
morceau du bâton merveilleux, et en l'invoquant, il fit enfermer tous les assistants, sans qu'ils
pussent comprendre comment cela se faisait, dans la prison qu'il venait de quitter. Il n'eut pas de
peine alors à s'enfuir.
Lorsqu'il fut rentré dans son pays, il s'écria : « Par mon bâton, que mon sac revienne me trouver. » Et
le sac se trouva à l'instant près de lui. Le soldat se maria avec une jolie femme, qu'il obtint encore
au moyen de sa baguette, eut de nombreux enfants, et vécut longtemps aussi heureux qu'il est possible de
l'être.
Lorsqu'il mourut, son âme partit pour le royaume des esprits, emportant avec elle le sac et la baguette
magique. Le soldat alla frapper à la porte du paradis.
« Pan ! pan ! - Qui est là ? - Ouvrez. C'est moi, Pierre Bras-d'Acier, ex-caporal de son vivant. - Ah !
c'est toi. Que veux-tu ? - Je voudrais une petite place dans le paradis. - Il n'y a pas de place pour
un voleur, Va-t'en ! » lui dit saint Pierre en lui fermant la porte au nez.
Sans se déconcerter, l'esprit alla frapper à la porte du purgatoire. Un grand ange aux longues ailes
dorées vint entrebâiller la porte. Après avoir écouté le caporal, l'ange regarda sur un grand livre,
et, n'y trouvant point le nom de celui-ci, le jeta à la porte.
« Pour le coup, se dit notre homme, je suis perdu. Il faudra aller en enfer. J'aurais pourtant mieux
aimé grelotter de froid dans le paradis que de griller dans le logis de Satan, qui ne m'épargnera pas,
je le crains. »
Aux coups appliqués sur la porte de l'enfer, Satan se montra.
« Que désires-tu ? » dit-il à l'âme du soldat.
- Une place dans l'enfer. On ne veut point me recevoir dans le paradis ni dans le purgatoire ; je suis
forcé de venir ici.
- Ah ! c'est toi qui m'as mis dans ton sac autrefois. Crois-tu que je veuille renouveler connaissance
avec toi ? Par l'enfer, il n'en sera pas ainsi. Tu peux t'en retourner. »
Également repoussé de partout, le soldat prit le parti de retourner trouver saint Pierre. Celui-ci vint
ouvrir et, voyant que c'était Bras-d'Acier, s'apprêta à refermer la porte. Le soldat le pria de mettre
son sac dans le séjour céleste. Le saint accepta.
« Par la vertu de mon bâton, que je sois transporté dans mon sac ! » dit le caporal, qui se trouva
aussitôt dans le paradis. Le portier voulut le faire sortir : il ne put y réussir. Il alla trouver la
Sainte Vierge, qui ne fut pas plus heureuse. Jésus-Christ n'eut pas plus de pouvoir. On fit venir le
Père éternel, qui demanda au soldat pourquoi il s'obstinait à rester. Celui-ci s'expliqua et dit qu'il
tenait sa baguette d'un mendiant. Dieu le laissa dans le paradis, et comme saint Pierre et Jésus-Christ
persistaient à vouloir faire sortir son protégé, il prit le parti de s'en aller dans une autre partie
de l'univers. Les saints, les saintes, les anges, les chérubins, le Saint-Esprit le suivirent dans sa
retraite. Jésus-Christ, se voyant abandonné, dit à saint Pierre : « Il faut laisser ce rustre ici et
rappeler mon père. Sans cela je craindrais fort de m'ennuyer pendant toute l'éternité. »
Le Père éternel revint. C'est de cette façon que Bras-d'Acier est entré dans le paradis, où il est
encore, s'il a conservé sa bonne baguette magique.
Henry Carnoy, Contes français, 1885