Le géant et l'enfant.

 

Comment un enfant, nommé justement Enfant, devint un prince en tuant un géant. Cela s'est passé au Val d'Aran, petite terre gasconne perdue au royaume d'Espagne.

On raconte du côté de Lés et de Bosost, près du rio Garona, l'histoire d'un géant, grand comme une montagne, qui avait pour serviteur un tout jeune enfant, aussi agile qu'un chevreau. Cet enfant, tout simplement prénommé Goujatet, qui veut dire dans la langue du lieu enfant, pouvait aller et venir chez son maître partout où cela lui semblait bon, sauf dans une étable où se trouvait un cheval blanc.

Un jour que le géant était parti pour marcher sur les hauteurs pleines de neige comme il en avait l'habitude, hiver comme été, Goujatet s'introduisit dans l'étable en passant par une toute petite lucarne.
- Si tu veux être riche et heureux, lui dit aussitôt le cheval blanc, il te faut faire ce que je vais te dire.
Et il lui murmura quelques mots à l'oreille.
- Je hennirai à deux reprises, ajouta-t-il, lorsque le moment d'agir sera venu.
Un soir, alors que le géant était rentré de la montagne repu de myrtilles et qu'il venait tout juste de s'endormir, le cheval hennit deux fois et Goujatet alla immédiatement à l'étable.
- Voilà, dit le cheval, tu vas prendre rapidement le fusil du géant, son casque d'or, un bâton de soufre, un peigne, une pierre ronde et tu reviendras ici. Alors, tu monteras sur mon dos et nous fuirons ensemble.
Ainsi fut fait et tous deux disparurent dans la nuit. Lorsque l'aube pointa, le cheval qui avait couru, couru, demanda :
- Tu n'entends rien, Goujatet ?
- Oui, j'entends quelque chose qui arrive comme une tempête.
- C'est le géant. Jette derrière toi le bâton de soufre et demande à ce qu'il devienne un lac enflammé.
L'enfant jeta le bâton de soufre et aussitôt apparut un grand lac plein de flammes.
Le géant s'arrêta devant ce lac de feu et mit beaucoup de temps à le contourner car toute la vallée était prise. Pendant ce temps, le cheval et l'enfant se sauvaient toujours.
Aux environs de midi, le cheval demanda :
- N'entends-tu rien ?
- Si, on dirait une tempête qui arrive derrière nous.
- Vite, jette la pierre ronde et demande à ce qu'elle devienne une montagne.
La pierre jetée devint une haute montagne contre laquelle le géant faillit se cogner. Il lui fallut bien deux heures pour atteindre le sommet et redescendre de l'autre côté, avant de reprendre la poursuite du cheval et de son cavalier.
A la tombée de la nuit, le cheval redemanda à Goujatet s'il n'entendait rien derrière eux.
- Oui, j'entends une tempête qui arrive. Elle semble plus terrible que les deux premières.
- Vite, vite, jette le peigne derrière nous et demande à ce qu'il devienne une forêt touffue pleine de ronces.
Le peigne devint une forêt profonde et un épais roncier. Mais le géant sortit très vite de ce piège et, aussi rapide que l'éclair, il se rapprocha des fugitifs.
- Le géant va nous rattraper, cria l'enfant.
- Prépare le fusil et tâche de le tuer, répondit le cheval.
Goujatet prépara le fusil, se retourna et tira en pleine tête du géant qui tomba raide mort.
- Maintenant, nous sommes sauvés ! fit le cheval.
Ils continuèrent leur chemin et arrivèrent devant un château. Le roi justement était devant la porte avec ses trois filles. Goujatet en vit une qui était très jolie et il s'approcha du roi.
- Je vous salue, dit Goujatet, je viens vous demander la main de l'une de vos filles.
- Quand l'on se présente devant le roi, répondit celui-ci, il ne faut pas être impoli et garder son bonnet sur la tête.
- Je ne peux pas l'enlever, car je suis teigneux.
- Mes filles ne sont pas pour un teigneux. Tu peux aller dans l'étable avec ton cheval. Demain, tu reprendras ta route.
Le lendemain matin, Goujatet et son cheval s'apprêtaient à quitter le château. La plus jeune fille l'épiait par la fenêtre. Le garçon eut soudain envie de se gratter les cheveux et il ôta son bonnet. La fille vit alors le casque d'or. Vite, elle alla trouver le roi.
- Mon père, dit-elle, celui que vous avez hébergé hier soir me plaît beaucoup. Je voudrais l'épouser.
- Tu es folle, ma pauvre fille, vouloir épouser un teigneux qui n'a pas un sou en poche !
- Cela m'est indifférent. J'épouse celui-là et personne d'autre !
Juste à ce moment arrivèrent à la porte du château deux seigneurs du voisinage, jeunes et riches, venus demander chacun une fille du roi à épouser.
Le roi les reçut.
- Écoutez, dit-il, j'ai trois filles à marier et il se trouve que ce matin, il y a trois prétendants. Cela en fait bien un pour chacune, mais vous allez partir tous les trois à la chasse, et celui qui rapportera le plus de gibier aura le droit de choisir en premier.
Les trois chasseurs partirent aussitôt. Goujatet, qui avait le fusil du géant, se montra le plus habile. Il tua deux isards, une demi-douzaine de beaux lièvres et encore plus de palombes bien bleues. Les autres chasseurs n'avaient tiré que sur les merles et les pies.
Le roi fut très étonné et très embarrassé, ne sachant plus comment faire. Brusquement, le cheval blanc se mit à hennir deux fois et Goujatet courut à l'étable.
- Prends une hache, dit le cheval, et coupe-moi la tête tout de suite.
- Je ne peux pas le faire, s'écria l'enfant, ce n'est pas possible. .
- Je te demande de me décapiter tout de suite.
Alors Goujatet, la mort dans l'âme, coupa la tête du cheval. Aussitôt, celui-ci fut transformé en jeune et joli prince. C'était justement le fils de ce roi, qu'une méchante fée avait naguère transformé en cheval et que le géant avait volé. Goujatet et le fils du roi sortirent de l'étable et tout le monde fut bien étonné.
Le roi embrassa son fils.
- Maintenant, dit le prince, il faut aussi embrasser Goujatet. C'est lui qui m'a sauvé et m'a ramené vers vous.
- Eh bien, fit le roi, puisqu'il t'a sauvé et puisqu'il a été le plus habile chasseur, c'est à lui de choisir l'une de tes soeurs.
Bien entendu, Goujatet choisit la plus jeune qui était aussi la plus désirable. Les autres seigneurs se contentèrent des deux autres. Le mariage se fit quelques jours après et ce fut une très grande fête.


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