La Montagne Verte

La Montagne Verte.

 

Il n'est pas toujours facile d'épouser la fille du diable. Jean en fera l'expérience, mais il ne pouvait espérer mieux pour trouver l'aventure.

Les parents de Jean décidèrent un jour de partir voyager. Ils lui laissèrent l'épicerie qu'ils avaient à Bordeaux.
Jean tout d'abord s'en occupa très bien, puis progressivement, à mesure qu'il gagnait de l'argent, commença à jouer et à perdre. Si bien qu'un jour, il n'avait plus rien en poche. Jean en fut très chagriné.
- Qu'as-tu donc ? dit un étranger qui passait.
- J'ai dévoré tout l'argent du magasin que mes parents m'avaient confié.
- N'aie pas de chagrin, répliqua l'étranger. Je te donnerai ce que tu as mangé, à condition que dans un an exactement tu viennes dans la Montagne Verte.
Ainsi Jean régla-t-il ses affaires et ses parents n'en surent rien.
Au bout d'un an, il partit à la recherche de la Montagne Verte. Il marcha longtemps, longtemps et finit par rencontrer une très vieille femme.
- Pouvez-vous me dire où se trouve la Montagne Verte ?
- Je n'en ai jamais entendu parler, dit-elle, mais je vais interroger ces oiseaux. Ils doivent la connaître.
Eh bien non, les oiseaux ne connaissaient pas la Montagne Verte. La vieille avait une soeur, elle aussi très âgée. Jean alla la voir.
- Je vais demander à cet aigle. Il doit certainement connaître la Montagne Verte. L'aigle connaissait cette montagne et s'offrit d'y transporter le jeune homme. Ils survolèrent ainsi un immense pays avant de se poser près d'un lac. Il y avait deux jeunes filles qui s'y baignaient et avaient laissé leur robe au bord de l'eau. L'une de ces robes était blanche et l'autre, rose.
- Prends la robe blanche et tu verras ce qui se passera, dit l'aigle en s'éloignant.
Jean prit la robe blanche et quand la jeune fille sortit de l'eau, elle rechercha en vain sa robe et finit par découvrir Jean.
- Il faut que vous me rendiez ma robe, je ne peux pas retourner nue à la maison de mon père !
- Je vais vous rendre votre robe, mais à une condition. Il faut que vous me disiez où se trouve la Montagne Verte.
- C'est très simple, c'est là où nous habitons. Je me ferai un plaisir de vous y mener.
- J'ai un rendez-vous.
La jeune fille qui se nommait Blanche hocha la tête. L'autre jeune fille qui se nommait Rose, aussi.
- On doit vous dire que c'est là qu'habite le diable.
Le diable attendait Jean et lui offrit un bon repas.
- Lorsque je vous toucherai avec le pied, sous la table, dit Blanche, ne mangez pas ce que mon père vous aura servi.
C'est ainsi que fit Jean et c'est pourquoi il ne fut pas empoisonné dès le premier jour.
- Parfait, fit le diable un peu étonné. Je vous souhaite une bonne nuit.
- Ne restez pas dans votre lit, dit en cachette la jeune fille, mon père y fera pleuvoir des couteaux et des épées.
Jean resta dans la cheminée et ainsi fut sauvé.
Le lendemain, le diable déversa dans la cheminée de l'huile bouillante, mais Jean n'avait justement pas dormi là. Fort irrité, le diable dit à Jean :
- Tu vas me couper ce bois et ces taillis. Il te faudrait deux heures à peine, je te donne toute la journée. Si tu ne fais pas ce travail, tu mourras.
Il lui donna de vieux outils. Dès les premiers coups, ils cassèrent.
- Je vais mourir, dit Jean à Blanche, venue lui porter de la soupe et du pain. Je ne peux pas faire ce travail. La jeune fille sourit et prit une baguette.
- À mon commandement, dit-elle, que tout ce bois soit coupé et en fagots empilé.
Ainsi fut-il.
Le diable, voyant que Jean avait fait le travail, commença à le regarder de travers.
- Demain, tu iras nettoyer les viviers, dit-il, je veux que tu ranges tous les poissons sur la pelouse pour que je puisse les compter. Ensuite, il faudra que tu les remettes à l'eau sans qu'un seul ne meure.
Pour ce travail, il lui donna un panier percé.
Jean alla au bord des viviers et regarda les poissons. Il ne commença même pas à essayer de les attraper. Il attendait Blanche.
- Aujourd'hui, je ne veux pas porter le dîner à Jean, dit la jeune fille à sa mère. Celle-ci, par simple esprit de contradiction, obligea sa fille à y aller. C'est ce que désirait Blanche. Elle dîna paisiblement avec Jean, puis vida rapidement les viviers, étendit les poissons au soleil sur la pelouse, puis, le diable les ayant comptés, les replongea dans l'eau. Tout se déroula parfaitement.
Le lendemain, le diable dit à Jean :
- Tu vas aller au sommet de la montagne. Il y a, je le sais, une poule blanche qui couve des oeufs d'or. Tu prendras la poule et les oeufs pour me les rapporter. Voici une échelle de verre pour grimper sur les rochers.
Dès qu'il mit le pied sur l'échelle, le barreau cassa. Jean attendit son dîner, mais cette fois, il était très inquiet. Blanche vint.
- Une fois cette épreuve terminée, dit-elle, nous serons dégagés de tout. Nous pourrons faire ce que nous voudrons.
- Oui, répondit Jean, encore faut-il que j'attrape cette poule.
- Voilà, dit Blanche, écoute-moi bien. Non loin d'ici, il y a une chaudière. Il faut que tu me jettes dedans. Quand je serai cuite, il faudra que tu me retires tous les os. Avec ces os, tu feras une échelle pour monter au sommet de la Montagne Verte.
- Non, je ne peux pas faire une chose pareille, dit le pauvre Jean.
- Si, il le faut. Il ne faudra pas perdre le moindre petit os, car, une fois l'épreuve réussie, je redeviendrai ce que je suis...
Pourtant, le pauvre Jean ne pouvait se résoudre à faire bouillir Blanche. C'est elle-même qui sauta dans la chaudière où elle se consuma. Jean pleura de voir Blanche réduite à l'état de daube. Il ramassa soigneusement les os, en fit une échelle et monta au sommet de la Montagne Verte. Il ramassa les oeufs et prit la poule. Il redescendit rapidement au pied de la falaise, désirant avant tout sauver Blanche du chaos.
Et Blanche redevint ce qu'elle était auparavant. Ils rirent beaucoup de voir qu'il lui manquait seulement le petit doigt du pied.
- Maintenant, dit-elle, il faut retourner chez mon père. Il va te parler d'un mariage avec l'une de ses filles, sans savoir précisément laquelle. Je serai seulement sur un lit avec ma soeur et tu auras les yeux bandés. Il n'y a qu'une solution. Tu me reconnaîtras à ce petit doigt qui me manque.
Le diable fut bien étonné de voir revenir Jean avec la poule et les oeufs.
- Je te dois bien, maintenant, l'une de mes filles en mariage. Tu choisiras sans les voir, car tu auras les yeux bandés. Tu ne pourras que leur toucher les pieds.
Ainsi fut fait.

Jean et Blanche décidèrent d'aller se marier à Bordeaux, mais le diable et sa femme n'étaient pas d'accord. Ils allèrent donc en cachette à l'écurie et essayèrent de détacher le cheval rose. Ils n'y réussirent pas. Alors ils prirent le cheval blanc.
Ils étaient déjà loin lorsqu'ils entendirent galoper derrière eux.
- C'est le cheval rouge, dit la jeune fille, je le reconnais. Je vais te transformer en casseur de pierres, le cheval sera la pierre et moi le marteau.
Jean faisait semblant de travailler lorsque le diable arriva près de lui avec le cheval rouge.
- Cantonnier, dit le diable, n'as-tu pas vu passer deux jeunes gens avec un cheval blanc ?
- Non, je n'ai rien vu, répondit le cantonnier. Le diable retourna chez lui, très confus.
- Tu ne les as pas retrouvés ? demanda sa femme en colère.
- Non, je n'ai rencontré qu'un cantonnier qui cassait des pierres.
- Mais c'étaient eux, justement ! Repars au plus vite, il faut les ramener ici !
Le diable fila sur son cheval rouge. Blanche alors se transforma en rivière. Jean devint le pêcheur et le cheval, poisson.
- N'avez-vous pas vu passer un cheval blanc avec deux jeunes gens dessus ? demanda le diable au pêcheur.
- Ça ne mord pas, répondit le pêcheur.
- Ce n'est pas ce que je te demande, s'énerva le diable.
- Ça ne mord pas....
Pensant que le pêcheur était sourd, il retourna chez lui.
- Andouille ! cria sa femme, ils étaient sûrement avec le pêcheur. Maintenant, c'est moi qui vais aller les rechercher.
Les jeunes gens avaient parcouru encore beaucoup de chemin. Ils étaient presque à Bordeaux quand la femme du diable les reconnut. Blanche et Jean avaient traversé la Garonne ; la femme du diable n'y parvenait pas.
- Comment avez-vous fait ? cria la mère à sa fille.
- Attachez cette pierre à votre pied, dit Blanche, et jetez-vous dans le fleuve. C'est la pierre qui vous guidera.
La femme du diable s'attacha une pierre au pied et se jeta dans l'eau. Elle fut emportée par le courant.
Ainsi débarrassés, les deux jeunes gens arrivèrent à Bordeaux. Mais leurs soucis n'étaient pas encore terminés.
- Surtout, dit Blanche, n'embrasse pas tes parents lorsque tu les reverras. Tu perdrais aussitôt la mémoire.
Jean fut si heureux de retrouver ses parents qu'il les embrassa et perdit la mémoire. Il oublia Blanche immédiatement. Celle-ci en fut désolée. Elle s'installa donc à l'hôtel du Cheval Blanc.

Un soir, Jean vint dîner à cet hôtel avec deux amis. L'un d'eux voulut dormir dans la chambre de Blanche. La jeune fille l'obligea toute la nuit à ouvrir et à fermer les volets jusqu'au petit matin. Cet ami repartit sans trop savoir ce qui lui était arrivé.
Le lendemain, Jean revint. Blanche décida de lui enlever le charme de l'oubli.
Aussitôt, le jeune homme la reconnut.
- Il faut nous marier, dit-il, et ne plus jamais nous séparer jusqu'à la mort.
Ainsi firent-ils et ils n'eurent plus jamais d'ennuis.


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