La robe regrettée.
Où l'on apprend qu'une pauvre servante morte est obligée par une méchante patronne de revenir danser sur le feu ...
Il était une fois un homme et une femme qui avaient une fille. Ils étaient pauvres. La mère mourut et le père, n'ayant pas assez de travail, décida de laisser partir sa fille car il ne pouvait plus s'occuper d'elle. Elle devint mendiante pour avoir un peu de pain.
Un jour, elle arriva devant une
belle maison et frappa à la porte.
- La charité, s'il vous plaît !
La maîtresse de cette maison ouvrit et vit la jeune fille.
- Comment, toi qui es grande et qui sembles en bonne santé, tu
demandes ton pain ?
- Hélas oui ! ma mère est morte et mon père n'a pas
suffisamment de travail pour me garder à la maison.
- Eh bien nous, affirma la maîtresse, nous avons besoin d'une
servante. Si tu veux travailler, nous te gardons.
- Oui, dit aussitôt la fille qui n'aimait pas du tout mendier.
Elle demeura dans cette maison.
Elle était laborieuse et se conduisait bien. Ses maîtres
étaient contents d'elle. Et comme elle était à demi nue, on
lui acheta une robe, en avance sur les gages promis.
Mais peu après, la jeune servante tomba malade et mourut. Sa
maîtresse commença à « regretter » la robe.
- Elle ne l'avait pas encore gagnée, se plaignait sans cesse la
mauvaise femme.
Quelques jours plus tard, une
jeune fille se présenta à la porte de la belle maison.
- N'avez-vous pas besoin d'une servante ? J'ai grand besoin
d'avoir du travail !
- Si, ma fille, tu tombes très bien. Nous avions une servante,
qui te ressemblait d'ailleurs beaucoup, mais elle vient tout
juste de mourir. Tu vas donc la remplacer.
La nouvelle servante était parfaite, il n'y avait vraiment rien
à lui reprocher et ses maîtres se mirent à l'aimer. Mais ce
qui les surprenait surtout était qu'on ne la voyait jamais ni
boire ni manger et chaque soir, après sa dure journée de
travail accomplie, au lieu d'aller se coucher, elle
s'agenouillait pour prier devant la cheminée.
Cela intrigua le valet qui coupait les bûches, car la réserve
ne cessait de diminuer. Un soir, il épia la servante à travers
le trou de la serrure. Il la vit alimenter le feu plus que de
raison, puis ôter ses vêtements, sauter au-dessus des flammes
jusqu'à ce que le feu soit tout éteint.
Le lendemain, le valet alla tout dire à la maîtresse. Celle-ci
n'en revenait pas. Elle appela aussitôt la jeune fille et lui
demanda :
- Est-ce vrai ce que raconte le valet ? Il t'a vue cette nuit
danser sur le feu, comme si tu voulais l'éteindre de cette
manière.
- Oui, répondit la jeune fille. C'est vrai. C'est aussi ma
pénitence. Vous aviez ici une servante qui est morte. Cette
servante, c'est moi. Vous m'aviez acheté une robe sur mes gages
et quand je suis morte, vous l'avez sans cesse regrettée. Il me
fallait donc, avant d'entrer au paradis, payer la robe le temps
nécessaire...
- Oh ! ma pauvre enfant, dit la femme soudain très émue. Plus
jamais je ne te reprocherai quelque chose et tu pourras t'en
aller quand tu voudras.
À peine ces mots furent-ils prononcés que la jeune fille disparut.