Le joueur de fifre.

 

Un brochet, une fourmi et une abeille aideront un joueur de fifre lorsque sa vie sera en danger.
Comme quoi l'on a toujours besoin d'un plus petit que soi.

Il était une fois un garçon habile en toute chose. Il était aussi très fort et aimait jouer du fifre. Il n'avait pas, en effet, son pareil pour souffler dans son instrument de musique et pour en tirer des airs entraînants. On le demandait un peu partout, dans les villes et les villages, pour faire danser les jeunes gens.

Un jour, au retour d'un bal où il en avait épuisé plus d'un, il passa sur les bords d'une rivière et aperçut à ses pieds un gros brochet étendu sur le sable, la bouche ouverte, comme mort.
- Adieu, joueur de fifre, dit le poisson.
- Adieu, brochet...
- Voudrais-tu me rendre un service ?
- Pourquoi pas, si je peux !
- Tout à l'heure, en sautant, je suis retombé hors de la rivière et je ne vais pas tarder à mourir, comme tu le vois, si tu ne viens pas à mon aide. Remets-moi tout simplement dans l'eau. Si tu te trouves un jour dans l'embarras, je ferai tout ce qui me sera possible pour toi.
- Hé ! Que pourrais-tu faire pour moi ? répondit le jeune homme en riant.
Le joueur de fifre ramassa le poisson et le remit dans la rivière, puis il s'éloigna en sifflotant sur le chemin. Un peu plus loin, il entendit une autre voix :
- Adieu, joueur de fifre.
Le garçon chercha d'où provenait la voix et aperçut dans le sable une fourmi blessée.
- Adieu, fourmi, répondit-il.
- Je voudrais te demander un service.
- Dis toujours, je verrai ce que je pourrai faire.
- Je me suis blessée, je ne peux plus marcher. Je vais mourir si tu ne t'occupes pas de moi. Je t'en prie, porte-moi jusqu'à la fourmilière. Là, mes amies sauront me guérir. Si un jour tu as besoin d'aide, tu pourras compter sur moi.
- Que veux-tu que je puisse jamais attendre de toi, pauvre bestiole ?
- Sait-on jamais !
Le joueur de fifre ramassa la fourmi et la porta à la fourmilière, à quelques pas de là à peine. Puis il reprit son chemin sans y penser davantage. Un peu plus loin, ce fut une abeille qu'il trouva sur son chemin.
- Adieu, joueur de fifre.
- Adieu, abeille.
- Est-ce que tu voudrais me rendre un service ?
- Pourquoi pas ?
- Je viens de me déchirer une aile et je ne peux plus voler. De grâce, porte-moi jusqu'au rucher. Un jour, je saurai t'aider aussi.
Le joueur de fifre ramassa soigneusement l'abeille et la porta au rucher. Ensuite, il continua son chemin en pensant à tout autre chose. Enfin, il arriva à sa maison.

Ce garçon réussissait si bien tout ce qu'il entreprenait que certains disaient qu'il était aidé par une fée. Le roi entendit parler de lui et en ressentit une certaine jalousie. Il lui demanda de venir immédiatement au château. Cet ordre étonna beaucoup le joueur de fifre. Mais que faire ? Il ne pouvait qu'obéir. Il partit donc sans tarder.
Le roi lui dit :
- On m'a assuré que tu avais un très grand pouvoir et que tu réussissais tout ce qu'il te prenait envie de faire. À présent, je veux savoir exactement ce qu'il en est. Tu vois cette clef ? C'est celle de mon trésor. Je vais la jeter dans la rivière et il faut que dans une heure tu me l'aies rapportée. Sinon, je te ferai pendre.
Disant cela, le roi se leva et jeta la clef par la fenêtre, droit au milieu de l'Adour.
- Je suis perdu, pensa le joueur de fifre. Personne au monde ne pourra retrouver cette clef. Il marcha tristement le long de la rivière, la tête basse, sans savoir que faire. Cette fois, le pauvre garçon ne voyait aucune solution pour s'en sortir.
Il aperçut soudain un gros brochet qui fendait l'eau dans sa direction. Quand il fut tout près du bord, le brochet lui adressa la parole.
- Qu'as-tu donc, joueur de fifre ? Tu n'es pas gai, aujourd'hui. Je ne t'entends plus siffler.
- On ne peut pas être toujours content !
- Tu es soucieux. Je veux savoir ce qui te tourmente.
- Eh bien, si tu y tiens tant, je vais te le dire. Le roi m'a fait appeler. Il a lancé ensuite la clef de son trésor au beau milieu de l'Adour et il m'a dit que j'avais une heure pour la lui ramener. Sinon, il me fera pendre !
- Ce n'est pas grand chose, dit le brochet. Ne te fais plus de mauvais sang. Je vais te tirer d'affaire. Souviens-toi quand tu m'as trouvé à moitié mort sur le bord de la rivière et que je t'ai prié de me remettre à l'eau. Tu m'as sauvé la vie. Aujourd'hui, je vais faire la même chose pour toi.
Cela dit, le brochet se retourna et plongea au fond de l'eau. Un moment après, il réapparut, tenant la clef dans sa bouche.
Voilà le joueur de fifre tout content. Jamais il n'avait ressenti une si grande joie. Il prit la clef en remerciant le poisson et courut la présenter au roi.
- C'est bien, s'étonna le roi, il n'y a rien à dire. Mais ce n'est pas encore fini. Maintenant, je vais faire éparpiller un sac de millet dans le bois, au milieu des broussailles, et si dans une heure tu n'as pas tout ramassé, tu seras bel et bien pendu.
Voilà le joueur de fifre bien plus chagriné encore.
- Le roi veut ma mort, pensa-t-il. Cette fois, je ne m'en tirerai pas. Qui pourrait venir à bout d'une telle tâche ?
Il se dirigea vers le bois et s'assit tristement sur un tronc d'arbre, la tête dans ses mains. Alors qu'il avait les yeux fixés à terre, il aperçut une fourmi qui le regardait.
- Te voilà bien triste, joueur de fifre. Je voudrais savoir ce qui se passe.
- Que veux-tu qui se passe ! fit le garçon accablé.
- Mais dis-le moi !
- Puisque tu y tiens, je vais te l'apprendre. Le roi a fait éparpiller un sac de millet parmi les broussailles, en me disant que si dans une heure je n'avais pas ramassé tout ce millet, il me faisait pendre.
- C'est tout ? dit la fourmi. Eh bien, mon ami, laisse-là ta tristesse, je peux te tirer d'embarras. Je me souviens que tu m'avais secourue lorsque je m'étais blessée. Tu m'as portée à la fourmilière. Sans toi, je serais morte. À mon tour, maintenant, je te sauverai la vie.
Ayant dit cela, elle disparut. Quelques instants après, elle revint accompagnée par toute la fourmilière qui se répandit dans le bois et ramassa tous les grains de millet. Le joueur de fifre n'eut qu'à se croiser les bras et regarder travailler les fourmis. Tous les grains furent rangés dans le sac. Lorsque le roi vint pour voir, il fut de nouveau très surpris. Il dit au joueur de fifre :
- C'est bien, mon garçon, c'est même fort bien. Tu sais diablement t'en sortir et ta réputation n'est pas fausse. Seulement, tu n'es pas quitte encore. J'ai trois filles, toutes les trois très belles et si ressemblantes que c'est à peine si je peux les distinguer moi-même. Une d'elle est amoureuse de toi. Demain, elles iront à l'église. Il faudra que tu saches me dire, devant tout le monde, quelle est celle qui t'aime. Si tu le devines, tu seras son mari, sinon, tu seras pendu.
Le pauvre joueur de fifre se trouva plus embarrassé que jamais. Il voulait bien épouser la fille du roi, mais comment découvrir celle qui l'aimait ? De plus, il n'avait jamais vu ces trois princesses. Il s'en retournait sur le chemin bien tristement lorsqu'il entendit une abeille qui tournait autour de son oreille.
- Comment, joueur de fifre, tu as une bien piteuse mine !
- Je n'ai pas de quoi être gai, répondit le garçon.
Il lui conta tout de suite son affaire et ajouta qu'il se croyait perdu.
- Mais tu te trompes, dit l'abeille. Tu m'as sauvé la vie en me ramenant à mon rucher. Je vais te rendre maintenant le même service. Demain matin, lorsque le roi entrera dans l'église avec ses trois filles, je serai là. Tu me verras voler autour de la tête d'une des filles. Ce sera celle-là que tu devras désigner au roi.
Le joueur de fifre voulut remercier l'abeille, mais celle-ci était déjà partie. Alors il rentra tout content chez lui.
Le lendemain matin, le roi arriva dans l'église avec ses trois filles, toutes trois très belles et se ressemblant les unes les autres, comme s'il s'agissait de miroirs.
- Jamais aucune de ces belles demoiselles ne voudra devenir ma femme, se dit le joueur de fifre, tout émerveillé.
Quand elles furent toutes les trois assises, il vit l'abeille qui tournait autour du visage et des cheveux de l'une d'elles. Le garçon se leva rapidement et dit au roi :
- C'est celle qu'une abeille importune maintenant.
À peine avait-il parlé que l'abeille disparut avec un sifflement joyeux.
Le roi prit alors la parole :
- C'est vrai, c'est bien elle, et puisque tu l'as deviné, elle sera à toi, tu l'épouseras.
C'est ainsi que le joueur de fifre fit honneur à sa réputation et épousa une princesse qui était amoureuse de lui.


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