La fille du jardinier.

 

En Lomagne, du côté de Beaumont, on racontait cette histoire qui nous prouve bien que l'on a toujours besoin des fées...

Un pauvre homme avait trois filles et les aimait beaucoup. Son travail de jardinier lui permettait à peine de les nourrir. C'est pour cela qu'il bêchait, ratissait, sarclait son jardin du soir au matin et du matin au soir.
Une fois qu'il bêchait un rosier, se dressa devant lui un grand lézard. Et ce lézard lui dit :
- Homme, je sais que tu as trois filles. Il faut que tu m'en donnes une en mariage, sinon je te mangerai.
Le jardinier fut bien triste d'entendre cela. Il rentra chez lui la tête basse. En le voyant ainsi, sa fille aînée lui demanda :
- Père, qu'avez-vous ?
- Je viens de voir un grand lézard et il m'a demandé une de mes filles en mariage, sinon il me mangera. Laquelle d'entre vous consentira à l'épouser ?
- Pas moi, s'écria l'aînée !
La seconde fille entra et, voyant son père bien en peine, lui demanda :
- Qu'avez-vous, père ? Vous avez l'air bien triste.
Il le lui dit.
- Pas moi, s'écria la seconde fille.
La plus jeune entra enfin et posa la même question.
- Moi, dit-elle, je suis prête à épouser le lézard !
Elle alla dans le jardin et rencontra l'animal au pied du rosier.
- Viens avec moi, dit le grand lézard, et aussitôt, la terre s'ouvrit et ils descendirent à l'intérieur par un grand escalier. Plus personne ne revit la jeune fille et le lézard.

Un jour que l'on s'attristait, dans la maison du jardinier, du sort de la disparue, la fille aînée eut l'idée de retourner dans le jardin et de bêcher le pied du rosier... Elle découvrit les escaliers et les descendit marche après marche. Elle vit une splendide maison tout éclairée, elle y entra et trouva sa soeur assise au coin du feu. Elles s'embrassèrent, très émues.
- Il ne faut pas pleurer, dit la plus jeune fille du jardinier, je ne suis pas malheureuse. Le mari que j'ai est très beau... Je te le montrerai ce soir. Le jour, il se transforme en lézard, la nuit...
Le soir venu, lorsque le mari fut endormi, les deux soeurs s'approchèrent du lit. Mais l'une fit un geste brusque qui réveilla le beau prince.
À l'instant même, tout disparut : l'homme, la maison et elles se retrouvèrent dans un hallier profond, en plein milieu d'un pays désert, sous un ciel sans étoiles.
Elles marchèrent alors longtemps, longtemps, sans apercevoir personne. Bientôt pourtant, elles découvrirent, tout en haut d'une montagne, un grand château. C'était le château des vents.
- Où veux-tu aller ? dirent les vents à l'aînée.
- Je veux rejoindre la maison de mon père, le jardinier.
- Alors suis-moi, répondit la bise.
- Et toi, où veux-tu aller ? dirent les vents à la plus jeune.
- Je veux retrouver mon mari, le prince Lézard.
- Alors suis-moi, répondit le vent d'autan.
Au bout de sept jours, l'aînée tomba épuisée dans un pays désert et glacé. Nul ne sait ce qu'elle devint.
Le vent d'autan dit à la plus jeune :
- Pauvrette ! d'ici à l'endroit où tu veux aller, il y a encore bien du chemin. Pourtant je vais essayer de le raccourcir. Tu vas aller jusqu'à cette maisonnette où brille une lumière. Là, tu feras ce que l'on te dira. C'est ainsi que peut-être tu retrouveras un jour ton mari.
- Merci, vent d'autan, dit la jeune femme.
Elle arriva à la maisonnette. Là, habitait une bonne fée. La fille du jardinier, lorsqu'elle fut bien reposée, lui raconta son aventure.
- Ma fille, dit la fée, c'est bien toi qui es responsable de ton malheur. Ton mari est un roi qu'un méchant enchanteur a condamné à une longue épreuve en l'obligeant à être lézard pendant le jour. En acceptant de l'épouser, tu lui as permis en partie de se libérer. Mais il ne fallait pas que son secret soit révélé. Dans sept jours maintenant, son épreuve sera terminée et il ne se rappellera plus de toi ! Ah, tu peux pleurer sur ton malheur !
C'est ce que fit la fille du jardinier. Elle pleura, pleura pendant sept jours. La fée qui était partie revint bientôt.
- Pauvrette ! le roi, ton mari, t'a complètement oubliée. Il se remarie demain.
La fille du jardinier n'avait plus de larmes pour pleurer.
- Écoute, dit la fée, je vais essayer de t'aider. Prends cette quenouille d'or avec laquelle tu fileras des fils d'or. Va à la porte de l'église. La fiancée voudra t'acheter cette quenouille et toi tu diras : « Elle n'est pas à vendre, ni à donner, mais avec le marié je veux rester. »
La jeune femme alla à la porte de l'église et lorsque la fiancée vit cette belle quenouille, elle voulut l'acheter.
- Elle n'est pas à vendre, ni à donner, mais avec le marié je veux rester.
- Mais tu es folle ! dit la mariée.
Sa mère qui était près d'elle et avait tout entendu parla à l'oreille de sa fille.
- Accepte de les laisser une journée ensemble pour avoir cette extraordinaire quenouille.
La mariée accepta donc, mais de tout le jour, la fille du jardinier ne put rencontrer le roi. Le soir venu, on fit boire à celui-ci un breuvage qui l'endormit aussitôt. La pauvre oubliée fit tout son possible pour le réveiller en lui disant:
- Te souviens-tu du temps où tu étais lézard ? Rappelle-toi du jardin de mon père. C'est avec moi que tu t'es marié.
Mais il dormait toujours.
La jeune femme retourna chez la fée pour lui dire que le roi n'avait même pas eu l'occasion de la reconnaître.
- Tu vas prendre cette fois ce dévidoir et tu iras y enrouler du fil d'or devant la porte du palais. La mariée voudra te l'acheter, mais tu diras : « Il n'est pas à vendre, ni à donner, mais avec le marié, je veux rester. »
La nouvelle reine consentit encore, mais la fille du jardinier et le roi ne purent rester ensemble un seul instant. Le soir, un nouveau breuvage plongea le roi dans un profond sommeil.
La fille du jardinier raconta à la fée ce qui s'était encore passé.
- Cette fois, dit la fée, tu vas prendre ce plat en or, avec dedans des oiseaux rôtis qui chantent, et retourner à la porte du palais.
Bien entendu, la reine voulut ce plat en or avec des oiseaux rôtis qui chantent et en demanda le prix.
- Il n'est pas à vendre, ni à donner, mais avec le marié je veux rester.
La mariée, malgré sa grande envie d'avoir un plat si extraordinaire, commençait à être en colère. Elle consentit de mauvaise grâce.
Le soir, l'oiselière se trouva dans la chambre du roi, et celui-ci, comme par enchantement, était bien éveillé. Il avait en effet jeté le breuvage dans la cheminée.
La fille du jardinier lui demanda :
- Te souviens-tu du temps où tu étais lézard et où tu demandas à mon père l'une de ses filles ? C'est avec moi que tu t'es marié...
Le roi s'en souvenait parfaitement et il se montra tout heureux d'avoir retrouvé sa première femme.
- Maintenant que tu es là, je te garde, dit-il. Et ils vécurent très heureux.

 

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