La chasse du roi Arthur.

 

Si un jour où le ciel est bas, où les nuages courent à toute vitesse, vous entendez siffler la cime des arbres, arrêtez-vous. Avec un peu de chance, vous allez assister à de grandes choses.

Il y avait un grand roi qui s'appelait Arthur. Il aimait par-dessus tout courir sur la lande, entrer dans les fourrés, poursuivre les cerfs et les lièvres, attendre l'aube pour lancer sa chasse. Rien ne pouvait l'empêcher d'être un grand chasseur. Tous les seigneurs autour de lui étaient pareils et les dames aussi. Dès que l'appel se faisait entendre, il fallait que tous sautent sur les chevaux et s'élancent à la poursuite des bêtes sauvages.
Mais cet appel, on ne pouvait l'entendre que les jours de tempête, lorsque le vent hurle dans les forêts et sur le toit des maisons.
On raconte du côté d'Arcachon - il y a de cela plus de cent ans, plus de mille ans - qu'un très beau lièvre passa devant la porte de l'église, poussé par les chiens, sans doute, mais aussi par la légende. Il en fit plusieurs fois le tour avant de s'enfuir vers la forêt.
Dans l'église, ceux qui avaient la chasse dans la tête sortirent aussitôt et s'élancèrent derrière le lièvre. Mais ce lièvre devint si grand que l'on crut bientôt que c'était un cerf. Et ce cerf n'avait pas la couleur de rouille des fougères ou des aiguilles de pin, il était devenu blanc comme le givre et comme la neige.
Tous les chasseurs à la poursuite de la bête fabuleuse crurent plusieurs fois, au cours de la journée, l'atteindre et s'en rendre maître. Mais c'était faux. Dès qu'on croyait lui mettre la main dessus, elle s'enfuyait plus vite que le vent, inaccessible, insaisissable.
Ce fut une folle poursuite. Les petits arbres furent fracassés, l'herbe fut labourée, le blé piétiné. La bête faisait toujours quelques sauts magnifiques, échappant au tout dernier moment aux chasseurs et aux chiens.
Tous ceux qui rencontrèrent cette chasse traversant leur chemin, leur étang ou leur pré étaient émerveillés par toute cette force et cette couleur. Leur désir le plus grand était de se joindre aux chasseurs. Il y eut bientôt une grande foule qui courait après l'inaccessible cerf blanc, une foule avide d'air, de vent, de chasse. Nul ne pouvait savoir quand cela s'arrêterait. Le roi Arthur et ses plus proches compagnons voulaient-ils seulement qu'un jour elle s'arrête, cette chasse fabuleuse ?

Quand le prêtre vit que son église s'était vidée, il lança une malédiction.
- Que tout s'arrête, dit-il. Que le roi Arthur soit puni !
À cet instant, le cerf blanc se montra moins agile, il glissa sur une pierre et Arthur l'atteignit avec son arme. Aussitôt, on alluma un grand feu pour faire cuire la bête et l'on s'apprêta à la manger, dans une grande clairière où la foule se rassembla.
- Ceux qui n'auront pas de chair auront au moins l'odeur de la viande cuite, disait-on avec une pointe d'inquiétude.
Mais à mesure que la bête cuisait, elle devenait de plus en plus grande et chacun eut un morceau. Lorsque plus personne n'eut faim, on s'interrogea sur ce mystère.
- C'est certainement le diable qui se moque de nous, affirma quelqu'un. Nous avons quitté la messe pour la chasse !
Et des quelques os qui restaient dans les cendres, une voix monta soudain.
- Je suis le diable, en effet.
- Va-t-en ! dirent les chasseurs épouvantés.
- Je ne peux pas. Je ne puis maintenant m'en aller qu'en eau, en vent ou en feu. C'est à vous de choisir.
Arthur consulta ses compagnons.
- Le feu, il ne faut pas en parler sur la lande. L'eau, comme le feu, ne peut pas être arrêtée. Il ne reste que le vent.
Arthur demeura un long moment silencieux.
- Sois-donc le vent, dit-il enfin au diable.
Alors une terrible tempête se leva. Tout se mit à hurler et à se déchirer. La forêt se cassa de toute part, les branches craquèrent et tourbillonnèrent dans le ciel, les animaux épouvantés se plaignirent à la mort. Les loups s'enfuirent avec les biches. Les villages furent renversés et les toits s'envolèrent. Les récoltes de l'automne furent toutes égrenées dans les sillons.

Ce fut un grand malheur. Et tout cela, pour un simple lièvre, aussi magnifique fut-il !

 

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