Bernanoueille.

 

Parce qu'il a un instant porté le bon Dieu sur ses épaules, Bernanoueille réussira tout ce qu'il entreprendra.

Il était une fois un berger nommé Bernanoueille. Il gardait son troupeau au bord d'une rivière lorsqu'un vieillard vint à passer.
- Berger, dit le vieillard, veux-tu me porter de l'autre côté de l'eau ?
Bernanoueille le prit comme un sac et le transporta sans difficulté.
- Tu m'as bien rendu service, dit le pauvre. Mais moi aussi, je vais maintenant te rendre un service.
- Vous me paraissez bien pauvre. Que pouvez-vous me donner ?
- Je parais pauvre, c'est certain. Mais en réalité, je ne le suis pas. Tu ne pouvais pas savoir que j'étais le bon Dieu !
- Si cela est, répondit Bernanoueille, je ne vous demande qu'un seul petit service. Quand il faudra que je rapporte un fagot de la forêt, j'aimerais que ce soit le fagot qui me porte et non l'inverse.
- D'accord, dit le bon Dieu, prends cette baguette et tu frapperas le fagot. Il te mènera où tu voudras.
Bernanoueille ne se le fit pas dire deux fois. Il quitta vite le bon Dieu et alla dans la forêt. Là, il fit un gros fagot, se mit à califourchon dessus et le frappa légèrement avec la baguette.
- Porte-moi chez moi, commanda-t-il.
Le fagot partit tout droit dans les airs, sans jamais chavirer. Les enfants, qui le virent passer avec le berger dessus, pensèrent que c'était le diable.
Bernanoueille arriva chez lui sans difficulté. Il recommença plusieurs fois l'expérience et chaque fois, elle réussit. Il rangea alors sa belle baguette, se disant qu'elle était plus précieuse qu'une grande métairie.
Un jour, il passa devant le château du roi avec sa baguette. La fille du roi était à la fenêtre. C'était une belle enfant que cette fille, jamais Bernanoueille n'en avait vu de pareille.
- Elle est bien jolie, se dit-il en soupirant.
Une brusque folie le prit dans sa tête. Et si cette princesse avait un enfant aussi beau qu'elle ? Bernanoueille fut ravi d'avoir cette idée et il partit, sifflant comme un merle.
Le résultat ne se fit pas attendre. L'enfant arriva comme l'avait dit cet idiot de Bernanoueille. Le roi, fou de colère, demanda à sa fille :
- Quel est le père ?
- Le sais-je moi-même ? répondit la princesse, je ne l'ai jamais vu !
L'enfant était beau, aussi beau que sa mère à laquelle il ressemblait beaucoup. Quand le roi le voyait, il éprouvait beaucoup de plaisir, mais aussitôt après, il s'irritait contre sa fille et la menaçait de la faire mourir si elle ne disait pas qui était le père.
Quand l'enfant eut un peu grandi, le roi réunit tous les princes des alentours. Cet enfant, vu sa beauté, ne pouvait être que le fils d'un prince. Il allait donc découvrir de qui il s'agissait. L'enfant de lui-même reconnaîtra son père, pensait le roi.
Tous les princes furent mis en rang et l'enfant passa avec une pomme d'or dans les mains. À qui allait-il la donner?
Il garda la pomme d'or et ne la donna à personne.
Le roi fit une autre assemblée avec tous les bourgeois du pays, mais le père ne se trouvait pas parmi eux.
Le roi fit une dernière assemblée avec tous les paysans, les valets, les artisans, les soldats et même les vagabonds.
Bernanoueille était le troisième du dernier rang. Quand l'enfant arriva à lui, il lui tendit la pomme et dit :
- Tiens, Papa, prends cette pomme.
Bernanoueille, qui ne comprenait rien à ce qui se passait, prit la pomme et la montra fièrement.
Le roi était furieux. Il rassembla ses ministres et fit condamner le père, la mère et l'enfant à périr en mer, enfermés dans un tonneau.
Lorsqu'ils furent jetés à la mer, Bernanoueille réussit à conduire le tonneau grâce à sa baguette magique, comme si c'était un bateau. En fait, il voulait rendre heureuse la princesse, et lui promit de lui donner tout ce qu'elle pouvait désirer.
- Sur cette eau, dit-elle, je voudrais un château, tout pareil au château du roi mon père. Du château partirait un pont de verre qui irait d'ici à la terre, devant le château du roi, mon père. Et sur ce pont, je voudrais le plus grand nombre de soldats.
Sur le champ, tout cela fut fait.
À son lever, le roi vit sur le pont tous les soldats armés. Il s'informa de ce qui se passait. On lui répondit que c'était Bernanoueille qui se trouvait à la tête de cette armée.
- Si vous n'acceptez pas de me donner votre fille en mariage, fit savoir Bernanoueille, je prendrai votre place et vous serez à votre tour enfermé dans un tonneau et jeté à la mer. Vous, vous ne pourrez pas vous en tirer.
- Dites-lui de venir, décida le roi tout adouci, je préfère la paix à la guerre. Et puisque Bernanoueille est si habile, eh bien, qu'on le marie avec ma fille, et que l'on n'en parle plus.

Bernanoueille fut donc le premier après le roi. De stupide et pauvre qu'il était, il devint riche et cela, parce qu'il avait aidé quelqu'un qu'il croyait plus pauvre que lui.


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