La sirène.
Huelva



Il était une fois, une famille de pêcheurs qui avait un seul fils. Le père allait pêcher chaque matin. Un jour, son filet pesait tant et tant qu'il pouvait à peine le tirer de l'eau ; quand il y parvint enfin, il vit que sa prise était un énorme poisson qui lui dit :
- Je vais te manger si tu ne promets pas de m'apporter la première personne que tu rencontreras.
Le pêcheur pensa que, comme chaque jour, sa petite chienne serait la première à se précipiter pour l'accueillir, et il se résigna à devoir la donner. Le poisson s'enfonça dans la mer tandis que le pêcheur rentrait chez lui ; mais ce jour-là, qui sortit le premier pour l'accueillir ? Au lieu de la petite chienne, ce fut son fils !
Le père lui demanda pourquoi il s'était précipité à sa rencontre, et le fils répondit qu'il était inquiet de son retard. Le père lui raconta son aventure, qu'il avait pris une sirène dans son filet et qu'elle exigeait qu'il lui livrât le premier qui sortirait de sa maison pour l'accueillir.
Le jeune homme reconnut que son père était obligé de tenir sa parole ; mais avant de se rendre, il décida d'aller visiter quelques amis au village voisin pour leur dire adieu.
En chemin, il rencontra une fourmi, un loup et un aigle ; tous trois se disputaient la dépouille d'un âne mort et tous trois en voulaient la plus grosse part, refusant le partage. Au passage du garçon, ils l'appelèrent et lui demandèrent de trancher. Il attribua la chair à l'aigle, les os au loup et la peau à la fourmi. Alors qu'il repartait ils le retinrent, et il craignit un moment qu'ils ne veuillent le manger aussi ; mais au contraire ils lui dirent qu'ils voulaient le remercier de ses bons services. Le loup lui donna un petite morceau d'oreille, qui avait la vertu de se transformer en loup dès qu'on le secouait en disant : « Misère de moi ! Le loup ! » L'aigle lui donna une plume, qui avait la propriété de se convertir en aigle si l'on disait : « Misère de moi ! L'aigle ! » et la fourmi, une petite patte qui se transformait en fourmi si l'on disait : « Misère de moi ! La fourmi ! »

Nanti de ces cadeaux, le fils revint chez lui et dit à son père de l'amener à la sirène. Au moment d'être livré au poisson, il prit la plume et dès qu'il eut prononcé les paroles « Misère de moi ! L'aigle ! » il se transforma en aigle et d'un seul coup d'aile vola vers le palais où la princesse, voyant un si bel oiseau, le fit attraper et attacher au pied de son lit. Dans la nuit, il se transforma en homme ; la princesse prit peur ; le jeune homme la rassura et lui raconta son histoire. Le roi voulut qu'il reste au palais où il se fit aimer de tous. Tous les jours il sortait en carrosse avec le roi et la princesse et quelquefois, ils faisaient même une promenade en barque sur la mer.
Un jour, la sirène le vit, s'en saisit et l'emporta sous les yeux du roi et de la princesse. Le roi déclara qu'il trouverait bien un moyen de l'arracher à la sirène. Connaissant le goût de celle-ci pour l'or et l'argent, il fit fabriquer un aviron d'argent et un jour, sa fille et lui se mirent à la recherche de la sirène et lui dirent que même si elle ne montrait que la moitié du corps du jeune homme, ils lui donneraient l'aviron d'argent. La sirène ne leur montra que la tête de son prisonnier et ils ne purent rien faire ; la princesse dit alors que si elle acceptait vraiment de montrer la moitié du corps, elle lui offrirait un aviron d'or. La sirène accepta le marché pour un autre jour, et elle sortit vraiment la moitié du corps du jeune homme ; celui-ci, profitant aussitôt de cette liberté, prit la forme d'un aigle et s'envola. La sirène s'exclama :
- Ah ! Chenapans, vous m'avez trompée ! Mais je me vengerai !
Tandis que la princesse regagnait le palais, la terre s'ouvrit soudain et l'engloutit. L'aigle voyant ce qui se passait dit :
- Je la sortirai de ce mauvais pas.
Il se transforma de nouveau en homme et demanda à plusieurs maçons de creuser des petits trous dans la crevasse. Il sortit alors la petite patte de fourmi et dit :
- Que je me transforme en fourmi.
Il put ainsi pénétrer dans un château ou un géant gardait la princesse. Il reprit sa forme d'aigle et la princesse le reconnut aussitôt. Il redevint un homme pour lutter contre le géant, tandis qu'il faisait transformer la princesse en fourmi et l'emportait avec lui.
Ils se hâtèrent vers le palais où le roi les accueillit avec joie et autorisa sa fille à épouser son libérateur.
Ils vécurent très heureux ; mais ils prirent toujours grand soin de ne jamais passer près de la mer où ils risquaient de rencontrer la sirène.


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L'anneau qui disait « par-ici ».
Asturies



Il était une fois, une jeune fille très jolie et très pauvre qui allait souvent dans la montagne pour ramasser du bois. Il arriva qu'un jour, très absorbée par sa besogne, elle ne vit pas la nuit tomber. Alors elle prit peur et se perdit.
- Mon Dieu, se dit-elle, que vais-je devenir...
La nuit, humide et obscure, le chemin sans fin et difficile, la petite, minuscule et terrorisée... Elle s'élança, marcha et découvrit une lumière. Elle se dirigea vers elle et arriva à une maison. À la porte de la maison se tenait un géant.
Elle ne pouvait plus s'échapper, alors elle lui dit timidement :
- Je me suis perdue, je suis fatiguée et je ne sais où passer la nuit. Me feriez-vous la faveur de m'accueillir ?
Et le géant répondit :
- Ah ! mais oui, fillette, bien sûr que oui !
Le coquin !... Le géant était un coquin.
Il se dirigea vers la porte et dit :
- Ouvre-toi.
Ils entrèrent et le géant ordonna encore à la porte :
- Ferme-toi.
La porte se ferma. Ils se trouvèrent dans la cuisine. Un très grand feu brûlait dans la cheminée et une énorme marmite reposait sur un trépied tout aussi gigantesque. Le géant prit place près du foyer et la lumière du feu l'éclaira. Alors la fillette le vit nettement : il était noir de peau, féroce de mine, avait de grandes dents et un seul oeil : sur le front, il n'avait qu'un seul oeil !...
La peur de la petite allait croissant, mais elle s'efforça de la dissimuler. Après l'avoir regardée avec un plaisir évident, le géant lui ordonna :
- Prépare-moi le repas dans cette marmite. Tu trouveras là un mouton... Dorénavant, tu vivras avec moi, et si un jour tu essayais de t'échapper, au lieu de manger de la viande de mouton, je te mangerais, car tu es bien plus tendre.
La fillette lui obéit et s'activa aussitôt à la cuisine. Le géant sourit, et quand il vit qu'elle se résignait à son sort il alla dans sa chambre.
- Quand tu auras fini, lui dit-il, tu m'apporteras le repas au lit.
Il se coucha, s'endormit et se mit à ronfler avec fracas.
Le repas étant prêt, la petite en mangea sa part. Elle mit sur le feu un fer pointu qu'elle avait trouvé, puis elle fouilla toute la maison. Elle vit de nombreuses peaux de mouton accrochées contre les murs. Une porte dans la cuisine donnait sur un enclos. L'enclos était immense et la multitude de brebis élevées par le géant y paissait. La gamine retourna près du feu, y prit le fer incandescent et se rendit dans la chambre du géant sur la pointe des pieds. Il dormait comme une marmotte et ses ronflements faisaient trembler toute la pièce. La fillette brandit le fer et lui enfonça dans l'oeil.
Le cri poussé par le géant dut s'entendre à mille lieues à la ronde. Il se martelait le front, la bouche et le nez avec ses poings ; il trépignait d'un bout à l'autre de la pièce. Il se répandait en coups et en glapissements, essayant de se venger de la gamine. Il lui sembla que la meilleure façon de l'empêcher de partir était de se placer devant la porte. Ce que voyant, la fillette saisit une peau de mouton dont elle se recouvrit et se dirigea vers l'enclos. Elle atteignit la porte extérieure et l'ouvrit au moment où le géant s'y plantait, une jambe de chaque côté. Les brebis commencèrent à s'élancer entre les jambes de leur maître qui bafouillait :
- Je te trouverai... Je te trouverai...
Il les touchait toutes et disait :
- Une blanche... une noire... une blanche... une noire...
La fillette, cachée sous sa peau, se glissa entre les brebis, et le pauvre aveugle la confondit avec les autres bêtes. Il la palpa mais la laissa s'échapper, la peau lui restant entre les mains :
- Une blanche... une noire... et moi je suis dehors !
Le géant se mit dans une colère terrible. Il s'étranglait de rage, puis brusquement il sourit à la fillette. Il enleva un anneau de son doigt et le jeta à ses pieds, lui disant avec douceur :
- Puisque tu es si maligne, je te pardonne. Pour preuve de mon pardon, je t'offre mon anneau préféré.
L'anneau brillait dans l'herbe comme un ver luisant. La gamine, craignant un piège, le regardait sans oser le ramasser. Mais le géant semblait si calme et l'anneau brillait tellement que finalement la petite se baissa, le prit dans sa main et se le passa au doigt. Aussitôt, l'anneau se mit à chanter :
- Par-ici !... je suis par-ici !...
Le géant se dressa comme une furie et se précipita vers la fillette en proférant d'épouvantables malédictions.
L'anneau le guidait :
- Par-ici !... je suis par-ici !...
Et la fillette essayait en vain de la retirer tandis qu'elle s'enfuyait.
Au moment où le géant allait la rejoindre, elle arriva près d'une rivière au cours gonflé par les pluies. Elle se saisit du couteau qui lui servait à tailler les branches dans la montagne, et d'un coup sec se trancha le doigt orné de l'anneau. Elle le ramassa et le jeta dans la rivière. Plongé dans l'eau, l'anneau continuait sa chanson :
- Par-ici !... Je suis par-ici !...
Le géant, se laissant guider par la voix, entra dans le fleuve. L'eau bouillonnante l'emporta dans un tourbillon et il disparut en un instant.
La petite retourna à la maison du géant, réunit tout le troupeau et le mena jusqu'à sa propre chaumière.


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Xavier peau-de-crapaud.
Asturies



Il était une fois, un roi qui avait trois filles et qui voulut savoir un jour combien elles l'aimaient. La première lui dit qu'elle l'aimait comme la chèvre aime le couteau, la seconde comme le sang aime le pain et la troisième comme le pain aime le sel. Le roi se déclara fort satisfait des propos de ses deux premières filles ; mais, irrité par ceux de la troisième, il décida de la faire tuer par quatre domestiques, à charge pour eux de lui rapporter ses yeux.
Au moment de la tuer, les quatre compères eurent pitié de leur victime et lui permirent de s'échapper, après lui avoir demandé de quitter le pays sous peine d'être la cause de leur propre mort, car ils savaient que le roi ne leur pardonnerait jamais de lui avoir désobéi. Ils tuèrent une petite chienne trouvée en chemin et rapportèrent ses yeux au roi, qui fut convaincu que sa fille était bien morte.
La pauvre enfant erra, erra sans but un grand moment, puis elle rencontra sur son chemin un berger vêtu de haillons. Sachant que si elle restait habillée en princesse, il lui serait difficile de ne pas être reconnue, elle proposa au berger de lui acheter, ses vêtements, ce qu'il accepta. Elle les enfila aussitôt et reprit sa marche, prenant bien soin d'emporter ses propres atours dans un petit baluchon. Elle arriva ainsi dans un palais où on cherchait un gardien de dindons. Elle se proposa pour cet emploi, qu'on lui donna grâce au déguisement d'homme qu'elle avait revêtu.
Devenue gardienne de dindons, elle les conduisait chaque jour aux champs, mais elle s'ennuyait fort ainsi, toujours seule, et un beau jour qu'elle s'était arrêtée avec son troupeau près d'un puits, elle ne put résister au plaisir d'enfiler sa belle robe de princesse et de contempler son reflet dans l'eau du puits. Les dindons, éblouis par sa beauté, la regardaient fixement et comme ils étaient très bêtes, ils en oublient même de manger, si bien que chaque jour le plus vieux mourait d'inanition et chaque soir notre héroïne revenait au palais une dinde morte dans les bras.
Le fils du roi, très étonné de voir une dinde mourir chaque jour, se prit à penser que le gardien était sûrement responsable, et il décida de l'épier. Un beau jour, sans rien dire à personne, il suivit le troupeau et se cacha derrière un arbre pour tout voir sans être découvert. La princesse, qui ne se doutait de rien, changea de vêtements comme les autres jours en arrivant auprès du puits, et apparut aux yeux du prince dans toute sa splendeur et sa beauté - qui étaient fort impressionnantes au dire de tous ceux qui l'avaient vue. Il n'est donc pas étonnant que le prince en tomba éperdument amoureux et résolut sur-le-champ de l'épouser, persuadé qu'il était de ne pouvoir survivre si elle n'était pas à ses côtés.
Il retourna chez lui au comble de l'émoi. La nuit venue il monta se coucher, appela la cuisinière, lui dit qu'il ne se sentait pas bien, qu'il n'avait pas faim, qu'il voulait seulement une tasse de bouillon et qu'il voulait que ce soit Xavier peau-de-crapaud - car c'est ainsi qu'on appelait le gardien de dindons - qui la lui montât. La cuisinière en resta pantoise et suffocante d'étonnement.
- C'est pas possible que Xavier peau-de-crapaud, qui est si sale, si lourdaud, mette les pieds dans votre chambre. Il grouille tellement de poux que nous sommes obligés, à la veillée, de le mettre à l'écart, pour qu'il ne nous passe pas sa vermine.
Il faut dire que chaque soir la princesse, qui craignait d'être reconnue si elle restait trop longtemps à la lumière, se mettait à se gratter furieusement dès qu'elle s'asseyait avec les autres autour de la cheminée, et jetait au feu une poignée de gros sel que tout le monde prenait pour des poux, si bien que chacun la repoussait avec dégoût :
- Xavier peau-de-crapaud, va dans ton coin !
Et elle allait dans son coin, où elle avait moins de risque qu'on découvre qu'elle n'était pas un homme.
La cuisinière eut beau lui raconter tout ça, le prince ne voulut pas céder - car, comme on le sait, les princes sont très têtus quand ils ont une idée en tête -, et la pauvre femme redescendit donc dans sa cuisine en ronchonnant et de fort méchante humeur. Elle trouva Xavier dans son coin, comme d'habitude. Elle lui demanda de s'ajuster un peu et de monter une tasse de bouillon au prince. Xavier résista tant qu'il put, mais devant l'insistance de la cuisinière, il prit la tasse de bouillon et la monta dans la chambre du prince. Celui-ci en a voyant se sentit beaucoup mieux, il la prit par la main, la fit asseoir auprès de lui, lui raconta qu'il l'avait démasquée et qu'il était tombé amoureux d'elle, qu'il voulait l'épouser quoi qu'il arrive. Se voyant découverte et le prince ne lui déplaisant pas, la jeune fille lui dévoila toute l'histoire, ce qui enchanta le prince car il pensa que cela permettrait à ses parents de consentir plus facilement à son mariage.
On célébra la noce quelques jours plus tard en présence de tous les rois des royaumes voisins, sans oublier bien sûr le père de la fiancée pour qu'il puisse être témoin de son bonheur. Il arriva donc au palais mais ne la reconnut pas, car elle avait beaucoup changé, et de plus il était persuadé qu'elle était morte. La princesse le reçut avec plus d'égards que les autres invités et fit fabriquer pour lui seul une miche de pain sans sel. Comme le sel donne toute sa saveur au pain, le roi ne la mangea pas et au prince qui l'interrogeait, il répondit qu'il n'aimait pas ce pain car il n'était pas salé.
- Alors, monsieur, lui dit le prince, comment se fait-il, à ce qu'on m'a dit, que vous ayez fait tuer une de vos filles qui avait dit vous aimer comme le pain aime le sel ?
- C'est vrai, monsieur, lui répondit le roi très triste, et c'est mon remords, car j'ai compris depuis combien elle m'aimait.
- Que donneriez-vous pour qu'elle ressuscite ?
- La moitié de mon royaume.
- Vraiment ?
- Oui, monsieur.
- Alors merci, monsieur, car voici la princesse, dit le prince fort réjoui, en montrant celle qu'il venait de prendre pour épouse.
Le roi se retourna, reconnut sa fille, et sa joie fut si grande qu'il en tomba raide mort. La princesse et le prince restèrent mariés et heureux pendant de longues années.


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Les barques d'or, d'argent et de soie.
Huelva



Il était une fois, un prince qui avait trois fils. L'aîné voulait partir chercher fortune ; son père pensait que ça ne valait pas la peine puisqu'il était déjà lui-même assez riche.
Le fils lui demanda sa bénédiction, le pria de lui faire construire une barque en or pour qu'il puisse s'en aller. Dès qu'il fut en sa possession, il la mit à l'eau et s'embarqua. Il arriva dans une ville où, avec l'aide de quelques jeunes garçons, il sortit son bateau de l'eau et le transporta dans un hangar près de la chambre qu'il loua dans une auberge. Il demanda un sac à l'aubergiste et se dirigea vers les arènes pour y acheter de la viande.
En passant devant le palais du roi, il remarqua un écriteau qui annonçait que le roi avait caché sa fille à l'intérieur et que celui qui la retrouverait pourrait l'épouser. Le jeune homme entra avec l'idée d'y parvenir. Le roi l'avertit que s'il ne réussissait pas à retrouver sa fille avant trois jours, il le ferait emmurer. Le jeune homme décida quand même d'entreprendre les recherches... ne trouva pas la princesse, et fut donc emmuré.
Le père et les deux frères ne le voyant pas revenir, le cadet décida de partir à sa recherche et il demanda à son père de lui faire construire une barque en argent ; dès qu'elle fut armée, il embarqua et partit en quête de son grand frère. Au cours de son voyage, il s'arrêta dans la même auberge que lui et dès qu'il vit la barque en or dans le hangar, il sut que son frère était dans les parages. Il prit un sac pour aller chercher de la viande aux arènes et vit le même écriteau que son aîné. Il entra dans le palais et rencontra le roi qui lui dit qu'un jeune homme lui ressemblant beaucoup avait tenté, sans succès, de trouver la princesse quelques jours avant, et qu'il l'avait fait emmurer ; il lui dit aussi qu'il lui réservait le même sort. Le second frère entreprit cependant les recherches... sans succès, et le roi le fit emmurer.
Ne voyant pas revenir ses frères, le plus jeune des fils annonça à son père qu'il voulait aller à leur recherche ; craignant qu'il ne disparaisse à son tour, son père essaya de l'en dissuader. Le jeune homme décida cependant de partir et demanda à son père de lui faire construire une barque en soie ; il embarqua bientôt, s'arrêta dans la même auberge que ses frères et vit dans le hangar la barque d'or et la barque d'argent.
Tout comme ses frères, il se dirigea vers les arènes pour aller chercher la viande demandée par l'aubergiste, vit l'écriteau à la porte du palais. En face se trouvait une borne sur laquelle il s'assit pour réfléchir : « Entrerait-il ou pas ? » Sur ces entrefaites, arriva une vieille femme, qui lui demanda ce qui le mettait ainsi dans l'embarras ; il lui répondit que ce n'était pas son affaire mais elle insista, affirmant qu'elle était en mesure de l'aider. Il lui raconta son histoire, elle lui demanda s'il était riche. Il lui apprit qu'il pouvait disposer de deux bateaux : l'un en or et l'autre en argent. Elle lui suggéra de les faire fondre et de transformer le premier en un perroquet de la taille d'un homme, dont les yeux seraient deux profondes cavités, et le second en un socle d'argent. Ils allèrent de suite chez un bijoutier faire exécuter la statue, le jeune homme s'y enferma avec une cruche d'eau et un rayon de miel, et l'ensemble fut déposé devant le palais.
Le bel oiseau attira l'attention du roi qui voulut le voir de près. Six hommes peinèrent à le transporter dans le palais. A l'abri de sa cache, le jeune homme eut tout loisir d'observer où ils l'emmenaient ; il remarqua qu'ils poussèrent un lit, soulevèrent une dalle, tirèrent sur une lourd marteau de fer qui livrait passage à une échelle. Ils descendirent et arrivèrent dans une grande cour où se trouvait une fontaine en forme de puits fermé par le haut, qu'ils ouvrirent et dans lequel ils descendirent pour atteindre une autre belle cour, fermée par une autre porte qu'ils ouvrirent, pour rencontrer enfin la princesse en compagnie de deux autres jeunes filles. Toutes trois étaient vêtues de la même façon, afin qu'on les confonde et qu'on ne pût deviner qui était la princesse. Celle-ci fut tellement enthousiasmée par le perroquet, qu'elle demanda qu'on le dépose dans sa chambre.
Comme chaque soir, on apporta à la princesse un pain et un verre d'eau. Le jeune homme, qui avait soif, profita de l'obscurité pour sortir de sa carapace et aller se désaltérer ; au moment de saisir le verre, sa main heurta celle de la princesse qui, au même instant, faisait le même geste. Alors que, affolée, elle allait se mettre à crier, il lui dit qu'il était venu la délivrer. Elle se tranquillisa et lui confia que pour qu'il puisse la reconnaître le jour où il viendrait la chercher, elle porterait au doigt un lacet écarlate, tandis que ses compagnes en arboreraient un bleu ciel.
Un beau matin, les six hommes revinrent chercher le perroquet et le sortirent du palais. Le jeune homme s'habilla alors en gentilhomme, se présenta au palais et annonça son intention de trouver la princesse. Le roi l'avertit que deux hommes, qui étaient sûrement ses frères car ils lui ressemblaient beaucoup, avaient déjà essayé sans succès et qu'il les avait fait emmurer ; il lui réservait le même sort. Le jeune homme insista pour entrer et commença ses recherches ; il fit l'idiot les deux premiers jours pour égarer les soupçons ; mais le troisième, il poussa le lit, souleva la dalle, demanda la clef, ouvrit la lourde porte et descendit dans la première cour avec le roi et son valet. Il continua vers la trappe du puits, descendit encore et arriva près de la princesse. Le roi gardait encore l'espoir qu'il ne pourrait pas la reconnaître au milieu de ses compagnes, si semblables. Il les fit mettre en cercle ; leur fit faire deux tours de ronde et s'arrêter au hasard. Le jeune homme reconnut la princesse sans hésiter. Le roi lui dit alors :
- Je ne peux pas faire autrement que de te la donner pour épouse ; mais recommençons encore une fois l'épreuve.
Le jeune homme désigna à nouveau la princesse sans erreur. Il demanda alors au roi de délivrer ses deux frères, qui étaient toujours emmurés, et de faire venir son père. Le père arriva, les frères furent libérés et la noce eut lieu.


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