La légende de Pyrène
M. Cosem

Rien n'est plus agréable que le début de l'été. L'air y est frais et les orages encore lointains, les forêts profondes et secrètes, les torrents vifs.
Pyrène, une jolie jeune fille blonde, était assise sur le seuil de sa maison et filait paisiblement sa quenouille. Elle rêvait comme toutes les autres jeunes filles de son âge. Son rêve avait en cet instant la forme d'un jeune homme aux traits doux, à l'air hardi.
- Où es-tu donc ? murmurait-elle.
Mais il n'y avait que les animaux de la basse-cour et ses parents pour l'entendre.
- Il ne faut pas parler toute seule, dit son père d'un air bougon, cela attire les esprits.
Pyrène aurait voulu sourire. C'était justement ce quelle désirait. Mais elle n'en eut pas le temps. Elle poussa un cri de surprise. Il y avait devant elle un jeune homme aux traits doux et hardis à la fois, au regard vif et aux abondants cheveux bruns.
- Qui es-tu ? murmura enfin la jeune fille.
- Je suis Hercule, dit l'homme.
- Hercule...
Mais elle ne put en dire plus. Son père était debout sur le seuil de la porte.
- Je ne fais que passer, dit Hercule. J'ai très soif. Je suis allé capturer les boeufs à Cornes d'or et je retourne chez moi.
Pyrène lui versa à boire et écouta le jeune homme parler. Il revenait tout simplement de l'extrémité du monde connu. Il marchait depuis longtemps vers l'est où était son pays.
Pyrène regardait Hercule avec des yeux brillants. Le jeune homme comprit ce langage et revint à la nuit tombante près de la maison. Là, les jeunes gens se parlèrent plus longuement encore et à voix basse.
- J'aimerais tant que tu restes ici, dit Pyrène. Que tu deviennes berger. Nous aurions le plus beau troupeau du pays.
- Oui, répondit sincèrement Hercule. Le soir, tu entendras mon appel quand je regrouperai le troupeau. Tu sauras alors que je ne tarderai plus.
Elle se voyait filant la laine sous le vieil ormeau ou auprès de la fontaine. Il se voyait berger veillant sur ses moutons et les protégeant des ours et des loups.

Tout l'été ils se rencontrèrent ainsi au plus secret de la forêt. Parfois, quand il faisait trop chaud, ils allaient se baigner dans le torrent. Nul ne connaissait leur amour, tant ils se satisfaisaient de leurs longues et tendres rencontres. Hercule n'allait plus sur les chemins et Pyrène revenait chaque soir avec des paniers remplis de fraises, de mûres ou de myrtilles.
Mais le temps de ces amours allait prendre fin. Les orages de plus en plus violents annonçaient l'automne.
- J'irai trouver tes parents, dit Hercule, et l'on se mariera.
Cela ne semblait pas faire le moindre doute.

L'automne arriva et aussi le dernier jour passé dans la forêt. Hercule attendait Pyrène assis sur un rocher et respirant les mille odeurs d'herbe et de feuilles. Pyrène n'allait pas tarder. Ils sortiraient ensuite de la forêt pour rejoindre le village. Hercule était heureux. Lui qui n'avait été qu'un vagabond, allait désormais se poser. Et ce pays - il en avait vu tant - lui plaisait réellement beaucoup.
Soudain, Hercule entendit dans le ciel l'appel des oies sauvages. Il reconnut aussitôt leurs cris profonds. Il sut qu'elles retournaient vers son pays. En lui tout se bouleversa.
C'est un présage, se dit-il. Il faut que je parte. Il se leva et partit aussitôt vers l'est, pris brusquement par la migration. Il courut d'abord, puis marcha très vite, s'éloignant rapidement de la forêt et de Pyrène.

Comme à son habitude, Pyrène, le coeur léger, alla près des rochers pour retrouver Hercule. Elle était aujourd'hui encore plus heureuse. Elle allait lui annoncer qu'elle attendait un enfant.
Arrivée, elle appela Hercule mais nul ne lui répondit. Les oiseaux eux-mêmes faisaient silence autour d'elle. Alors elle comprit tout : Hercule était parti.
La plus terrible tristesse s'abattit sur la jeune fille. Elle n'hésita pas. Elle courut vers l'est sans plus attendre, à perdre haleine, traversant les fourrés de ronces, grimpant aux flancs arides des collines, pataugeant dans les étangs, ne s'arrêtant que pour boire et pour pleurer. Quand elle comprit qu'elle ne rattraperait jamais Hercule, elle se coucha sur l'herbe et poussa un immense cri de tristesse.
Alors les loups affamés arrivèrent de toutes parts. Pyrène lutta quelque temps, espérant encore que Hercule vienne la sauver. Mais il n'y avait plus d'espoir. Alors elle lâcha son bâton, poussant un cri encore plus fort que les autres. Les loups se jetèrent sur elle.

Hercule au loin entendit ce cri. Il n'hésita pas. Il revint, courant encore plus vite sachant que Pyrène était en danger. Mais lorsqu'il arriva, il n'y avait plus sur le sol que quelques os blanchis. Fou de douleur il s'attaqua aux rochers, les remua et les jeta sur les loups qui s'enfuyaient. Ensuite il déposa les restes de la jeune fille sur une literie de fleurs et de feuilles. Puis il empila de gros blocs de pierre en guise de tombeau.
Tant que dura sa tristesse il amassa ainsi les rochers créant une haute montagne. Avant de partir, il mit le feu. Tout brûla : forêts, bois, prairies. Des marins grecs passant au large nommèrent la montagne de feu en leur langage.


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