Les sept voleurs
J. Barbier

Contrebandiers et voleurs se partagent l'âme basque, la pelote aussi. Mais dans ce pays très catholique il convient d'être charitable. Ce conte mêle tout cela afin que soit répandue la bonne parole.

 

Il y avait une fois deux frères. Leur mère venait de mourir, et l'aîné, un jour, s'en fut de la maison, pour faire fortune.
Muni d'un gros pain, le
makila ou bâton basque à la main, il s'éloigna du village, laissant le puîné à la maison :
- Toi, reste ici, et si tout me réussit bien, il y aura du bonheur pour nous deux, les jours qui viendront.

Il allait, il allait, sans jamais s'arrêter, et, au bout de quatre ou cinq jours, il se trouve à proximité d'une grande forêt. De son énorme miche il lui restait à peine le croûton ; et il n'avait guère fait fortune jusque-là. Et voilà qu'il voit sortir de la forêt une très vieille femme. Épuisée, pliée en deux, la malheureuse se traînait :
- La charité, s'il vous plaît, jeune maître, pour l'amour de Dieu...
- Tenez, ma pauvre, vous vous adressez à aussi pauvre que vous. Mais - Dieu ait son âme ! - j'ai entendu et appris à ma mère qu'il faut toujours partager, avec le pauvre, le peu même que l'on possède... Prenez donc, je vous prie, ce croûton, et excusez du peu. Certes, il est un tant soit peu dur, mais, ma pauvre, je n'ai pas autre chose à donner.
- Mille mercis, mon jeune maître. Dieu, déjà, aura vu votre bon coeur... Excusez-moi, mais où allez-vous ainsi ?
- Tenez, je n'en sais absolument rien... Faire fortune, si je le puis. Vous ne sauriez pas me dire où elle demeure, cette petite dame ? C'est bien volontiers que je lui dirais deux mots...
- Et si j'étais, moi, cette petite dame ?.. Il n'est pas de bienfait sans récompense avec le bon Dieu..... Voici ce qu'il vous faut : dans cette grande forêt, il y a un château ; dans ce château vivent sept frères, qui jouent à la pelote pendant le jour et qui volent pendant la nuit. Prenez vers le château. Mais comme, avant d'y arriver, vous rencontrerez un peuplier très élevé, grimpez sur ce peuplier. De là-haut et vous faisant face, vous verrez le grand fronton du village. Vous regarderez attentivement ; et s'il y a là sept joueurs occupés à jouer à la pelote, allez sans crainte dans le château. Vous y verrez de belles choses ; prenez tout ce que vous voudrez, mais utilisez-le comme il faut. Tout cela c'est des objets volés dont les maîtres sont morts, tués autrefois dans la forêt profonde par les sept frères voleurs.
À peine avait-elle dit ces mots que la vieille s'évanouissait. Et le jeune homme sut ainsi que la Sainte Vierge elle-même venait de lui apparaître et de se dérober à l'instant même. Il se dirigea donc vers la forêt ; et une demi-heure ne s'était pas écoulée, qu'il se trouvait devant un château merveilleux. Avisant le long peuplier dont il lui avait été parlé, il y grimpa.
Il regarda au loin, comme l'avait demandé la vieille, et il compta un, deux, trois, quatre... sept voleurs qui jouaient à la pelote. Vous dire sa joie !
Tout de suite, il redescendit et pénétra dans le beau château. Couchées dans une vaste écurie, il vit sept juments aussi belles les unes que les autres.
Au fur et à mesure qu'il pénétrait plus avant ou qu'il montait dans la maison, des merveilles sans nombre s'étalaient devant lui : de l'or, de l'argent et des pierres précieuses, et longtemps il restait là, les yeux éblouis.
Mais, ensuite, il pensa qu'il lui fallait se dépêcher. A pleines mains, il prit de l'or, de l'argent, des diamants, en remplit dix sacs qu'il chargea sur les deux juments les mieux faites. Puis, il se hâta de s'en aller, après avoir enveloppé de chiffons les sabots des chevaux qui ne devaient ainsi laisser aucune trace.

La surprise du puîné, cinq ou six jours après, lorsque ces chevaux furent rendus à la maison !
Lorsque son aîné lui eut tout raconté, il voulut, lui aussi, s'en aller tenter la même fortune heureuse. L'aîné lui parlait comme un sage : « Ils avaient déjà amassé plus de fortune qu'ils n'en dissiperaient tous les deux ; par ailleurs, les sept voleurs resteraient désormais sur leurs gardes... » Rien n'y fit !
Ayant pris lui aussi son gros pain, le jeune homme s'en fut donc.
Allant, allant toujours, auprès de la même forêt, la même vieille s'en vint à sa rencontre. Et la vieille mendiante à lui aussi demanda la charité. Mais, c'était un coeur dur que notre puîné.
Il éconduisit donc la Sainte Vierge, entra dans la forêt, et, tout près du château, grimpa immédiatement sur le peuplier.
Là-bas, dans le lointain, au milieu de la place du village, il vit les voleurs : ils jouaient...
- Un, deux, trois, quatre, cinq, six... Et le septième ?... Bah ! ses frères ayant eu soif à la pelote, il aura été chercher du vin dans quelque auberge du village... Et puis, nous verrons bien ! S'il nous faut même battre en retraite, nous battrons en retraite. Que diable !...
Il descend donc du peuplier et se dirige vers le château. Il y entre sans bruits du tout. Il voit les chevaux, l'or, l'argent, les pierres précieuses.
Un énorme sac était là qui semblait l'attendre ; il s'en saisit.
Il s'en saisit et... il tombe dans son sang : le septième voleur venait de lui planter un couteau, en plein milieu dans le dos...
Deux semaines passèrent là-dessus.

Lorsqu'il eut perdu tout espoir, l'aîné s'en revint donc au château des voleurs. Il n'y rencontra personne. Il n'y avait pas là de quoi l'étonner, puisque les sept voleurs étaient rassurés depuis l'assassinat du puîné.
Jeté dans une fosse il découvrit le corps de son frère. Il le mit en croupe sur un cheval et l'emmena ensevelir en Terre Sainte.
Le jeune homme au coeur bon vécut bien longtemps. Sa pensée fréquemment s'assombrissait, lorsqu'il se rappelait son frère. Mais, avec les richesses immenses dont il disposait, il faisait alors plus de bien : ce serait profit pour son âme et pour celle de son frère. Et se souvenant de la mystérieuse vieille de la forêt, jamais il n'a laissé s'éloigner un mendiant qu'il ne lui ait fait sa large aumône et celle de son frère.
Et puis, à quatre-vingts ans, il s'en est allé jouir, en compagnie de ce frère aimé, du bonheur qui ne doit point finir.


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