Conte des quatre cygnes


Sur toute l'île d'Érin, les Milésiens se mirent à bâtir des crannogs, logements circulaires pourvus de hauts toits ; dans certaines régions, ces abris étaient en bois, dans d'autres ils étaient en roseau. Tandis que les nouveaux venus choisissaient leurs monarques, dont l'un deviendrait roi des Rois et siégerait à Tara, les Dananns vaincus connaissaient un sort bien moins agréable. Ils n'avaient rien à craindre des mortels, pour qui ils étaient invisibles ; cela aurait pu leur suffire pour vivre heureux et en paix dans leurs féeriques palais souterrains. Mais ils n'étaient pas heureux.
Beaucoup d'entre eux, comme nous le savons, avaient quitté l'île pour toujours. Ceux qui étaient restés décidèrent d'élire leur roi des Rois, puisque trois de leurs souverains avaient été tués sur le champ de bataille. Ils se réunirent donc en un lieu secret afin d'élire l'un des rois des cinq provinces : l'Ulster, le Munster, le Leinster, le Connacht et le Meath, la plus petite de toutes, qui entourait Tara.
Les cinq candidats attendaient avec impatience le résultat des délibérations, car, bien qu'ils ne fussent plus des dieux mais des lutins, des fées, des farfadets, des follets et des naïades, le jury mettait bien du temps à délibérer. La soirée était déjà très avancée quand la décision fut rendue : Bodh Dearg était nommé roi des Rois. C'était une sage décision, car le fils aîné du vieillard Dagda était le mieux à même d'unir tous les Dananns et de les aider à raviver leur gloire passée. Les autres candidats estimèrent que c'était justice et donnèrent leur approbation, à l'exception de Lir, qui fulminait de n'avoir pas été élu. Il quitta l'assemblée précipitamment, sans saluer quiconque ni présenter ses respects au nouveau roi.
Les Dananns voulurent le prendre en chasse, détruire son asile secret de Slieve Fuad et exiger réparation pour cette offense, mais Bodh Dearg en décida autrement :
- Peu m'importe une loyauté conquise par les armes. Il y a déjà eu assez de sang versé... Laissons Lir en paix. Son absence ne m'empêchera pas de régner.
Cette sage décision fut respectée. Plus tard, alors qu'il voyageait dans toute l'Irlande, ainsi que le veut la tradition, Bodh Dearg fut reçu avec magnificence dans tous les palais dananns, mais préféra ne pas se montrer à Slieve Fuad.
Les mois et les années s'écoulèrent sans conflits. Et puis, un jour, les Dananns apprirent que l'épouse de Lir était morte et que le roi endeuillé, le coeur brisé, était à l'agonie. Bodh Dearg lui envoya immédiatement un messager : il lui recommandait de ne pas perdre espoir et lui proposait la main d'une de ses filles. Lir n'aurait qu'à se présenter devant le roi des Rois pour lui dire laquelle des demoiselles il choisissait pour épouse.
Lir fut si heureux de cette proposition qu'il se sentit prêt à éclater en sanglots. Sans plus tarder, il ordonna que l'on harnache cent de ses plus rapides chevaux et qu'on les attelle par deux à cinquante chariots. Puis il prit la route.
Invisible aux yeux des hommes, la caravane fila à travers la campagne jusqu'au palais royal. Ce jour-là gronda sur Érin un orage d'une violence inouïe, qui cessa dès que les attelages de Lir s'arrêtèrent au bord du Grand lac. Bodh Dearg apparut au portail du château et accueillit Lir avec un large sourire. Lir lui rendit grâce et s'apprêta à poser sa tête sur la poitrine du roi, comme cela se faisait en signe de respect, mais Bodh Dearg le saisit, le serra dans ses bras et l'embrassa trois fois sur la joue. Comme les meilleurs amis du monde, ils se retirèrent et passèrent toute la nuit dans la salle des banquets, où ils se régalèrent d'un repas envoyé au palais pour Manannan, roi des mers : de la viande de porc aux propriétés magiques et de la bière non moins miraculeuse.
Le lendemain, Lir rencontra les filles de son hôte. Elles étaient belles et se ressemblaient tant qu'il aurait été impossible de les reconnaître si elles n'avaient pas porté des robes différentes. Lir ne savait ce qu'il devait admirer le plus en elles : leur doux visage, leurs mains fines, leur chevelure dorée tressée en quatre nattes dont trois s'enroulaient autour de leur visage tandis que la quatrième tombait jusqu'à leurs chevilles... Gêné, il regarda Bodh Dearg et dit :
- Je ne sais laquelle choisir, car toutes sont d'un charme égal. Peux-tu me conseiller ?
Le roi sourit mais secoua la tête. Lir se remit à réfléchir pour tenter de savoir qui épouser. Il se décida enfin :
- Je prendrai ta fille aînée, car, en plus d'être belle, elle sera certainement la plus sage et la plus noble de toutes.
- Puisque tu désires Aobh, qu'il en soit ainsi, répondit simplement le roi.
Et, le jour même, le couple fut marié sur la berge du Grand lac. Les festivités eurent lieu à Slieve Fuad, où Lir emmena sa jeune épouse le soir venu.

Leur vie n'était que joie et bonheur. Aobh eut bientôt une fille, Fionuala, et un fils, Aed. Ils furent suivis de jumeaux, deux garçons, qui furent nommés Fiachra et Conn. Mais le malheur s'abattit peu après sur Aobh, qui fut emportée par une maladie foudroyante. Lir resta inconsolable.
Le roi des Rois Bodh Dearg se porta une nouvelle fois à son secours : afin d'apaiser sa douleur et celle de ses quatre enfants, il lui offrit en mariage sa fille cadette Aoife. Les enfants grandirent dans la douceur et l'affection. Ils recevaient souvent la visite de leur aïeul. Tous les Dananns, jusqu'aux plus petits farfadets des ruisseaux lointains, aimaient tendrement ces enfants.
Au début, Aoife elle-même les chérit, et passait le plus clair de son temps en leur compagnie. Mais, quand elle apprit que jamais elle n'aurait ses propres enfants, elle fut prise d'une terreur inexplicable. Bientôt, croyait-elle, plus personne ne s'intéresserait à elle, car sa beauté allait la quitter sans tarder. Et, quand les enfants de Lir seraient grands, plus personne n'aurait besoin d'elle... Ces pensées lui rongeaient l'esprit, à tel point qu'elle ne supportait pas qu'un autre adulte leur témoignât de l'affection. Peu à peu, la haine durcit son coeur et la jalousie la conduisit à commettre le plus terrible crime.
Un jour, elle fit préparer un attelage et emmena les enfants, prétextant une visite à leur grand-père, le roi des Rois Bodh Dearg. À peine avaient-ils commencé leur trajet qu'Aoife ordonna au cocher de s'arrêter. Elle s'approcha de lui et lui tendit une dague acérée en lui disant d'une voix douce mais menaçante :
- Poignarde-les tous les quatre et je te récompenserai mieux que tu ne saurais l'imaginer. Tu n'auras plus jamais besoin de lever le petit doigt.
- Mais... pourquoi, Madame ? parvint à prononcer le cocher stupéfait.
Aoife lui murmura alors à l'oreille les craintes que sa jalousie maladive avait décuplées :
- S'ils vivent, leur père et tous les autres m'oublieront bientôt. Je ne saurais supporter de perdre l'amour et l'attachement de mon époux...
- Vous vous trompez, Madame, car nul Danann ne saurait se conduire ainsi, surtout pas le noble Lir lui-même. Quant à moi, je ne commettrai jamais un acte si cruel !
Et le cocher jeta le poignard dans l'herbe avant de courir vers le bois tout proche. Aoife, folle de rage, ramassa l'arme et se précipita vers l'attelage, bien décidée à perpétrer elle-même ce crime abominable. Elle brandissait la lame, prête à frapper, quand quatre paires d'yeux innocents se posèrent sur elle. Incapable de résister, elle baissa le bras sans frapper.
Mais la marâtre n'abandonna pas son terrible dessein. Elle prit les rênes et fouetta si fort les chevaux que des centaines d'étincelles jaillirent sous les roues de la voiture qui filait à vive allure. Elle cingla les bêtes sans pitié jusqu'au lac Derravaragh. Là, elle ordonna aux enfants de se dévêtir et de plonger dans les flots. Les trois garçons et leur soeur obéirent sans un mot de protestation, bien que l'eau fût glaciale. Aoife sortit alors de la charrette une baguette druidique et en toucha chacun des enfants en déclamant une incantation :

Je fais de vous des cygnes.
Bien loin de votre monde,
Vous vivrez dans les ondes
Où vous vous morfondrez
Trois fois trois cents années !

Lorsqu'elle se tut, les enfants se transformèrent soudain : leurs bras et leur cou s'allongèrent, leur corps se couvrit de plumes et, un instant plus tard, quatre superbes cygnes blancs nageaient sur le lac. Il ne leur restait d'humain que d'abondantes larmes et le don de la parole.
- Pourquoi nous avoir fait cela ? sanglota Fionuala. Vous nous aimiez tant, et nous vous aimions en retour...
La marâtre se contenta de lui répondre sèchement :
- Fi donc ! Vous devriez me savoir gré de vous avoir laissé votre voix. Vous ne retrouverez votre apparence qu'au bout de neuf cents ans. Vous êtes condamnés à passer les trois prochains siècles sur ce lac ; les trois suivants auront lieu sur le détroit qui sépare Érin d'Albion ; et, pour les trois derniers, vous vivrez loin, très loin sur l'océan occidental, près de l'île de Gloire. C'est là tout ce que je souhaite et tout ce que je puis vous révéler.
Aoife monta dans sa voiture et ne laissa derrière elle qu'un nuage de poussière. Le coeur gros, les quatre cygnes s'éloignèrent du rivage. Ils s'évanouirent dans l'obscurité du soir en emportant leur chant de tristesse et, bientôt, il ne resta plus trace de l'acte dont ils venaient d'être victimes.
Quand Aoife arriva au palais du Grand lac, Bodh Dearg lui demanda pourquoi elle se présentait sans ses petits-enfants.
- Mon époux, Lir, a fermement refusé de les laisser venir, car vous ne les aimez point, répondit la marâtre avec aplomb.
Le roi des Rois ne dit mot, mais il envoya sans tarder un messager à Slieve Fuad afin de comprendre ce qui se passait. Le messager se présenta bientôt devant Lir.
- Comment ? Aoife n'a donc pas emmené les enfants ? s'écria Lir, saisi d'un cruel pressentiment.
Il se leva d'un bond et ordonna que l'on harnache son cheval. Il sauta en selle et prit la direction de Slieve Fuad. Sa monture cavalait sur les routes campagnardes vers le palais de Bodh Dearg plus vite que la plus rapide des flèches. Il avait beau filer et le vent avait beau siffler dans ses oreilles, Lir entendit aux abords du lac Derravaragh un chant de lamentation si poignant qu'il s'arrêta dans sa course.
Quatre cygnes blancs comme neige sortirent de la pénombre et Fionuala, la première à atteindre la rive, expliqua de sa voix bien humaine en quoi consistait la malédiction de trois fois trois cents ans dictée par la marâtre.
Lir, accablé de chagrin, gagna sans bien savoir comment le palais du Grand lac. Une fois arrivé, il reprit toute sa prestance pour faire face à Bodh Dearg.
- Pourquoi êtes-vous venu sans mes petits-fils et ma petite-fille, je vous prie ? lui demanda ce dernier.
- Malheur à nous, Sire, se lamenta Lir. Nous ne les verrons peut-être plus jamais. Tout cela est la faute de ma jalouse et coupable épouse.
Et il désigna Aoife qui se tenait près d'eux, l'air maussade. Il répéta en détail ce que lui avaient dit les cygnes.
Bodh Dearg l'écouta patiemment et contint sa colère. Quand Lir se tut, Bodh Dearg se tourna vers sa fille.
- Est-ce vrai ? demanda-t-il.
Aoife ne répondit pas ; elle resta aussi muette qu'une pierre, mais ses yeux brûlaient de haine.
- Ma foi, ton silence prouve que nous venons d'entendre la vérité, dit le roi des Rois avant de hausser le ton. Cet acte intolérable mérite le plus sévère châtiment. Puisque tu as jeté un sort sur ces enfants innocents, je t'en jette un à mon tour. Je vais faire de toi la plus abominable créature, je vais te transformer en démon volant.
Il frappa sa cadette d'un coup de baguette magique. Les joues d'Aoife noircirent, son nez s'allongea en un bec hideux et ses yeux devinrent globuleux. Son corps tout entier se couvrit de plumes grises, il lui poussa des ailes à la place des bras et, en lieu et place de ses pieds délicats, apparurent d'énormes et puissantes griffes.

Avant même que les témoins de la scène aient pu maîtriser leur effroi, l'étrange oiseau avait fui par la fenêtre. Mais on entendit longtemps résonner ses hurlements de lamentation...
Bodh Dearg avait châtié sa fille, mais il ne pouvait rien pour ses petits-enfants. Sachant qu'ils avaient conservé leur langage et leur conscience d'êtres humains, il se rendait souvent, tout comme Lir et de nombreux Dananns, sur les berges du lac Derravaragh pour leur tenir compagnie. Même les Milésiens, simples mortels, leur rendaient visite. Mais le temps ne s'était pas arrêté. Les années passèrent et, un jour, Fionuala annonça à ses frères :
- Notre séjour en ce lieu touche à sa fin. Nous devons nous envoler vers le détroit glacé qui sépare Érin d'Albion, où nous n'avons ni famille ni amis. Mais ne craignez rien. Restez près de moi et ni les nuages ni le vent ne nous sépareront.
Et, avec un puissant battement d'ailes, elle prit son envol. Conn, Fiachra et Aed la suivirent. Bientôt, ils ne furent plus que quatre petits points à l'horizon.
Les enfants de Lir gagnèrent la mer entre Érin et Albion. Malgré la féroce tempête qui les poursuivait, ils purent se poser sains et saufs sur les vagues ondulantes. À peine avaient-ils touché les crêtes glacées du détroit que commença une longue lutte contre le froid et l'impatience, tant les conditions étaient différentes de ce qu'ils avaient connu sur leur paisible lac. En bordure d'une falaise escarpée, ils trouvèrent une sorte d'abri déjà occupé par quelques phoques. Mais bientôt se leva un orage furieux. C'est à peine si Fionuala put crier :
- Rappelez-vous, nous nous retrouverons ici, sur la falaise des phoques !
Un instant plus tard, une lame la sépara de ses trois frères.
Quand, au matin, les éléments se calmèrent, Fionuala fut la première à rejoindre leur lieu de rendez-vous. Elle attendit ses frères. L'un après l'autre, ils parurent ; ils étaient si affaiblis et si épuisés qu'ils purent à peine se hisser sur le bord de la falaise. La grande soeur abrita Conn et Fiachra sous ses ailes, tandis qu'Aed prit place derrière son jabot blanc.
Nul ne saurait dire combien de fois il leur fallut affronter les éléments hostiles, mais ce qui est certain, c'est qu'ils triomphèrent de nombreuses épreuves. L'hiver, leurs pattes gelaient au contact des rocs glacés, ils eurent souvent faim, mais la pire des épreuves était la solitude. Il n'y avait là nulle créature qui eût pu leur rendre visite et les épauler.
Enfin, le jour ultime de cette seconde période de malédiction, un puissant courant marin emporta les enfants-cygnes jusqu'aux abords des rives irlandaises. Ils observaient tristement la berge quand ils remarquèrent quelques hommes en tunique blanche montés sur des chevaux blancs. Il était impossible de dire s'il s'agissait de mortels ou de Dananns, mais ils n'en conçurent nulle inquiétude. En effet, du jour où les mortels avaient appris que les enfants de Lir étaient devenus des cygnes, ils s'étaient abstenus de nuire au moindre de ces oiseaux ; cette tradition perdure de nos jours. Les cygnes s'efforcèrent de gagner le littoral et y parvinrent enfin.
Les hommes étaient bien des Dananns : les fils de Bodh Dearg et leurs compagnons s'étaient lancés à leur recherche, espérant les voir quand ils passeraient sur la côte. Ils contèrent mille histoires aux enfants-cygnes et leur dirent ce qu'avait été la vie des Dananns dans le palais souterrain de leur père Lir. Puis ils s'éclipsèrent.
Bien avant la tombée du jour, Fionuala ordonna à ses frères de la suivre pour leur plus long voyage, celui qui devait les conduire au beau milieu de la mer du Nord. Elle battit des ailes et s'envola, flèche blanche, en direction du soleil couchant. Ses frères firent de même.
Leur nouvelle résidence leur valut encore bien des souffrances. Certes, l'île sur laquelle ils vivaient leur offrait un abri contre les éléments déchaînés. Ils se firent également des amis avec qui partager les épreuves de leur vie. Si, par le passé, ils avaient souffert des caprices de la nature, ils devaient à présent affronter la faim. Bien souvent, ils durent quémander de quoi manger auprès des habitants du pays. Qu'ils étaient loin, les festins infinis qui sortaient du chaudron magique de Dagda l'Ancien ! Les années passaient, interminables, et à tout cela s'ajoutait la souffrance inavouée de ne jamais rencontrer de Dananns. Mais vint un jour où Fionuala s'adressa en ces termes à ses frères :
- Chers enfants, envolons-nous, le moment est venu. Nous avons souffert trois fois trois cents ans depuis que ce terrible sort nous a poussés loin de Slieve Fuad, mais aujourd'hui nous pouvons rentrer chez nous. Prenons notre envol, mes frères !
Les quatre oiseaux blancs fendirent le ciel clair en direction de l'est resplendissant ; l'air résonnait tant du battement lourd de leurs ailes que les chevaux de Manannan passaient la tête au-dessus de la surface de l'océan pour les voir.

Les quatre enfants maudits aperçurent enfin leur île natale, éternellement verdoyante, ses rivières et ses lacs, ses forêts et ses plaines. Guidée par son souvenir, Fionuala, sans hésiter, ouvrit le chemin vers leur région natale. Elle leur fit prendre un passage secret qui donnait sur leur palais souterrain.
Hélas, trois fois hélas ! Ils ne virent que ruines à la place du château de leur père, jadis si magnifique avec ses lustres de cristal et ses dorures étincelantes. Ils reçurent pour tout accueil l'indicible tristesse qui pesait alentour, alors qu'ils attendaient les cris de joie et les chansons des fées, des farfadets et des follets. Çà et là, des toiles d'araignées frémissaient au vent sur les murs et les fortifications écroulés, sans briser le silence qui régnait. Le ruisseau qui, jadis, chantait gaiement sur les rochers et les galets, ce ruisseau où, enfants, ils avaient passé tant d'heures à jouer stagnait, muet. Nulle âme qui vive...
Frappés de tristesse et de perplexité, les enfants-cygnes parcoururent les lieux du regard et leur coeur se gonfla de chagrin. Enfin, les frères se tournèrent vers Fionuala.
- Que faire, chère soeur ? À quoi nous servira notre vrai visage alors qu'il ne subsiste pas le moindre Danann ?
Fionuala pesa longuement ses mots, puis elle exprima sa conclusion, qui devait sceller leur sort à tout jamais :

Le cauchemar de la malédiction n'est plus.
Pourtant, ceux qui ont ici vécu
Reposent dans le brouillard des légendes.
Et en attendant la mort
Je ne doute pas que notre sort
Soit de garder nos plumes de cygnes...

Une dernière fois, ils contemplèrent Slieve Fuad, domaine de leur enfance, jadis superbe en sa richesse. Puis ils prirent leur essor vers l'horizon lointain, au rythme de leur chanson fabuleuse.