DIZAIN
Mellin de Saint-Gelais (1491-1558)
L'heureux présent de votre jarretière
A si bien fait de lier son devoir
Qu'il a étreint d'une personne entière
Ce qui se voit et qui ne se peut voir,
La soumettant toute à votre pouvoir.
Et, bien qu'avant que rien m'eussiez donné,
A vous servir me sentisse adonné,
Si avez-vous, par ce noeud, tant pu faire
Que tout sur moi vous est abandonné,
Hormis le noeud, que vous pourriez défaire.
(OEuvres, 1547)
D'UN BOUQUET D'OEILLETS GRIS ET ROUGES
Mellin de Saint-Gelais
Ces six oeillets, mêlés en cette guise,
Vous sont par moi ce matin envoyés
Pour vous montrer, par ceux de couleur grise,
Que j'ai du mal plus que vous n'en voyez ;
Vous suppliant que vous y pourvoyiez.
Les rouges sont plainte, en l'autre moitié,
Non point de vous? mais du dieu sans pitié
Qui de mon sang prend vie et nourriture ;
Et tous ensemble, ayant de leur nature
Brève saison, vous portent ce message
Que la beauté est un bien qui peu dure
Et que qui l'a, la doit mettre en usage.
(OEuvres, 1547)
D'UN PRÉSENT DE CERISES
Mellin de Saint-Gelais
A ce beau premier jour de mai,
En lieu de bouquet ou de mai,
Présent vous fais, mes damoiselles,
D'un plat de cerises nouvelles,
Qui se sont, ce pensé-je, hâtées
Pour de vous deux être tâtées,
Car toutes belles nouveautés
Cherchent vos nouvelles beautés.
Voyez ! Est-il chose plus douce ?
Ell's sont grosses comme le pouce.
Saurait-on voir, que vous en semble,
Rien qui mieux à un coeur ressemble ?
C'est signe que, toutes vos vies,
De mille coeurs serez servies.
Quoi ? ai-je failli à bien dire ?
Qu'est ceci ? Qu'avez-vous à rire ?
Est-ce que, me laissant prêcher,
Vous mettez à les dépêcher ?
Et toujours les plus cramoisies
S'en vont les premières choisies ;
Ne sais, quand l'une à l'autre touche,
Quelle est la cerise ou la bouche,
Tant sont également vermeilles !
Mais qu'y a-t-il ? voici merveilles,
De rire tant, et qui vous boute ?
Sur ma vie que je m'en doute.
Ha ! c'est fait ; je vous vois venir.
Elles vous ont fait souvenir,
A leur forme et à leur liqueur,
De quelque autre cas que d'un coeur ;
Et vous moquez avec raison
De ma lourde comparaison.
Vous l'avez mieux mise à son point !
C'est cela, ne le niez point :
Avouer prêtes je vous vois.
Au moins recevez cette loi
Que celle à qui il adviendra
D'avoir la dernière, viendra
Le confesser sans qu'elle y songe
Ou me baiser pour la mensonge.
(OEuvres poétiques, 1573)
Á UNE DAMOISELLE
Mellin de Saint-Gelais
Si je me sentais tant valoir
Que de moi il vous plût chaloir,
Je permettrais à mon désir
De se faire tant de plaisir
Que témoigner en quelque sorte
L'affection que je vous porte.
Mais je connais tant vous et moi
Et sais si bien ce que je dois
Que j'enclos ma flamme en silence,
Malgré elle et sa violence ;
Pour au moins en tirer ce bien
Que par là vous sachiez combien
A vous serait obéissant,
Qui sur soi-même est si puissant.
(OEuvres poétiques, 1573)
DIZAIN
Mellin de Saint-Gelais
Si la beauté qui vous rend si aimable,
N'était pareille à mon affection,
Elle serait incertaine et muable
Et je serais hors de subjection ;
Mais comme seule elle a perfection,
Aussi parfaite est ma vive étincelle.
L'une est céleste, et l'autre est éternelle,
L'une est sans feu, l'autre sans cruauté :
Telle beauté fait l'amour être belle
Et tel amour aimable la beauté.
(OEuvres poétiques)