POUR TOI MON AMOUR
J. Prévert (1900-1977)


Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
mon amour
Je sais allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes
De lourdes chaînes
Pour toi
mon amour
Et puis je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
mon amour.

 


 

LE JARDIN
J. Prévert


Des milliers et des milliers d'année
Ne sauraient suffire
Pour dire
La petite seconde d'éternité
Où tu m'as embrasséOù je t’ai embrassée
Un matin dans la lumière de l'hiver
Au parc Montsouris à Paris
A Paris
Sur la terre
La terre qui est un astre.

 


 

PARIS AT NIGHT
J. Prévert


Trois allumettes une à une allumées dans la nuit
La première pour voir ton visage tout entier
La seconde pour voir tes yeux
La dernière pour voir ta bouche
Et l’obscurité tout entière pour me rappeler tout cela
En te serrant dans mes bras.

 


 

BARBARA
J. Prévert


Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Epanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisé rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

TREMBLANT
L.P. Fargue (1876-1947)


Amour tremblant. Crainte de proie.
J'aime vos deux instincts frappants.
Crainte tenace. Amour tremblant.
Je sais ton style heureusement.
Je suis le maître dans la nuit.
Amour tenace. Amour tremblant.
Tu t'es posé sur le rebord
De l'âme la plus misérable.
Comme un aigle sur un balcon !
Amour tenace. Amour tremblant.
Moi le voyageur sans souci
J'ai dû prier pour ta beauté.
Amour tenace. Amour tremblant.
L'horloge creuse de la mort
Je l'honore dans tes beaux yeux,
Je la distingue aux seins blessants.
Les fleurs qu'on ne voit que la nuit
C'est ce qui fait qu'on réfléchit.
Mais veuille surveiller nos yeux.
Quand nous souffrons fais-nous pleurer.
Lorsqu'on pleure on est presque heureux.
Amour tenace. Amour tremblant !

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

TOUS LES MORTS SONT IVRES...
O. V. de Lubicz-Milosz (1877-1939)


Tous les morts sont ivres de pluie vieille et sale
Au cimetière étrange de Lofoten.
L'horloge du dégel tictaque lointaine
Au coeur des cercueils pauvres de Lofoten.

Et grâce aux trous creusés par le noir printemps
Les corbeaux sont gras de froide chair humaine ;
Et grâce au maigre vent à la voix d'enfant
Le sommeil est doux aux morts de Lofoten.

Je ne verrai très probablement jamais
Ni la mer ni les tombes de Lofoten
Et pourtant c'est en moi comme si j'aimais
Ce lointain coin de terre et toute sa peine.

Vous disparus, vous suicidés, vous lointaines
Au cimetière étranger de Lofoten
- Le nom sonne à mon oreille étrange et doux,
Vraiment, dites-moi, dormez-vous, dormez-vous ?

- Tu pourrais me conter des choses plus drôles
Beau claret dont ma coupe d'argent est pleine,
Des histoires plus charmantes ou moins folles ;
Laisse-moi tranquille avec ton Lofoten.

Il fait bon. Dans le foyer doucement traîne
La voix du plus mélancolique des mois.
- Ah ! les morts, y compris ceux de Lofoten -
Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi...

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

PETIT JOUR
O. J. Périer (1901-1928)


Entre deux heures du matin
et le temps
où le coeur
bat moins vite,

Le jeune homme se perd, s'exalte,
et son amour est sur le monde
comme une chose dangereuse.
Ainsi le nageur qui dévoile
une âme paisible et profonde
en se livrant aux vagues creuses.
Ainsi Le jeune homme insolent
se désole devant la vie
comme s'il la rendait meilleure.

Entre deux heures du matin
et le temps
où le coeur
bat moins vite,

comme s'il voulait plus d'ardeur
au plaisir dont parlent les hommes,
comme si devant leurs bonheurs
il appréciait sa tristesse,
comme si beaucoup d'espérance
jetait sur eux une lueur,
- il voudrait connaître le vide,
juger qu'il est délicieux
ou s'il sait des choses meilleures.

Entre deux heures du matin
et le temps
où le coeur
bat moins vite,

ce jeune homme plein de douleur
ne se tourne pas vers les rêves.
Que son orgueil éblouissant,
radieux et nu, le protège !
- Il épouse au milieu du monde
sa vérité rude et brillante.
Et il se réjouit d'apprendre
à ceux qui vantent sa douceur,
qu'il a trouvé un trésor froid
dans un pays où vont ses voix,

entre deux heures du matin
et le temps
où le coeur
bat moins vite...

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVEC TOI
F. Saldy


Loin de toi, mon coeur bat
Trop bas, sans cadence,
Prends-moi fort dans tes bras
Calme mes souffrances.
Attache-moi contre toi
Je meurs de démence.
La vie me donne là
Cette grande chance,
De t'avoir près de moi
Quel bonheur immense !

 


 

UNE SEMAINE
F. Saldy


Ardeur le lundi
Labeur le mardi
Sueur le mercredi
Malheur le jeudi
Rancoeur le vendredi
Douleur le samedi
Aigreur le dimanche

Bonheur
Avec toi
Toujours.