Le hérisson et le loup



Une vigne s'étendait sur les pentes d'une montagne de l'Atlas, non loin d'ici. Elle était chargée de lourdes grappes de raisins bien mûrs. Le fermier l'avait entourée d'un mur pour la protéger, mais un trou avait été pratiqué dans ce mur et, un jour, par la brèche, se glissèrent un hérisson et un loup. Comme le fermier s'était endormi sous le soleil de l'après-midi, les deux amis purent se remplir le ventre tout à loisir.
Le hérisson, cependant, était un peu inquiet de ne plus pouvoir sortir par le trou. Aussi vérifiait-il de temps en temps s'il pouvait toujours passer. Mais le loup mangeait, mangeait les raisins délicieux et léchait le jus sucré qui coulait de ses mâchoires.
Même le fermier le plus paresseux se réveille tôt ou tard et, quand ils l'entendirent venir, les deux animaux se précipitèrent vers le trou. Le hérisson s'y glissa assez facilement mais, quant au loup, il ne fallait pas y songer. Il avait mangé beaucoup trop de raisins.
Son ami lui souffla des conseils de l'autre côté du mur.
- Étends-toi et fais le mort. Voilà ! Mets-toi sur le dos, les pattes en l'air. Très bien ! Ne bouge plus !
- Ah-ah-ah ! rugit le fermier en colère, voyant le loup. Alors, tu croyais pouvoir me voler mes raisins ? Eh bien, je t'ai attrapé ! Mais de quoi, de quoi ? Tu es mort ? Tu en as trop mangé ? Voilà qui est bien fait pour toi.
Mais je ne veux pas de loup mort dans mon jardin.
Il prit alors le loup par la queue et le fit tournoyer au-dessus de sa tête jusqu'à ce qu'il prît de la vitesse et l'envoya par-dessus le mur. À peine le loup sentit-il le sol sous ses pattes qu'il s'enfuit le plus vite qu'il put.
Le fermier lui cria :
- Tu m'as eu, cette fois, mais je t'aurai la prochaine. Je saurai te reconnaître.
Le loup jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule et, à sa grande horreur, vit le fermier qui agitait une grosse queue grise. Sa queue avait lâché mais, dans le vertige qu'il avait ressenti à tournoyer ainsi dans l'air, le loup ne l'avait pas senti.
Retrouvant son ami le hérisson un peu plus loin, le loup lui dit, désespéré :
- Que vais-je faire maintenant ? Le fermier va me reconnaître ; un loup sans queue est un animal marqué.
Le hérisson le contempla pensivement pendant un moment.
- Ne t'en fais pas, dit-il enfin. Laisse-moi faire, je vais t'arranger ça.
Un ou deux jours plus tard, le loup fut invité à une fête que donnait le hérisson. Quand il arriva, il découvrit que les autres invités étaient tous des loups, très semblables à lui-même.
- Et maintenant, dit le hérisson, nous allons d'abord jouer à un jeu.
- Oh oui ! s'écrièrent les loups en choeur, jouons ! Quel genre de jeu suggères-tu, hérisson ?
- Nous allons jouer à « moulons le grain ». Je vais vous attacher tous par la queue à cette meule et vous essayerez de la faire rouler le plus vite possible.
Et il leur montra une grosse et lourde meule, par terre, devant sa maison.
- Merveilleux ! dirent les loups. Nous adorons courir en rond. Nous sommes très forts à ce jeu-là.
Le hérisson les plaça en cercle et attacha solidement chaque loup par la queue à la meule. Puis il se recula et dit :
- Prêts ? Partez !
Tous les loups se mirent à tirer et pousser très fort et, lentement, l'énorme pierre ronde se mit à tourner. Ils crièrent de plaisir et tirèrent encore plus fort. Bientôt, ils avaient atteint une belle vitesse. Le loup qui avait perdu sa queue ne jouait pas. Il les regardait, assis, pensant tristement que ce devait être un très bon jeu si seulement on avait une queue.
Soudain, le hérisson cria de tous ses poumons :
- Les chasseurs arrivent, mes amis ! Sauvez-vous vite !
Et en même temps, il frappa sur une boîte en fer avec un bâton qu'il avait caché derrière son dos.
Les loups, pris de panique, bondirent si soudainement que chacun y laissa sa queue. Les queues gisaient par terre, toujours attachées solidement à la meule.
- Reviens ! cria le hérisson à son ami, aussi terrifié que les autres. Reviens ! Il n'y a pas vraiment de chasseurs.
Le loup revint sur ses pas, haletant.
Pas de chasseurs ? demanda-t-il, la langue pendante.
- Non, il n'y a pas de chasseurs, expliqua le hérisson en souriant, mais il y a maintenant dix loups sans queue !


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