Celui qui voulait vivre aux crochets des autres
Mandan
Ceci se passait à une lointaine époque, alors que les hommes n'étaient encore que des animaux.
Un orignal avait été tué par un bison. Ce dernier lui avait pris toutes ses femmes et l'avait laissé sans sépulture. Sur ces
entrefaites un coyote passa, qui, apercevant l'orignal mort, commença à s'en moquer.
- Te voici couché pour de bon, gros plein d'herbe. Tu ne m'ennuieras plus, maintenant.
Et, avisant sur la tête de l'orignal les bois qui avaient toujours eu le don de le mettre en colère, il entreprit de les briser en tapant
dessus avec une grosse pierre. Mais comme la corne résistait, le coyote enfonça un bâton dans le derrière de l'orignal. Celui-ci ne put
en supporter davantage, il ressuscita et se dressa sur ses pattes. Épouvanté, le coyote s'enfuit. L'orignal lui donna la chasse. Sur le
point d'être rejoint, le coyote se réfugia dans une étroite caverne. Ne pouvant y entrer, l'orignal se coucha devant et attendit que
l'autre en sortit.
Mais l'attente parut trop fastidieuse au coyote. Il prit la forme d'un ours et sortit de la grotte.
- Pourquoi es-tu allongé devant mon habitation ? demanda-t-il à l'orignal.
- Le coyote est caché à l'intérieur.
Et l'orignal conta à l'ours les sévices qu'il avait subis.
- L'ignoble individu ! s'écria le faux ours. Attends-moi ici, je vais le punir.
Le coyote se précipita dans la caverne, se mit à jeter des pierres contre les murs, cria et entrechoqua tout ce qu'il put trouver. Puis
il ressortit.
- Ca y est ! S'il n'est pas mort il ne vaut guère mieux.
Soulagé, l'orignal décida de partir à la recherche de ses femmes et il suivit leurs traces. Le coyote, lui, préféra aller faire un tour
chez l'orignal afin de voir ce qu'il pourrait bien voler.
Ce qu'il vit dans la hutte de son ennemi l'enchanta. Mais quand il voulut s'emparer des morceaux de viande pendus à une poutre, ceux-ci
s'enfuirent devant lui. Alors, il voulut prendre un os pour se régaler de sa moelle. Mais l'os s'échappa à son tour. Avisant de belles
peaux de loutre, il voulut s'en saisir. Hélas, les peaux prirent la fuite et il ne put en attraper aucune.
C'est alors que l'orignal rentra chez lui et trouva le coyote.
- Cette fois, tu ne m'échapperas pas.
Le coyote se fit mielleux :
- Peut-être vaut-il mieux m'épargner.
- Que veux-tu insinuer ?
- Prochainement, tu vas devoir livrer un combat contre le bison et je pourrais t'aider. Nous ne serons pas trop de deux pour venir à
bout de ce voleur de femmes.
- Soit ! J'accepte ta collaboration. Que proposes-tu pour m'être utile. As-tu une spécialité ?
- Je sais hurler et courir.
- Ce n'est guère suffisant pour terrasser un bison. Attends, j'ai une idée.
L'orignal décrocha une paire de cornes pendue au mur et les fixa sur le crâne du coyote.
- Ainsi équipé, tu seras meilleur au combat.
Ils prirent la piste et retrouvèrent le bison.
- Attaque-le de front, je lutterai à ton côté, dit le coyote. L'orignal chargea. Sa fureur était si grande qu'il culbuta le bison du
premier coup et le tua. Puis il chercha le coyote du regard.
- Où es-tu ? Le bison est mort.
Le coyote sortit en rampant de derrière un fourré.
- J'allais lui sauter à la gorge lorsque tu as bondi.
Et il donna un coup de pied à la dépouille.
L'orignal récupéra ses épouses, emmena le coyote dans sa cabane et lui dit :
- Pour te récompenser de m'avoir aidé, je vais te donner une de mes femmes.
- Bien volontiers. Mais j'aimerais aussi une chaude couverture en prévision de la saison froide.
Il reçut femme et couverture puis demanda encore :
- Je vois que tu as deux paires de solides mocassins, n'en as-tu pas une de trop ?
L'orignal partagea par moitié.
- Cet arc et ces flèches me seraient bien utiles. L'orignal les lui offrit et lui donna encore un bouclier, un vêtement de peau, une
lance et une coiffe de plumes.
- En as-tu assez pour aujourd'hui ?
- C'est bien. Je vais porter tout cela chez moi et je reviendrai te voir pour t'emprunter un peu de viande.
Et le coyote partit avec son fardeau. Une fois sous sa hutte, il se dit :
« C'est bête, je n'ai rien à manger, il me faut donc retourner là-bas. »
Puis, avisant sa nouvelle épouse, il pensa : « Pourquoi me fatiguer à retourner chez l'orignal puisque j'ai ici de la viande
fraîche ? »
Sans plus de formalités, il préleva sur sa femme une belle tranche dans la cuisse et la mangea. Le lendemain il fit de même, et ainsi le
surlendemain. À la fin, sa femme se dit : « Non seulement ce nouveau mari ne chasse pas, mais il me dévore un peu plus chaque jour. »
La femme orignal s'échappa pendant la nuit et alla conter sa mésaventure à l'orignal.
- Vois ce qu'il fait de l'épouse que tu lui as donnée.
Outré par tant de désinvolture, l'orignal entra dans une colère folle. Un souffle puissant sortit de ses narines et s'étendit sur toute
la contrée. Le vent se mit alors à tourbillonner en tempête. Le coyote voulut s'en protéger en revêtant son habit de peau. Mais
l'ouragan le lui arracha des mains.
Le coyote appela au secours. Rien n'y fit. Le vent redoubla d'efforts et enleva successivement au coyote les biens que l'orignal lui
avait offerts.
Et quand enfin le coyote se retrouva nu, la tempête cessa et tout redevint calme.
À la saison des grands vents, un oiseau passe au-dessus du village des Mandan et conte cette histoire à qui veut l'écouter.