Le Bon Génie qui récupéra le soleil
Kree


La saison froide sévissait depuis très longtemps. Une neige épaisse couvrait la terre et le vent était si vif que les orignaux, les cerfs et les bisons avaient perdu leurs cornes. Ni les grues ni les oies n'avaient fait leur apparition. On n'entendait gazouiller aucun oiseau. Lacs, rivières et fleuves étaient gelés et la glace recouvrait les grands arbres dépouillés de leurs feuilles.
Bourgeon-Fou se lamentait. Assis au creux d'une vallée, il avait allumé un feu. Un lièvre vint à lui en clopinant.
- Chauffe-toi près du foyer, lui dit Bourgeon-Fou. Le froid finira bien un jour.
- N'en est-il pas toujours ainsi ?
La saison du gel durait depuis si longtemps que le petit lièvre n'en avait jamais connu d'autre. Bourgeon-Fou le regarda d'un air soucieux.
- Le moment est venu pour moi de mettre les choses en ordre. Fréquentes-tu d'autres animaux dans les parages ?
- Oui. Le loup, le renard, le coyote et plusieurs oiseaux.
- Alors, va les voir et invite-les à tenir conseil.
Pendant la nuit, le lièvre courut aux quatre points cardinaux, transmettant les invitations. Au matin, beaucoup d'animaux se rassemblèrent en cercle dans la vallée. Bourgeon-Fou leur dit :
- La saison froide a assez duré. Nous allons partir à la recherche de la belle saison. Il est probable que quelqu'un la retient prisonnière. Nous devons la ramener dans notre contrée afin que les beaux jours reviennent.
Ils partirent tous ensemble et marchèrent durant trois lunes. Enfin, ils arrivèrent à la limite des neiges. Là, ils avisèrent un tepee dans une belle prairie bien verte. Bourgeon-Fou dit à la grue :
- J'ai besoin de toi car tu voles silencieusement. Va te percher sur la tente que tu vois là-bas. Regarde par le trou à fumée et reviens me dire ce que tu auras vu.
La grue s'envola et réapparut au bout d'un moment.
- J'ai vu un sac étrange pendu à un piquet. De ce sac s'échappaient des chants d'oiseaux.
- C'est bien ce que je pensais, conclut Bourgeon-Fou. La belle saison y est enfermée.
Puis il dit au renard :
- Toi, tu cours vite. Viens avec moi. Pendant que je parlerai à l'homme qui vit dans cette tente, tu t'empareras du sac et tu le porteras au loup. Le loup le transmettra au coyote et ainsi de suite jusqu'à ce que le sac soit hors de vue. De cette façon, peut-être parviendrons-nous à ramener la belle saison chez nous.
Bourgeon-Fou et le renard se dirigèrent donc vers le tepee. Mais il était gardé par une sorte de gros lézard à poils roux. Bourgeon-Fou lui jeta une poignée de résine dans la gueule et l'étrangla. Puis il pénétra sous la tente. Un homme y faisait bouillir des herbes. Il releva la tête.
- Qui es-tu ?
- Je suis Bourgeon-Fou. Je me promenais dans la région et je suis entré par politesse.
- Et mon gardien t'a laissé faire ?
- Il s'est étranglé en voulant trop crier.
- Que veux-tu ? Tu dois venir de loin ?
- Je viens des terres froides. Il fait beau ici.
- Je détiens la belle saison dans un sac.
- Pourquoi la gardes-tu pour toi seul ?
- Si quelqu'un veut la prendre, il devra me combattre.
Pendant qu'ils parlaient, le renard s'empara du sac. Mais l'homme le vit et se baissa pour l'attraper. Le renard fit un saut de côté et détala. L'homme courut derrière. Le renard passa alors le sac au loup. Et celui-ci courut à en perdre haleine. Lorsque l'homme fut sur le point de le rattraper, le loup donna le sac au coyote, qui prit la fuite.
- Attends, dit Bourgeon-Fou à l'homme. Tu vas te fatiguer, laisse-moi rattraper ce voleur à ta place. Fume une pipe en m'attendant ici.
Soulagé, le drôle suivit le conseil. Bourgeon-Fou disparut derrière une colline, se mouilla le visage dans l'eau de la rivière pour laisser croire qu'il transpirait, et revint vers l'homme.
- As-tu récupéré mon sac ?
- Non, le coyote galopait trop vite.
- Que vais-je devenir, se lamenta l'égoïste.
- C'est bien fait pour toi, lui dit Bourgeon-Fou. Jusqu'ici tu n'as pensé qu'à toi et pas assez aux autres.
Et Bourgeon-Fou partit en compagnie de ses amis. Un peu plus loin, il dit aux animaux :
- Nous allons voir si ce sac contient bien la belle saison. Il défit le lacet qui le fermait et l'entrouvrit. Aussitôt, la neige se mit à fondre et les arbres fleurirent.
- C'est le bon sac, assura Bourgeon-Fou.
Plus loin encore, la neige s'épaissit et la marche devint plus fatigante. Alors, Bourgeon-Fou coupa une longue perche, attacha le sac à un bout et le tint devant lui. À mesure qu'ils avançaient la neige fondait et la progression s'en trouvait facilitée. Derrière la petite troupe, les buissons se couvraient de fleurs et l'herbe verdissait. Mais bientôt, le loup se plaignit :
- Cette terre et ces cailloux mettent mes pattes à vif. Je préfère marcher dans la neige.
Le coyote partagea ce point de vue et le renard aussi.
Une fois parvenus dans leur pays, les animaux tinrent un nouveau conseil. Le loup dit :
- Qu'avons-nous besoin de la belle saison. Voyez, mes pattes sont en sang.
Mais le bison, le cerf et l'orignal furent d'un avis contraire. Ils savaient que l'herbe est bien meilleure quand il fait soleil.
- Nous allons arranger cela, déclara Bourgeon-Fou. Le mieux est que nous ayons un peu froid et un peu chaud. Je propose d'ouvrir le sac pendant vingt lunes et de le tenir fermé pendant vingt autres.
- Je ne suis pas d'accord pour avoir froid pendant vingt lunes, dit la grue.
- Moi non plus, dit l'oie sauvage.
- Alors vous partirez vers le sud et reviendrez quand vous voudrez, dit Bourgeon-Fou. De cette façon, chacun aura satisfaction.
- Et comment saurons-nous que nous changeons de saison ? demanda le bison.
- Vous saurez que la saison froide tire à sa fin quand vous verrez la grue et l'oie revenir du Sud. À ce moment, les animaux à l'épais pelage pourront perdre leurs poils. Lorsque les oiseaux repartiront, chacun saura que l'eau va geler.
- Et moi ? dit le Vent-du-Nord. Quel sera mon rôle ?
- Tu souffleras après le départ de l'oie et de la grue, durant la saison froide.
- Et moi ? demanda le Vent-du-Sud.
- Tu murmureras à la belle saison, quand le Vent-du-Nord sera absent.
Puis, Bourgeon-Fou distribua de la graisse aux animaux.
- Tenez, vous mangerez cela lorsque vous voudrez avoir chaud pendant la saison froide, si par hasard le Vent-du-Nord soufflait un peu trop fort. Maintenant, allez tous, et que chacun vive comme il lui plaira. En ce qui me concerne, j'ai assez parlé.

De ce jour, tous les animaux de la Terre appelèrent Bourgeon-Fou par son vrai nom. Ils le nommèrent Kitschikawano, car ils savaient qu'il était un bon génie.


Retour