La Ruse de l'ondin (République Tchèque)

Il était une fois la fille d'un meunier qui s'appelait Annette. Elle était très belle et de nombreux jeunes hommes lui faisaient la cour. Mais parmi eux, un seul lui plaisait et il s'appelait Jean. Or, son père ne voulait pas que sa fille épouse un pauvre fermier et il lui trouva un autre prétendant : un homme de valeur, un haut fonctionnaire du château.
Il n'y aurait rien eu à dire là-dessus si cet homme-là n'avait été beaucoup plus vieux que la fille et laid comme un pou. La jeune fille passa de nombreuses nuits à pleurer, mais son père avait un coeur de pierre et il ne changea rien à sa décision.
Les deux jeunes gens ne purent supporter tant de malheur et, pour ne plus souffrir, ils décidèrent de quitter ce monde en se noyant. Ils allèrent à la rivière, s'arrêtèrent à la berge et, main dans la main, ils s'apprêtaient à mettre fin à leurs jours.
Soudain, la surface de l'eau s'agita et un homme en habit vert coiffé d'un chapeau décoré de rubans rouges surgit alors. C'était un ondin !
- Que vous arrive-t-il de si grave pour que vous souhaitiez en finir avec la vie ? leur demanda-t-il.
Annette et Jean lui expliquèrent que, à cause de la décision du meunier, il n'y avait pas d'autre salut pour eux, et que ce soir même, un fonctionnaire du château devait venir au moulin pour parler mariage.
- Je compte bien lui faire changer d'avis, dit l'ondin. Il ne me faudra pour cela qu'un bol de petits pois et un marteau. Vous-mêmes, tenez-vous à distance ! Quant à monsieur votre père, je l'occuperai autrement.
La nuit tomba et, soudain, la roue du moulin s'arrêta de clapoter. « Que se passe-t-il ? » s'étonna le meunier, et il alla voir. Tiens, tiens ! Une grande anguille était coincée entre les pales de la roue et l'empêchait de tourner. Le meunier s'approcha vite pour essayer de la dégager, mais cette anguille se tortillait comme un serpent. Impossible de la bouger !
Pendant ce temps, de l'autre côté du moulin, le vieux prétendant arrivait : souliers bien astiqués, chemise à dentelles, pomponné comme pour un mariage... Il s'étonna que personne ne vînt l'accueillir et que le moulin fût vide. Il s'assit donc sur un banc afin d'attendre le meunier. À ce moment-là surgit devant lui un homme en habit vert, coiffé d'un chapeau décoré de rubans rouges qui lui dit :
- Ce n'est pas ici que tu trouveras ton bonheur, je te le dis ! Tu n'auras pas la fille du meunier !
- Et qui es-tu pour en décider ? se fâcha l'homme du château. Moi, je te dis qu'Annette sera à moi, même si le ciel devait nous tomber sur la tête.
- Sache que je suis un ondin, cria-t-il, et que ce n'est pas le ciel qui va te tomber sur la tête mais bien autre chose !
Il sauta alors sur le vieux prétendant et le serra comme dans un étau. L'homme essaya de se libérer, mais en vain. Il ne pouvait plus bouger, comme si une force mystérieuse le paralysait.
L'ondin le coucha sur le banc, lui ôta ses souliers et, avec le marteau, il se mit à lui enfoncer les petits pois dans les pieds, l'un après l'autre.

- Alors, dis-moi, veux-tu encore te marier ?
- Non, non ! je ne veux plus ! cria le prétendant pomponné.
- Tu diras donc au meunier que tu as changé d'avis et que tu donneras à Annette deux bourses remplies de pièces d'or si elle épouse Jean.
Le fonctionnaire promit qu'il ferait tout ce que l'ondin souhaitait s'il le relâchait. Mais ce dernier finit d'enfoncer dans la plante de ses pieds tous les petits pois qui restaient et ensuite, seulement, il lui rendit sa liberté. Dès qu'il eut fini, l'anguille glissa des pales de la roue du moulin et le meunier put rentrer chez lui. Il y trouva le notable claudiquant dans des souliers aux lacets défaits.
- J'ai changé d'avis, meunier. Je ne veux plus épouser Annette.
Le meunier regarda le bonhomme et se dit qu'il serait sans doute plus raisonnable que sa fille en épousât un autre. En effet, celui-ci était vraiment un peu trop vieux pour elle ; il boitait et ses jambes avaient l'air de le faire déjà beaucoup souffrir.
Et lorsque le meunier entendit que sa fille recevrait deux bourses pleines de pièces d'or, il ne vit plus rien qui s'opposait à son mariage avec Jean.
Les noces furent célébrées en grande pompe. Les invités furent nombreux et parmi eux, un homme en habit vert. Personne n'avait l'air de le connaître et les gens furent surpris de voir la mariée l'entourer de tous ses soins et lui servir les meilleurs plats. Mais Annette savait bien pourquoi cet hôte-là devait être estimé plus que tout autre car, sans lui, elle n'aurait jamais pu épouser l'élu de son coeur.


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