Le soleil et la lune



C'était il y a bien longtemps : un homme vivait dans un village avec sa femme.
La femme n'était pas heureuse car l'homme était méchant avec elle et ne lui adressait jamais une bonne parole. Il lui marchandait même la nourriture et des repas qu'elle cuisinait, il lui laissait si peu que les chiens étaient mieux servis. Et quand elle voulait se chauffer un peu, il ne la laissait pas s'approcher du foyer pour qu'elle ne lui disputât pas la chaleur. Cet homme était vraiment très méchant.
Elle endura longtemps ces mauvais traitements, mais cela allait de pis en pis. Si bien qu'elle résolut de le quitter et de s'enfuir de la maison.
Un matin, très tôt, alors que l'homme dormait encore profondément, la femme se leva, réunit ses affaires en silence et s'habilla chaudement. Elle prit son meilleur manteau, fait d'une épaisse peau d'ours, son bonnet de renard argenté, enfila ses bottes de phoque et quitta l'igloo.
L'homme se réveilla - et sa femme n'était plus là. Il parcourut le village, interrogeant ses habitants, mais personne ne l'avait vue. Il regagna, ivre de rage, son igloo vide. Le jour s'acheva, la nuit passa, pas de nouvelles de sa femme !
Le lendemain matin, l'homme partit à sa recherche. Le temps était beau et, quand il fut arrivé sur une hauteur, il vit au loin une petite silhouette se détacher sur l'horizon. « C'est elle ! » s'écria-t-il, reconnaissant la fuyarde et il s'élança à sa poursuite. Il était plus grand, faisait de plus longs pas et la distance qui le séparait de sa femme diminuait. « Je m'en vais te rattraper et te ramener ! » grommelait-il méchamment. Mais, tout à coup, il sentit que la fatigue faisait trembler ses jambes et que le sommeil alourdissait ses paupières. Avant même de se rendre compte de ce qui lui arrivait, il dormait comme une souche.
Quand il reprit ses sens, il bondit et chercha autour de lui où était sa femme. Pendant qu'il dormait, elle avait fait un bon bout de chemin. « Ne t'imagine pas que tu m'échapperas ! » gronda l'homme. Et il reprit sa poursuite.
Et ainsi, ils coururent, coururent, atteignirent la fin de la Terre et ils glissèrent dans l'abîme.
Cependant, le jour diminuait et ce fut la nuit.
La femme aperçut une petite lumière. Elle s'y dirigea et arriva dans un village. Mais quel village étrange ! Partout où elle portait ses regards, elle voyait des gens endormis. Ils dormaient si profondément que rien ne pouvait les éveiller.
Elle traversa le village et poursuivit sa route. Et elle vit encore une petite lumière. De nouveau elle s'y dirigea et, bien vite, se trouva dans un village encore plus étrange. Il y régnait un profond silence et rien n'y bougeait. Regardant autour d'elle, elle vit que, là aussi, les gens gisaient étendus de tous côtés, mais ils ne dormaient pas, ces gens étaient morts ! Parmi eux, elle reconnut ses parents et ses grands-parents qui avaient quitté ce monde depuis bien longtemps. Elle était dans le village des morts !
La femme se mit à courir. Elle ne regardait ni à droite ni à gauche, ne songeant qu'à fuir. Puis elle vit dans le lointain une lumière qui brillait intensément. Et comme elle devenait toujours plus brillante, le jour parut. A ce moment, elle eut envie de retourner chez elle. Mais elle se reprit et continua sa route. Elle courait si fort qu'elle était toute en nage mais elle ne pouvait s'arrêter car son cruel mari était sur ses talons.
De toute façon, il n'était plus possible de s'en retourner. La femme ne courait plus sur la terre, mais dans les cieux. Et la course l'avait si bien échauffée qu'elle se mit à briller, puis à flamber : elle était devenue le soleil.
Et l'homme qui la poursuivait sans relâche était devenu la lune.
Depuis ce jour la lune poursuit le soleil dans les cieux. Mais, tous les six jours, la fatigue la prend, elle vieillit et se laisse distancer. Six jours après, elle est reposée, rajeunit et reprend sa course derrière le soleil.
Et tout recommence ainsi pour toujours.


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Comment sont apparus les nuages



Dans les temps très, très anciens la terre était chaude. La neige n'existait pas ; pas plus que la glace ; il n'y avait pas de brouillard, ni de nuages.
En ces temps-là, où les bêtes parlaient comme les hommes, il arriva qu'une ourse attrapa un pêcheur imprudent et l'apporta à ses petits.
« Voici de quoi vous mettre sous la dent, leur dit-elle, mais ne le mangez pas tout de suite tout entier : qui sait quand je trouverai autre chose ! » Elle déposa le pêcheur auprès de ses petits pour qu'ils le surveillent et elle-même s'en alla coucher.
Le pêcheur se voyait déjà mort et gisait les yeux clos. Quand l'ourse commença à ronfler, il souleva précautionneusement une de ses paupières. Mais les oursons l'observaient et se mirent à crier :
« Il a bougé ! »
L'ourse se précipita mais, quand elle vit le pêcheur gisant sans mouvement, elle retourna dormir. Un instant après, les oursons sortirent pour aller chercher du bois et le pêcheur se dit : Voici le moment propice ! Il se redressa tout doucement, saisit un bout de bois et l'abattit sur la tête de l'ourse. Le coup n'était pas mortel mais il endormit l'animal pour un bon moment. Le pêcheur eut le temps de se sauver de la tanière et de se précipiter dans le bois. Il courait de toutes ses forces. Bientôt il entendit l'ourse se lancer à sa poursuite, elle le serrait de près. Il escalada un arbre et se cacha dans le feuillage. L'ourse passa sans le voir.
Je m'en vais rester ici en attendant que la nuit tombe, se dit le pêcheur. Dès que le soleil fut couché, il sauta à terre et s'enfuit. Mais l'ourse, qui rôdait aux alentours, l'entendit et courut derrière lui. Le pêcheur, fou de peur, frappa la terre de son bâton. A l'instant, l'eau jaillit du trou, formant une source énorme qui devint bientôt une rivière abondante.
L'ourse restait sur l'autre rive et elle cria au pêcheur : « Je voudrais bien savoir comment as-tu fait pour traverser ? »
« J'ai bu toute l'eau de la rivière, » répondit le pêcheur.
Alors l'ourse se jeta à genoux et se mit à boire la rivière. Elle buvait, buvait, et son ventre enflait, enflait ... si bien qu'il éclata !
Une chaude vapeur s'en échappa qui, du cadavre de l'ourse, monta vers le ciel et y forma les nuages qui encore maintenant parcourent le firmament.


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L'aigle et le chasseur paresseux



C'était une année agréable et pleine d'abondance.
Les troupeaux de rennes se pressaient, innombrables, et les hommes revenaient de la chasse chargés d'un gibier magnifique. Les femmes avaient bien du travail : elles raclaient et nettoyaient les peaux, cousaient des vêtements et entassaient dans les réserves de la viande pour l'hiver. Une bonne odeur de graisse envahissait les igloos et les enfants, rassasiés, accueillaient avec des cris de joie leurs pères et leurs frères, apportant une riche provende.
Un seul feu restait froid sous le chaudron vide. Tandis que partout ailleurs on faisait ripaille, la femme et le fils du chasseur Ouyouk avaient l'estomac vide.
« Va vite au-devant de ton père, disait la femme au petit Onik quand se faisaient entendre le tumulte du retour des chasseurs et les cris des enfants. Espérons qu'aujourd'hui la chance lui aura souri. »
Le petit Onik se précipitait, les yeux pleins d'espoir à la rencontre de son père mais celui-ci, la rage au coeur et de mauvaises paroles à la bouche, le renvoyait :
« Retourne vers ta maudite mère. Depuis que je l'ai épousée, les bons esprits m'ont abandonné ! »
Il rentrait dans l'igloo, s'étendait sur les fourrures et ordonnait :
« Femme, donne-moi à manger ! »
Désespérée, elle lui répondait :
« Que te donnerais-je ? Tu n'as rien rapporté ! »
« Trouve quelque chose où tu voudras ! J'ai une faim de loup ! »
« Si j'avais quelque chose, je le donnerais à Onik. Voilà deux jours qu'il n'a rien eu à se mettre sous la dent. Pas le moindre morceau de viande, pas une goutte d'huile ni une bribe de lard. Nous espérions que, à la fin, tu attraperais quelque chose. Nous avons prié les esprits bienfaisants pour qu'ils te viennent en aide. »
« Garde tes prières ! rétorqua-t-il brutalement. Je dis toujours qu'ils m'ont abandonné le jour où je t'ai fait entrer dans mon igloo. Il y a longtemps que j'aurais dû te chasser ! Et c'est bien ce que je ferai quand ma patience sera à bout ! »
Le petit Onik se serra contre sa mère et éclata en sanglots.
« Et toi aussi, je te mettrai à la porte si tu n'arrêtes pas de pleurnicher ! » cria méchamment Ouyouk à son fils. Puis il se tourna sur le côté et s'endormit.
Onik murmura à sa mère :
« Maman, partons d'ici ! »
La mère lui caressa les cheveux. S'enfuir avec son fils, c'était ce qu'elle avait de mieux à faire. Elle n'avait rien à espérer ici, elle et son fils étaient une charge pour son mari, et rien d'autre. Il parlait toujours de l'abandon des esprits bienfaisants mais la vérité était ailleurs. Ouyouk était un fainéant. Cela le fatiguait de tailler ses flèches, d'entretenir son arc et ses javelots, de tresser des pièges. C'était un traînard et un paresseux qui déversait sa méchanceté sur sa femme et sur son enfant.
Elle prit sa décision. Tandis que son mari dormait, elle entortilla son fils dans une fourrure et quitta sa demeure. Elle partit sans savoir où, mais elle ne s'en souciait pas, persuadée que nulle part elle ne pourrait être plus malheureuse qu'auprès d'Ouyouk. La plus grande menace était de mourir de faim, mais elle n'en avait pas peur puisque, de toute façon, c'était ce qui l'attendait en restant à la maison. Le peu de gibier qu'Ouyouk rapportait parfois, il le mangeait seul et il ne restait pour elle et pour l'enfant que des os rongés, si encore il ne les jetait pas à ses chiens.
Quand Ouyouk se réveilla et se rendit compte que la femme et l'enfant s'étaient sauvés, il entra dans une colère folle. De quel droit était-elle partie ! Qui l'avait autorisée à emmener le petit garçon ! Il attela ses chiens au traîneau et se lança à la poursuite des fuyards. Les chiens flairèrent leur piste et se mirent au galop.
Pendant ce temps, la femme, son enfant dans les bras, avait gagné la forêt. Elle avait l'intention de se reposer un peu quand elle entendit les aboiements des chiens. Elle aperçut l'attelage qui approchait et trembla de frayeur. Elle savait bien qu'Ouyouk allait la battre et les laisserait mourir de faim.
« Esprits bienfaisants, venez à mon aide ! » pria-t-elle.
A ce, moment un tourbillon de vent mêlé de neige se mit à souffler et la femme sentit quelque chose qui la soulevait de terre. Quand elle reprit ses esprits, elle se trouva avec Onik cachée sur la plus haute branche d'un épicéa. Elle regarda vers le sol. A l'endroit où elle se trouvait avant brillait une surface ronde, couverte de glace qui étincelait comme un miroir. Elle pouvait y voir distinctement son propre visage et la figure terrorisée du petit Onik.
L'attelage de chiens arrivait à proximité de la glace étincelante et Ouyouk y vit sa femme et son fils fugitifs.
« Les voilà ! Vous n'êtes pas allés bien loin ! » cria-t-il.
Il se jeta sur eux. Dans sa rage furieuse, il se cogna la tête si brutalement contre la surface gelée qu'il y resta étendu sans mouvements. Il s'était tué lui-même.
Du feuillage de l'arbre, s'éleva quelque chose comme un sombre nuage. Mais ce n'était pas un nuage : c'était un aigle gigantesque. Il se saisit de la femme et de l'enfant et les emporta sur un rocher près du rivage. Il les déposa dans une caverne chaude et claire. Là, il se changea en un beau jeune homme.
« Tu seras ma femme, et toi, tu seras mon fils, » leur dit-il.
Et il en fut ainsi. Ils vécurent ensemble tous très heureux et ils n'eurent plus jamais faim.


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La belle jeune fille et le fils du puissant magicien


Il était une fois un homme et une femme qui avaient une fille. La jeune fille était très jolie et, quand ce fut le temps, de nombreux jeunes hommes vinrent la demander pour femme. Mais sa mère s'était mis en tête que sa fille devait avoir le mari le plus beau et le plus riche.
Dès qu'un prétendant se présentait, elle lui disait :
« Voyons voir de quoi tu as l'air ! »
Elle le faisait tourner sur lui-même, l'examinant par devant et par derrière. Et, après, c'étaient les questions : combien possédait-il de peaux, combien de fourrures, combien de pelisses, combien de chiens dans son attelage et s'il n'aurait pas encore d'autres biens ... L'un n'était pas assez grand, l'autre pas assez fort ; celui-là était vraiment trop maigre et celui-ci véritablement trop gros. Tel autre ne possédait pas assez de richesses. Enfin aucun n'était à son goût, aucun n'était celui qu'elle désirait.
La fille se désolait, quelques-uns de ces jeunes gens lui plaisaient bien, mais, rien à faire, la mère n'en démordait pas et ils repartaient tous, déconfits.
Ce n'était pas étonnant que l'intérêt pour la jeune fille diminuât et celle-ci commençait à craindre d'être laissée pour compte.
Jusqu'au jour, après une longue période, où se présenta un jeune homme beau comme le soleil levant.
« Tu as vraiment bonne mine, déclara la mère, après qu'elle l'eut examiné sur toutes les coutures et ne lui eut, par extraordinaire, trouvé aucun défaut ! Mais, dis-moi, que possèdes-tu, as-tu quelque richesse ? »
« Ma richesse ce sont une bonne tête et des bras puissants, » dit-il.
« Ce n'est pas grand-chose, répondit la mère qui se renfrogna. Ma fille n'est pas pour toi. Va tenter ta chance ailleurs ! »
La jeune fille qui ne pouvait détacher ses yeux de ce beau jeune homme supplia en vain sa mère de ne pas le renvoyer. Le père aussi s'entremit mais elle ne se laissa pas attendrir.
« Je ne donnerai pas ma fille à un lourdaud pareil ! » cria-t-elle.
Le jeune homme ne dit pas un mot, il lança à l'orgueilleuse mère un regard chargé de colère, tourna le dos et s'en alla.
Sous ce regard, la femme se sentit glacée. Il a des yeux de bête sauvage, pensa-t-elle, j'ai bien fait de ne pas lui donner ma fille.
Mais le jeune homme n'était pas n'importe qui : c'était le fils d'un puissant magicien et il résolut de punir l'irascible femme et d'épouser la fille coûte que coûte.
Il revint pendant la nuit et, avec l'aide des esprits, il enleva la fille et l'emmena dans l'igloo qu'il avait construit auprès de la maison.
Quand, au matin, la mère se réveilla et vit la couche de sa fille vide elle courut dehors en poussant des cris épouvantables.
« Où est ma fille ? gémissait-elle. Où est ma fille ? »
« Ta fille est mon épouse, » dit une voix dans le voisinage.
La voix conduisit la mère vers un igloo qui ne se trouvait pas là la veille. Quand elle voulut y entrer la porte lui en fut barrée par un glouton.
Elle eut une telle frayeur, qu'elle en tomba raide morte sur place.
Le fils du puissant angakok, qui avait pris l'apparence de cet animal sauvage, vécut de nombreuses années dans un complet bonheur avec la belle jeune fille. Si la mère n'avait pas été tellement attachée aux richesses, elle aurait pu partager leur félicité.


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