Les trois antilopes

 

Autrefois, il y avait moins de gibier qu'aujourd'hui. Les antilopes surtout étaient peu nombreuses. En fait, leur troupeau se résumait à deux femelles, si bien que les antilopes ne pouvaient pas se reproduire. Très malheureuses, les femelles n'arrêtaient pas de se plaindre, mais personne ne savait les conseiller ni les aider.
Ces plaintes incessantes agaçaient prodigieusement l'Esprit des Eaux, qui habitait la fontaine à laquelle les antilopes venaient s'abreuver. Exaspéré, il leur dit :
« Je suis las de vos lamentations. Je vous promets de transformer en antilope mâle le premier animal qui viendra boire à ma fontaine. Ainsi, vous serez trois. »
Heureuses, les antilopes se dissimulèrent dans les buissons pour guetter leur futur compagnon.
Voilà qu'un homme suivi de son fils arriva à la fontaine, et nos antilopes recommencèrent à se plaindre :
« Nous ne voulons pas d'homme ! »
L'homme dressa l'oreille :
« Quelles sont ces voix ? »
Mais le jeune homme, assoiffé, but à la fontaine sans plus attendre. Aussitôt, il se transforma en antilope sous le regard médusé de son père. Celui-ci comprit, cependant, ce qui venait d'arriver. Il soupira :
« Hélas, mon fils ! Si tu rencontres les hommes, enfuis-toi. Si tu croises les éléphants, sauve-toi. Mais si tu aperçois les antilopes, joins-toi à elles. »
Sur ces paroles, il s'en alla. Nos deux antilopes voulurent s'enfuir, mais le nouveau venu les rattrapa. Une nouvelle vie commença. Bientôt, les deux femelles eurent des petits, et le premier troupeau se forma. Depuis ce temps, les antilopes se multiplièrent au point qu'aujourd'hui nul ne saurait les compter.


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La tortue avisée.

Tout le monde sait que les tortues sont extrêmement avisées. Un jour, l'une d'entre elles rassembla tous les animaux pour les avertir :
« Une dangereuse plante pousse dans notre forêt. Nous devons la supprimer, sinon c'est elle qui nous supprimera ! »
La tortue conduisit les animaux à la lisière de la forêt où s'étendaient les champs de chanvre et dit :
« Voici la plante en question ! »
Les animaux l'examinèrent et goûtèrent à ses petites feuilles. L'antilope fit la grimace :
« C'est amer. Je ne vois pas pourquoi je devrais la brouter. »
Le flamant hochait la tête :
« Moi non plus. Je ne peux rien faire du chanvre, puisque je vis la plupart du temps dans l'eau.»
La carpe ne dit rien, mais s'en alla d'un coup de nageoire.
Ainsi, le chanvre poussa en toute tranquillité. Un jour, les hommes vinrent, l'arrachèrent et en tressèrent des cordes. Ils les prirent pour bander leurs arcs. Ensuite, ils taillèrent des flèches dans l'écorce de palmier et allèrent chasser les oiseaux. Arrivés au bord de l'eau, ils lancèrent leurs flèches contre une bande de flamants. Les oiseaux s'envolèrent, mais l'un d'entre eux resta sur la rive, mortellement blessé. La tortue s'approcha de lui :
« Si tu m'avais obéi lorsque je t'avais demandé de supprimer la plante de la forêt, tu volerais aujourd'hui tranquillement dans les cieux ! »
Le flamant supplia :
« Aie, tortue ! aide-moi »
« Il est trop tard. »
Un homme vint, prit le flamant et l'emporta chez lui.
Ensuite, les hommes prirent une canne et y attachèrent une corde avec un crochet au bout. Ils plongèrent l'hameçon dans l'eau et en très peu de temps, une carpe s'agita au bout de la corde.
La tortue s'approcha d'elle à la nage :
« Si tu m'avais écoutée, tu nagerais aujourd'hui en toute tranquillité ! »
« Aïe, tortue ! aide-moi ! » supplia la carpe.
« Il est trop tard », répondit la tortue.
Un homme tira sur la canne et sortit la carpe de l'eau.
Ensuite, les hommes prirent les cordes et en firent des noeuds coulants qu'ils disposèrent sur un sentier. L'antilope s'y laissa prendre.
La tortue s'approcha d'elle :
« Si tu m'avais écoutée, tu courrais aujourd'hui tranquillement dans la clairière ! »
« Aie, tortue ! aide-moi ! » supplia l'antilope.
La tortue rongea la corde et libéra l'antilope. Depuis ce jour, elles furent amies. Et pourtant, l'antilope était aussi idiote que la tortue était rusée. Certes, elle admirait son amie pour son intelligence mais se disait dans son for intérieur :
« Son intelligence ne lui sert à rien, puis qu'elle est lente. Elle ne peut attraper personne, pas plus qu'elle ne peut fuir ses ennemis. »
Un jour, la tortue défia l'antilope :
« Tu me crois lente, mais je peux te battre à la course quand cela me plaît. »
« je voudrais voir cela ! » riait l'antilope.
« Alors regarde bien. Nous allons courir jusqu’au sommet de cette colline et on verra bien laquelle d'entre nous y arrivera la première. »
Juste avant la course, la tortue mordit la queue de l'antilope et s'y suspendit. L'antilope courut jusqu’au sommet de la colline et se retourna pour voir peiner la tortue. Celle-ci lâcha la queue de l'antilope et dit :
« Je suis là. je t'attendais. »
L'antilope avait beau se creuser la tête, elle ne comprit pas comment la tortue s'y était prise pour arriver avant elle.
En ce temps-là, le roi des animaux, le lion, convia tous ses sujets à un somptueux festin. Le léopard, le singe, l'éléphant vinrent ainsi que l'antilope et la tortue. Le repas fut magnifique, il y avait de la nourriture en abondance pour tout le monde. L'éléphant mangea des bananes, le crocodile du poisson. Par malchance, la tortue et l'antilope, qui avaient déjà l'eau à la bouche, avaient oublié leurs assiettes à la maison. Le lion avait bien demandé aux animaux d'apporter leurs assiettes, mais la stupide antilope n'y avait pas pensé. La tortue, occupée à inventer ses mauvais tours, avait bel et bien oublié, elle aussi, son couvert. Elle se tourna donc vers l'antilope :
« Cours vite à la maison chercher deux assiettes pour que nous puissions manger ! »
Mais l'antilope n'avait pas envie :
« Pourquoi moi ? Ne cours-tu pas plus vite que moi ? »
« Certes, mais tu habites plus près. »
L'antilope s'en alla chercher deux assiettes, mais auparavant, elle cria à la tortue :
« Ne mangez pas tout ! »
La tortue se mit aussitôt en quête d'une assiette. Elle aperçut un minuscule roitelet qui portait une énorme assiette.
« À quoi te sert une aussi grande assiette ? » lui demanda la tortue. « Deux graines suffisent pour te remplir l'estomac. »
« Tu as bien raison », acquiesça le roitelet. « D'ailleurs, j'ai fini de manger. »
« Dans ce cas, pourrais-tu me prêter ton assiette ? J'ai oublié la mienne à la maison », demanda la tortue.
Le roitelet ne se fit pas prier :
« Fais seulement attention à ne pas la casser. »
La tortue remplit son assiette et mangea à se faire éclater le ventre. Après qu'elle eut rendu l'assiette au roitelet, l'antilope revint. Elle se mit aussitôt à se lamenter :
« Vous ne m'avez rien laissé ! »
Et, en effet, seuls des os et des peaux de bananes témoignaient du magnifique festin.
« Tu n'es pas la seule ! » riposta la tortue. « je n'ai pas mangé une seule bouchée en attendant mon assiette. Tu en as mis du temps ! »
Le lion interrompit les lamentations de la tortue et de l'antilope qui se tenaient là, toutes penaudes, l'assiette vide à la main :
« Vous avez tous bien mangé et vous avez pris des forces. Je vous donnerai l'occasion d'en faire une brillante démonstration. Nous allons tous lutter les uns avec les autres. Les vaincus deviendront les serviteurs des vainqueurs et le plus fort d'entre nous sera le roi. L'éléphant arbitrera les combats. »
L'idée du lion était bonne. Il avait beau être très courageux et puissant, l'éléphant était tout de même plus fort que lui. En tant qu'arbitre, cependant, il ne pouvait pas prendre part à la compétition.
Le lion ouvrit les hostilités en rugissant et bondit sur l'antilope. Celle-ci s'écarta et s'enfuit à toutes jambes. Voyant qu'il n'arriverait pas à l'attraper, le lion se tourna contre la tortue qui se tenait juste à côté. Malheureusement, il ne pouvait rien contre sa dure carapace. Il essaya donc de la retourner sur le dos avec sa patte, mais la tortue le mordit et rentra la tête dans sa carapace, tenant la patte du lion bien serrée dans ses mâchoires. Le lion rugit de douleur, mais la tortue tint bon. L'éléphant dut la déclarer vainqueur de la compétition.
Le lion s'en alla, vexé et humilié. La tortue devint la reine des animaux. Lorsque l'antilope revint sur ses pas, la tortue lui dit :
« Je t'ai sauvé la vie une seconde fois. Si je n'avais pas tenu la patte du lion, il aurait bien fini par t'attraper. »
L'antilope la remercia avec effusion. La tortue ne resta pas longtemps au pouvoir. Les animaux oublièrent rapidement qu'elle avait vaincu le lion et celui-ci récupéra petit à petit tout son prestige. Au demeurant, la tortue se moquait éperdument de sa nouvelle fonction : elle était trop intelligente pour une reine !


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L'antilope rusée.

Toutes les antilopes ne sont pas bêtes. Avec un peu de chance, elles arrivent même à berner leurs ennemis jurés, comme le fit une antilope des steppes sud-africaines.
L'antilope en question aimait par-dessus tout brouter l'herbe fraîche et non piétinée, loin de son troupeau. C'était pourtant dangereux, car une antilope solitaire est une proie facile pour un fauve, mais notre antilope se fiait à son intelligence et à sa chance. Jusqu'à présent, elle s'en était toujours bien sortie, si bien qu'elle devint arrogante.
Un jour, alors qu'elle était en train de brouter seule dans la steppe, l'antilope aperçut un guépard qui fonçait droit sur elle. Elle eut très peur, car le guépard est l'animal le plus rapide de toute l'Afrique, voire de toute la Terre, personne ne pouvant lui échapper. Une fois de plus, l'antilope eut de la chance. Les bergers armés de lances conduisaient justement un troupeau de buffles à l'abreuvoir. L'antilope bondit comme une flèche au milieu du troupeau, semant la panique parmi les buffles. Sans s'occuper d'elle, les bergers se jetèrent sur le guépard et le repoussèrent avec leurs lances.
En déguerpissant à son tour, l'antilope entendit encore le guépard crier :
« Je ne te pardonnerai jamais ce que tu viens de faire ! Tu ne perds rien à attendre, nous nous retrouverons un jour ! »
L'antilope rit :
« Sois heureux de t'en sortir sain et sauf ! »
Et comme elle était arrogante, elle ne retint pas la leçon. Elle continuait à brouter loin de son troupeau, là où l'herbe était fraîche et non piétinée, ne pensant plus au guépard depuis longtemps.
Le guépard, en revanche, ruminait sa vengeance. Sans relâche, il pistait l'antilope et, un beau jour, il bondit devant elle du haut de l'unique arbre qui poussait dans la prairie.
« Cette fois, tu ne m'échapperas pas ! » rugit-il.
« En effet, cette fois, je suis faite ! » s'affola l'antilope. Mais comme sa chance insolente ne la quittait pas, elle n'eut même pas à courir.
Tout comme le guépard, un énorme python était embusqué dans l'arbre. Lui aussi, il guettait l'antilope, mais lorsqu'il vit la tournure que prenaient les événements, il glissa rapidement le long du tronc, s’enroula autour du cou du guépard et le serra très fort pour lui briser la nuque. Ensuite, il l'avala tout entier, sans même le mâcher.
L'antilope poussa un soupir de soulagement :
« Heureusement que le guépard ne m'a pas dévorée. Je serais à présent dans l'énorme ventre de cet horrible python. »
Au moment où elle s'apprêtait à déguerpir, un immense serpentaire fit son apparition. Il accourut sur ses longues pattes en secouant sa huppe et se jeta sur le python. La queue du guépard dépassait encore de la gueule du reptile lorsqu'il reçut le premier coup de serre dans la tête. Après un rude combat, le serpentaire fracassa la tête du python d'un coup de bec. Ensuite, l'oiseau considéra un instant sa proie, puis l'engloutit, avec le guépard dans le ventre.
L'antilope assista à la scène, les yeux exorbités.
« Je suis curieuse de savoir qui va manger le serpentaire », se demanda-t-elle.
Personne ne vint le manger. Son repas terminé, le serpentaire marcha lentement vers l'arbre solitaire, puis s'envola péniblement pour se poser sur une branche. Il rentra sa tête entre les épaules et resta ainsi longtemps, longtemps, sans bouger.
« Enfin, ainsi va la vie ! » se dit l'antilope et elle s'en alla en courant. Croyez-vous qu'elle retint la leçon ? Elle continua à brouter loin de son troupeau, là où l'herbe était fraîche, bien craquante et non piétinée, tout en se félicitant d'être si rusée d'avoir tant de chance et de savoir le guépard dans le ventre du python et le python dans celui du serpentaire.


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La queue des animaux.

 

Jadis, les animaux n'avaient pas de queue. Le cheval ne pouvait pas chasser les mouches, l'écureuil sans queue avait du mal à sauter de branche en branche, le renard était bien moins beau et ne parlons pas du lion !
Le sage roi des animaux, le lion, prit la décision de remédier à cette situation. Il réfléchit pendant longtemps à la façon dont il allait s'y prendre et à la fin, il fit appeler le renard pour lui demander conseil.
« Tous les animaux ne peuvent pas avoir la même queue », estima le renard.
« Je sais cela, moi aussi », répondit le lion. « Mais comment départager les animaux sans se montrer injuste ? »
Le renard réfléchit un instant, puis déclara :
« C'est simple. Ceux qui arriveront les premiers recevront les plus belles queues. »
Le lion acquiesça :
« C'est une excellente idée. Cours vite dans la forêt et préviens tous les animaux qu'ils doivent se présenter à midi, au bord du ruisseau, pour la distribution des queues. »
Le renard transmit le message et courut vite vers le ruisseau pour arriver le premier. Il fut suivi de près par le cheval, l'écureuil, le chat et le chien qui arrivent toujours les premiers quand on distribue quelque chose. Vinrent ensuite les autres animaux : l'éléphant, le cochon et le lièvre se présentèrent les derniers.
Lorsque tous les animaux furent réunis dans la clairière, le lion se mit à distribuer les queues. Il se servit d'abord lui-même : ce fut une superbe queue, longue et dorée, terminée par un plumeau. Ensuite, le lion attribua de très belles queues bien touffues au renard et à l'écureuil. Le cheval opta pour une magnifique queue en crin. Le chien et le chat reçurent encore des queues fort présentables, mais les animaux qui arrivèrent les derniers, se trouvèrent bien démunis. L'éléphant eut une maigre cordelette avec quelques soies au bout. Il en fut si navré qu'il en porte aujourd'hui encore la trompe basse. La queue du cochon était fine comme un ver de terre. Il la fit boucler pour la rendre plus jolie. Le pauvre lièvre resta sans queue. Le chien et le chat commencèrent à se disputer pour savoir lequel d'entre eux avait la plus belle queue. À la fin, le chien attrapa le chat et lui arracha d'un coup de dents l'extrémité de la queue. Le chat s'enfuit dans l'arbre et depuis ce jour, il préfère se sauver devant le chien. Le lièvre ramassa le bout de la queue du chat et le colla sur son derrière. Ceci explique pourquoi la queue des lièvres est si petite.


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Pourquoi y a-t-il tant d'idiots de par le monde ?

 

Autrefois, il y avait beaucoup moins d'idiots qu'aujourd'hui. Quand il s'en trouvait un quelque part, aussitôt on le chassait du village. Aujourd'hui, par contre, il faudrait chasser la moitié du village et encore, cela ne suffirait pas. Mais comment se fait-il qu'il y en ait tant ? Voici comment les choses se passèrent :
Un jour, trois idiots qu'on avait chassés pour leur bêtise se retrouvèrent à une croisée de chemins et se dirent :
« Peut-être arriverons-nous à quelque chose d'utile en réunissant l'intelligence de trois têtes stupides. »
Et ils poursuivirent leur chemin ensemble. Peu de temps après, ils arrivèrent devant une cabane d'où sortit un vieil homme.
« Où allez-vous ? » demanda celui-ci.
Les idiots haussèrent les épaules :
« Là où nous porteront nos jambes. On nous a chassés de chez nous pour notre bêtise. »
Le vieux répliqua :
« Alors, entrez. Je vais vous mettre à l'épreuve. »
Il avait trois filles tout aussi bêtes et se montrait donc compréhensif. Le lendemain, il demanda au premier idiot :
« Va à la pêche ! »
Et au deuxième :
« Va dans les fourrés et tresse des cordes ! »
Puis au troisième :
« Et toi, apporte-moi des noix de coco ! »
Les idiots prirent un carrelet, une hache et un bâton et se mirent en route.
Le premier s'arrêta au bord d'une mare et se mit à pêcher. Quand son carrelet fut plein, il eut tout d'un coup soif. Il rejeta tout le poisson dans l'eau et rentra boire à la maison.
Le vieux lui demanda :
« Où sont les poissons ? »
« Je les ai rejetés à l'eau. La soif m'a pris et j'ai dû vite rentrer pour me désaltérer. »
Le vieux se fâcha :
« Et tu ne pouvais pas boire à la mare ? »
« Tiens, je n'y ai pas pensé. »
Pendant ce temps, le second idiot avait tressé un tas de cordes et se préparait à rentrer. Il s'aperçut qu'il n'avait pas de corde pour les attacher. Alors, il courut en chercher à la maison.
Et le vieil homme se fâcha encore :
« Et pourquoi n'as-tu pas attaché ton tas avec l'une des cordes ? »
« Tiens, je n'y ai pas pensé. »
Le troisième idiot grimpa sur un cocotier et montra les noix de coco à son bâton :
« Tu vas jeter par terre ces noix, compris ? »
Il descendit et commença à lancer le bâton sur le cocotier, mais il ne fit tomber aucune noix. Lui aussi rentra à la maison bredouille et une fois de plus, le vieux se fâcha :
« Puisque tu étais sur le cocotier, pourquoi n'as-tu pas cueilli les noix à la main ? »
« Tiens, je n'y ai pas pensé. »
Le vieux comprit qu'il n'arriverait à rien avec les trois sots. Il leur donna ses trois filles pour femmes et les chassa tous.
Les idiots et leurs femmes construisirent une cabane et vécurent tant bien que mal. Ils eurent des enfants aussi bêtes qu'eux, les cabanes se multiplièrent et les idiots se répandirent dans le monde entier.


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La croix du sud.

 

Le jour où naquit le petit Kamalama, un orage terrible ravageait la forêt. Les éclairs zébraient le ciel, la foudre frappait, les arbres tombaient. On dit qu'un destin sinistre guette l'enfant né au cours d'une telle tornade, et qu'il mourra avant qu'une année ne s'écoule, avant la nouvelle saison des pluies. Voilà pourquoi le sorcier Nkotsi passa toute la nuit à faire de la magie : il voulait conjurer le mauvais sort qui planait sur le nouveau-né. On considérait Nkotsi comme un puissant sorcier, réputé pour son art dans toute la contrée. Malheureusement, comme il fut le premier à répandre ces bruits, le père de Kamalama ne lui faisait pas confiance. Aussi décida-t-il d'invoquer directement le Dieu du Feu en personne qui était l’arrière-grand-oncle de son oncle. Il lui adressa des prières ardentes pour qu'il sauve son fils.
Le Dieu du Feu lui dit :
« Je vais protéger ton enfant, mais je n'ai pas le pouvoir de contrarier le destin. Il ne mourra pas d'ici un an, avant la nouvelle saison des pluies et vivra heureux jusqu’à l'âge de quinze ans. C'est alors que Kamalama devra mourir. Après sa mort, il brillera comme une étoile dans le firmament. »
Et il en fut ainsi. Kamalama était le plus beau et le plus courageux des adolescents du village. Tous l'aimaient et sa vie s'écoulait, heureuse et insouciante. Gonflé d'orgueil, le sorcier Nkotsi racontait à qui voulait entendre que sa puissante magie avait eu raison des desseins des dieux.
Le Dieu du Feu fut très en colère contre Nkotsi. Plusieurs fois, il fut sur le point de le punir pour ses paroles sacrilèges mais le père de Kamalama parvint toujours à l'amadouer :
« Puissant dieu, ne punis pas le sorcier. Il a fait tout ce qu'il a pu pour préserver mon fils du mauvais sort. Il ne peut pas savoir que c’est ta volonté et non ses sortilèges qui ont décidé du destin de Kamalama. »
Quinze années passèrent. La réputation de la magie de Nkotsi parvint jusqu’au roi de ce pays. Il convoqua Nkotsi dans la capitale, auprès de lui. Celui-ci fut très heureux de l'honneur que le roi lui faisait. Il s'en alla donc dans la grande ville, accompagné de Kamalama. En se présentant devant le souverain, Nkotsi ne se prosterna pas dans la poussière comme le faisaient tous les autres, mais resta debout.
Le roi fut outré par tant d'audace :
« Pourquoi ne te prosternes-tu pas, sorcier ? »
« Je suis un trop puissant sorcier pour tomber dans la poussière devant toi, ô roi ! » répondit Nkotsi.
Le visage du roi s'assombrit :
« Et qu'as-tu accompli de si exceptionnel pour te considérer comme un grand magicien ? »
« Qu'ai-je accompli ? Ceci par exemple ! »
Nkotsi saisit la main de Kamalama :
« Ce garçon est né le jour où une terrible tornade ravageait la forêt. Tu n'ignores pas, roi, qu'il était de ce fait condamné à mourir un an après, avant l'arrivée de la nouvelle saison des pluies. Malgré cela, moi, le plus grand sorcier de ce pays, j'ai réussi à obtenir, grâce à un charme puissant, qu'il reste en vie et qu'il soit beau et en bonne santé. »
Le visage du roi restait sombre. Soudain, Kamalama qui n’avait pas encore le droit de prendre la parole devant les femmes, s'adressa à lui :
« Ne le crois pas, ô roi ! Ce n'est pas lui qui m'a sauvé la vie, mais le Dieu du Feu en personne, arrière-grand-oncle de mon oncle. C'est au contraire mon père qui a sauvé la vie du sorcier dont la suffisance et l'orgueil l'auraient tué depuis longtemps. »
Le roi entra dans une grande colère :
« Comment osez-vous parler ainsi devant votre souverain ? Votre audace vous coûtera la vie à tous les deux ! »
Kamalama lui répondit :
« Je sais que je vais mourir. Je dois mourir à quinze ans, et le sorcier Nkotsi mourra avec moi. Toi, orgueilleux roi, tu vas par contre vivre très longtemps, tourmenté par l'angoisse et la terreur ! »
Sur ce, Kamalama écarta ses bras et tomba en arrière comme terrassé par une lance. Le sorcier s'affaissa au même moment, les jambes coupées.
Tout le monde fut saisi de frayeur, le roi lui-même tremblait comme une feuille. Le soir, il fit allumer de grands feux funéraires. Avant que les guerriers ne se missent à danser autour des brasiers, de nouvelles étoiles apparurent dans le firmament. Les plus grandes formaient un jeune homme aux bras écartés, les plus petites un amas semblable à un cadavre recroquevillé.
Montrant les étoiles, le roi s'exclama :
« Kamalama Nkotsi ! »
Il s'enfuit, épouvanté. Depuis ce jour, la Croix du Sud est appelée dans cette contrée constellation Kamalama Nkotsi.


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Le Roi des Échos.

 

Un homme alla dans la forêt pour défricher un bout de terrain, brûler les broussailles et préparer un champ. À peine commença-t-il à essarter la terre qu'il entendit une voix dans les buissons :
« Qui est là ? »
« C'est moi », répondit l'homme.
« Que fais-tu ? »
« Je débroussaille. »
« Attends, je vais t’aider. Je suis le Roi des Échos, et je vais t'envoyer cent de mes sujets. »
Sitôt dit, sitôt fait. Le Roi envoya à l'homme cent échos qui débroussaillèrent le terrain en un tournemain. L'homme se félicita de cette aubaine :
« Avec une aide pareille, tout va pour le mieux ! »
Quelque temps après, les broussailles une fois sèches, l'homme se rendit dans la forêt pour les brûler et pour amender son champ avec les cendres. À peine eut-il le temps d'allumer le feu qu'une voix se fit entendre :
« Qui est là ? » « C'est moi », répondit l'homme.
« Que fais-tu ? »
« Je brûle les broussailles pour amender mon champ avec les cendres. »
« Attends, je vais t'aider ! »
C'était encore le Roi des Échos. Il envoya à l'homme trois cents échos qui se mirent aussitôt à l'oeuvre. En un tournemain, ils brûlèrent toutes les broussailles. Sa terre amendée, l'homme s'en félicita :
« Avec une aide pareille, tout va pour le mieux ! »
Les pluies commencèrent. L'homme saisit un pot rempli de millet et s'en alla au champ pour semer. À peine commença-t-il sa besogne que le Roi des Échos se fit entendre :
« Qui est là ? »
« C'est moi. »
« Que fais-tu ? »
« Je sème le millet. »
« Attends, je vais t'aider. »
Et le Roi lui envoya en aide neuf cents échos. Les semailles furent terminées en un tournemain.
« Avec une aide pareille, tout va pour le mieux ! » se félicita notre homme.
Lorsque le millet se mit à germer, l'homme se rendit au champ pour arracher les mauvaises herbes. Le Roi des Échos ne tarda pas à l'appeler :
« Qui est là ? »
« C'est moi. »
« Et que fais-tu ? »
« J'arrache les mauvaises herbes. »
« Attends, je vais t'aider. »
Mille échos accoururent et arrachèrent toutes les mauvaises herbes en un tournemain.
Une fois de plus, l'homme se félicita :
« Avec une aide pareille, tout va pour le mieux ! »
Lorsque le millet se mit à lever, l'homme alla au champ pour chasser les oiseaux qui venaient le manger. Dès son arrivée, le Roi des Échos cria :
« Qui est là ? »
« C'est moi. »
« Que fais-tu ? »
« Je chasse les oiseaux pour qu'ils ne mangent pas mon millet. »
« Attends, je vais t'aider ! »
Dix mille échos accoururent et chassèrent jusqu'au dernier oiseau. L'homme s'en alla en se félicitant :
« Avec une telle aide, tout va pour le mieux ! »
Des jours passèrent. L'homme arriva au champ. Il cueillit quelques épis et les goûta pour voir si son millet était mûr. Et le Roi des Échos appela :
« Qui est là ? »
« C'est moi. »
« Que fais-tu ? »
« Je cueille quelques épis et je goûte mon millet pour voir s'il est mûr. »
« Attends, je vais t'aider. »
Aussitôt, cent mille échos accoururent, cueillirent tous les épis et les mangèrent.
L'homme s'en alla tristement, sans se féliciter. Cette fois-ci, il se garda bien de dire :
« Avec une aide pareille, tout va pour le mieux ! »


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