Jacques Callot.
Pourquoi, maître hardi, ne
puis-je me rassasier de la vue de tes gravures fantastiques ?
Pourquoi tous tes personnages, souvent suggérés par un ou deux
traits audacieux, ne quittent-ils plus ma mémoire ? Lorsque je
contemple longuement tes inépuisables compositions, où entrent
les éléments les plus hétérogènes, je vois s'animer peu à
peu leurs mille et mille figures, et celles même que d'abord on
distinguait à peine, noyées à l'arrière-plan, s'animent et
semblent venir sur le devant, colorées des tons les plus
vigoureux et les plus naturels.
Aucun peintre n'a su, comme Callot, rassembler dans un petit
espace un nombre infini d'objets, qui, sans fatiguer la vue, se
côtoient et se mêlent mais toujours si distincts que chacun
d'eux, quoique indépendant de tout le reste, s'harmonise
merveilleusement avec l'ensemble. Je sais que des critiques
tatillons lui ont reproché une mauvaise ordonnance des masses et
une distribution maladroite de la lumière ; mais aussi son art
dépasse les règles de la peinture, ou plutôt ses dessins ne
sont que les reflets des apparitions fantastiques qu'évoquait la
magie de son imagination. Même dans les scènes qu'il a
empruntées à la vie quotidienne, dans ses cortèges, dans ses
batailles, etc., un caractère vivant et très original donne à
ses groupes, à ses personnages, je ne sais quoi de familier et
de bizarre à la fois. Les sujets les plus triviaux - comme sa
« danse de paysans » où les musiciens sont perchés sur les
arbres comme des oiseaux - se parent chez lui d'une certaine
originalité romantique, de sorte qu'une sensibilité encline aux
rêveries fantastiques est séduite à la première vue.
L'ironie, qui confronte l'homme et la bête pour tourner en
dérision les pitoyables comportements humains, est le signe d'un
esprit profond ; et ces figures grotesques de Callot, à moitié
humaines, à moitié bestiales, dévoilent au regard perspicace
d'un observateur sérieux toutes les allusions secrètes qui se
cachent sous le masque de la bouffonnerie. Quelle merveille, à
ce point de vue, que le diable de La
Tentation de saint Antoine, dont le nez,
transformé en arquebuse, est braqué contre le saint ermite !
Sur la même planche, le joyeux diable artificier et l'autre qui
joue de la clarinette, en se servant d'un organe inattendu pour
souffler dans son instrument, ne sont pas moins divertissants.
Disons à la louange de Callot qu'il eut la même audace dans sa
vie que dans le trait sûr de son dessin. On raconte que, le
cardinal de Richelieu lui ayant demandé de graver la prise de
Nancy, sa ville natale, il déclara tout net qu'il aimerait mieux
se couper le pouce que d'employer son talent à immortaliser
l'humiliation de son prince et de sa patrie.
Le poète, l'écrivain dont l'imagination transporte les images
de la vie courante dans le monde romantique de ses visions, et
qui les reproduit ensuite dans tout l'éclat qui en rejaillit sur
elles, comme sous une admirable parure d'emprunt, n'est-il pas en
droit de se réclamer de ce grand artiste et de dire qu'il a
voulu travailler « à la manière de Callot » ?