POÈMES DE MARCEL BONHIVERS -Liège-

 


DOUCE FLEUR

Douce fleur
Jeune au bonheur
Pose ton cœur
Sur mon cœur

Ecoute-le…
Ecoute… !
Ecoute cette souffrance,
Ce besoin d'espérance.

Amour, amour…
Bonheur, bonheur…

Mais, vierge encore au malheur
Tu ne peux pas comprendre
Ces cris désespérés.
C'est mieux ainsi.

Goûte la joie
Sans moi.
Va maintenant.
Laisse-moi

Seul.


Sélectionné par par « Le crayon mordu », Editions

Répondre
à l'inéluctable appel
des sirènes tentatrices
suivre
les reines des abysses
et sombrer lentement
vers des profondeurs inconnues
calmes. si calmes.


Si le tourbillon
de mes pensées
pouvait soudain s'arrêter
je flotterais
dans l'espace infini
délivré
sublimé
et
je reverrais ton visage


ÉLU

Et l'or des forsythias
Sur ta bouche vermeille
Semblait être un éclat,
Une part de soleil !

J'ai mendié tes yeux
Où brillait la lumière
Du plus doux des aveux
Qu'un fol amant espère.

.Et tu m'as regardé !

Et l'ombre du feuillage,
Par le vent caressé,
Jouait sur ton corps sage
Que je voulais aimer.

J'ai demandé ton corps,
Temple de mon désir,
Adorable trésor
Prêt à s'épanouir !

.Et tu me l'as donné !

Car tu m'avais choisi,
Inoubliable instant
Dont je fus ébloui,
Pour être ton amant !


DEVENIR

Ils allaient, innocents
-Il n'avait que seize ans
Ainsi que sa compagne-
Dans la verte campagne.

Les blés ondulaient, blonds
Et le vol de hérons
Soulignait le ciel bleu.

Les gentils amoureux
Enlacés, avançaient
-Cupidon les guidait-
Vers des lieux si charmants
Que, soudain, les enfants
Se sentirent troublés
Et que leurs doigts noués
Un instant se serrèrent.
Leurs doux yeux se cherchèrent.

Lorsque s'en fut le jour,
Le chemin du retour
Accueillait deux amants
Graves, heureux et portant
Au plus profond du cour,
Le bonheur.


COMPLICITE

Merci le vent
D'avoir caressé ses cheveux
Me dévoilant de si beaux yeux !

Merci le vent
D'avoir soulevé son jupon
Me révélant son genou rond !

Merci le vent
De lui avoir donné si froid
Qu'elle s'est blottie contre moi !

Merci le vent
De m'avoir aidé, à seize ans,
A devenir son doux amant !


MA PETITE MAISON

Ma petite maison,
Cachée là, dans les taillis,
N'a pas encore très bien compris
Son abandon.

Et, triste, elle a penché,
Aidée par le vent méchant,
Son petit toit et son auvent,
Sa cheminée.

Vermoulus, ses volets
Brisés sont sortis de leurs gonds
Et doucement posent leur front
Sur les murets.

Ma petite maison
A vu tomber ses fenêtres
Par lesquelles on voyait paître
Les blancs moutons.

Tracés sur les côtés,
Ses beaux jardins, ses pelouses
Où l'ortie repousse
Sont délaissés.

Sa vieille fontaine
Où flottait le tendre cresson
Ne chante plus sous le buisson
De marjolaine.

Ses tuiles sont tombées,
Fatiguées des coups du vent
En laissant voir les trous béants
Du toit percé.

Mon vieux lit de chêne
Désarticulé par le temps
N'accueille plus les amants,
La châtelaine.

Ma petite maison
N'a pas encore très bien compris
Que lorsque mon amour a fui
J'ai perdu la raison.


PRINTEMPS

Le soleil scintillait
A travers les grêlons.
Joyeux, il souriait
Aux mésanges, aux pinsons.

Les poiriers fleurissaient
Déjà timidement ;
Pourtant, ils frissonnaient
Sous un frais petit vent.

Puis, la grêle a cessé
Et le merle frondeur
A plongé vers le pré
Cherchant quelque douceur.

Les crocus jaunes et blancs
Secouaient des pétales
En sonnaillant gaiement,
Des perles de cristal.

Etait-ce enfin le temps
Des joies de mille sortes ?
Oui ! C'était le printemps
Paraissant à ma porte !


AMOUR D'ÉTÉ

Viens t'en chasser la libellule
Au long des prés marécageux.
Allons cueillir la campanule
Au bord des bois mystérieux.
Viens ! Jouissons de l'été,
Des grandes herbes qui frissonnent.
Allons ensemble contempler
Les rudes hommes qui moissonnent,
Les chars dorés, pleins à ridelles
De grandes gerbes de beau blé mûr
Avançant sous l'immense ciel.
Et, si le soleil est trop dur,
Nous chercherons un coin ombreux,
Un coin secret, calme et charmant
Où nous nous aimerons un peu
Et tout sera plus beau qu'avant.


LE FOU
Sélectionné par RTL Editions, « Les poèmes à tout le monde », 1984

Chacun le disait fou. Il semblait anormal.
Il s'écartait des gens et craignait l'animal.
On le montrait du doigt, on cachait les enfants.
On ne le savait pas, il les aimait pourtant.

On juge sur la mine ou sur la façon d'être ;
On ignore souvent la tristesse des êtres.
Cet homme, jeune encore, dont les traits ravagés
Témoignaient d'une vie marquée par le passé,
Revenait d'un pays où règne encore la guerre
Et qui, pour mieux tuer, cherchait des mercenaires.
Il s'était engagé, croyant en l'aventure,
Mais ce qu'il avait vu était beaucoup trop dur :
Il avait vu la faim, la vraie, celle qui tue,
Là où les armes à feu remplacent la charrue.

Il a connu l'horreur des enfants affamés
Hurlant après leur mère, tous nus dans le fossé.
Poursuivi dans la nuit, pourchassé dans ses rêves,
Il a su, qu'assassin, il n'aurait plus de trêve.
Son regard a changé, son esprit a sombré ;
Il en est revenu sans jamais oublier.

Chacun le disait fou ; on cachait les enfants.
On ne le savait pas mais il les aimait tant.


LEÇON DE CHAMPS

Lorsque j'étais petit, que j'étais un enfant,
Imitant les oiseaux, je sifflais tout le temps.

Je parcourais les bois, appelant les mésanges,
De leur doux gazouillis, copiant les échanges.

Les merles s'échappaient effrayés des taillis :
De leur « sauve-qui-peut » j'avais poussé le cri !

Et le timbre argenté du beau chardonneret
Depuis longtemps, pour moi, n'avait plus de secret.

Je faisais des duos, assis au pied des aulnes,
Répondant sans repos au tarin vert et jaune.

Camouflés dans leur nid installé près du sol,
Les petits du bruant, sachant leur mère en vol,

Piaillaient, affamés, entendant son tic-tic
Que j'avais imité de façon diabolique ;

Et en joignant les mains, soufflant à petits coups,
Je trompais aisément l'infidèle coucou ;

J'avais appris le chant orchestré du pinson
Et chantais, comme lui, caché dans le buisson.

Ayant laissé aux champs, le gai moineau friquet,
Revenu dans la ville où vit le martinet,

Je sifflais d'autres airs que j'avais entendus.
On me reconnaissait quand passant dans les rues,

J'allais jusqu'à l'école avec dans le cerveau
Les plus belles leçons apprises des oiseaux..


CRÉPUSCULE.

Fatigué,
Le soleil s'est posé doucement
Sur l'horizon.

Entouré
De nuages rosés,
Il éteint lentement ses rayons.

Le vent
Soudainement calmé
Ne fait plus frissonner les champs blonds

Tremblant,
L'oisillon s'est caché
Bien au creux de son nid, dans un tronc.

Les cieux
Semblent s'être embrasés
Et, là-bas, dans le fond du vallon,
Nos deux cours enlacés, nous rêvons.


ROSES DU MATIN.

Amour, pour toi, j'avais cueilli
La rose tendre du matin.
Et sur ton sein, tu avais mis
Les doux pétales de satin.

Ton cour aimant tremblait d'émoi
Et je lisais dans tes beaux yeux :
« Je me suis gardée pour toi,
Mon tendre aimé, mon roi, mon dieu ».

Si j'avais su que peu d'aurores
Auraient éclairé notre amour,
Je t'aurais cueilli plus encore
Des roses rouges au point du jour.


L'ÉTOILE.

J'ai vu l'étoile bleue briller au firmament.
J'ai rêvé de ses yeux, j'ai revu ta maman.
J'ai rêvé d'autrefois, pensé à mon aimée ;
J'ai pleuré doucement sur mes amours passées.

Il faut qu'on te le dise, il faut que tu le saches,
Combien elle était belle, courageuse à la tâche ;
Ne vivant que pour nous, rayonnant la douceur.
Je ne croyais pas perdre un aussi grand bonheur !

La vie sur terre est dure, il faut te méfier ;
Te tenir sur tes gardes, en la félicité
Car le malheur attend et lorsque l'on n'y croit,
Il frappe durement, te fait porter la croix.

Lève parfois les yeux et regarde le ciel
Et si tu vois l'étoile : recueille-toi ! C'est Elle.


ENCHANTEMENT.

As-tu senti frémir
Le souffle du « je t'aime »
Que je n'ose te dire
Autrement qu'en poèmes,
Lorsque mes doigts tremblants,
Irrévérencieux,
Ont passé lentement
Contre tes doux cheveux ?

Oh ! Déjà mille fois
Je l'avais esquissé
Ce geste et mille fois
Ne l'ai point achevé.

Je me souviens alors
D'un songe d'autrefois
Où la fée aux yeux d'or
Qui s'avançait vers moi
Disparaissait soudain
Par un enchantement
Quand je tendais la main
Vers son corps, tendrement.

Lors, je suis effrayé
A l'idée de ternir
Cette belle amitié
Qui semble nous unir.

Mais mon amour est pur
Et je t'aime vraiment ;
Mon coeur n'est que brûlure ;
Je redeviens enfant.

Tu es fée des bois
Apparaissant alors
Et tout comme autrefois
Je tends la main, encore.


MAIS DANS MON COEUR TU RESTERAS.

O limpide ruisseau si fidèle à ton cours,
Je viens te contempler pour la dernière fois.
Je ne reviendrai plus ainsi que tant de fois
Admirer tes eaux pures lorsque tombe le jour.

J'habite en un pays merveilleux cependant
Où coule une rivière aux aspects de torrent.
Mais au hasard des routes, je t'ai rencontré
Et, sans plus réfléchir, je me suis attaché
A ton léger murmure et à tes eaux sans rides
A tes bords accueillants, à ton cadre candide.

Lorsque j'ai contemplé tes méandres exquis,
Longtemps je suis resté, oubliant mon pays.
Hélas arrive un temps où la raison domine
Et je dois retourner, bien que mon cour s'obstine,
Vers ce pays connu où j'ai tout découvert
Mais d'où je rêverai à cet endroit si cher.

Je viens te contempler pour la dernière fois !
D'autres coeurs t'aimeront bien plus jeunes que moi !


SOUHAIT.

Ah ! Retrouver cet âge
Innocent, sans soucis
Et grimper aux feuillages
Pour y trouver des nids ;
Courir à travers champs
Sans nulle retenue,
Reconnaître le chant
De l'oiseau dans la nue ;
Faire mille grimaces
Au gros chien du voisin
Etant bien sûr qu'en place,
Une chaîne le tient ;
Avoir encor' huit ans
Soit dit en d'autres mots.
Etre heureux d'être enfant
Comme toi, mon Pierrot !


LE SABLIER DU TEMPS.

Dans sa vieille maison, penchée vers l'âtre,
Paraissant endormie, les yeux mi-clos,
Inclinant sa coiffure blanchâtre,
Regardant des anciennes photos,
L'aïeule revit le passé.
Elle songe au beau gars
Lui donnant un baiser
Et disant tout bas :
Viens ! pour toujours
Aimons-nous
D'amour
Fou.
*
Tout
Est loin.
Malgré tout,
Des jours éteints
Elle veut rêver.
C'est si doux dans son coeur
De penser à l'être aimé
Qui lui donna tant de bonheur.
Et, penchant sur la flamme rouge
Des tisons qui s'éteignent lentement,
Ses yeux fatigués où deux larmes bougent,
La vieille soupire et s'endort doucement.


MANEGE

Manège merveilleux !
comme tu les rends heureux
ces petits
assis
dans tes autos,
sur tes vélos
rutilants :
pédalant
vers le rêve
dans la fièvre !

Petits minois levés
aux yeux emerveillés,
saoulés par les néons
et cherchant le ballon :
récompense
qui danse, les frôle.

Manège, c'est drôle !
tous les enfants sont beaux
perchés sur tes chevaux
or et blancs
éclatants.
Ils se croient à la fois :
Robin des Bois,
Buffalo, les peaux-rouges.
Et ça tourne ! Et ça bouge !

Ô manège enchanteur
moulinant du bonheur,
ne diparais jamais !
Car tu sais :
nous les grands
aussi t'aimons tant !