LE VIEUX SULTAN
Un paysan
possédait un chien fidèle, nommé Sultan. Or le pauvre
Sultan était devenu si vieux qu'il avait perdu toutes ses
dents, si bien qu'il lui était désormais impossible de
mordre. Il arriva qu'un jour, comme ils étaient assis devant
leur porte, le paysan dit à sa femme :
- Demain un coup de fusil me débarrassera de Sultan, car la
pauvre bête n'est plus capable de me rendre le plus petit
service.
La paysanne eut pitié du malheureux animal :
- Il me semble qu'après nous avoir été utile pendant tant
d'années et s'être conduit toujours en bon chien fidèle,
il a bien mérité pour ses vieux jours de trouver chez nous
le pain des invalides.
- Je ne te comprends pas, répliqua le paysan, et tu calcules
bien mal : ne sais-tu donc pas qu'il n'a plus de dents dans
la gueule, et que, par conséquent, il a cessé d'être pour
les voleurs un objet de crainte ? Il est donc temps de nous
en défaire. Il me semble que s'il nous a rendu de bons
services, il a, en revanche, été toujours bien nourri.
Partant quitte.
Le pauvre animal, qui se chauffait au soleil à peu de
distance de là, entendit cette conversation qui le touchait
de si près, et je vous laisse à penser s'il en fut
effrayé. Le lendemain devait donc être son dernier jour !
Il avait un ami dévoué, sa seigneurie le loup, auquel il
s'empressa d'aller, dès la nuit suivante, raconter le triste
sort dont il était menacé.
- Écoute, compère, lui dit le loup, ne te désespère pas
ainsi ; je te promets de te tirer d'embarras. Il me vient une
excellente idée. Demain matin à la première heure, ton
maître et sa femme iront retourner leur foin ; comme ils
n'ont personne au logis, ils emmèneront avec eux leur petit
garçon. J'ai remarqué que chaque fois qu'ils vont au champ,
ils déposent l'enfant à l'ombre derrière une haie. Voici
ce que tu auras à faire. Tu te coucheras dans l'herbe
auprès du petit, comme pour veiller sur lui. Quand ils
seront occupés à leur foin, je sortirai du bois et je
viendrai à pas de loup dérober l'enfant ; alors tu
t'élanceras de toute ta vitesse à ma poursuite, comme pour
m'arracher ma proie ; et, avant que tu aies trop longtemps
couru pour un chien de ton âge, je lâcherai mon butin, que
tu rapporteras aux parents effrayés. Ils verront en toi le
sauveur de leur enfant, et la reconnaissance leur défendra
de te maltraiter ; à partir de ce moment, au contraire, tu
entreras en faveur, et désormais tu ne manqueras plus de
rien.
L'invention plut au chien, et tout se passa suivant ce qui
avait été convenu. Qu'on juge des cris d'effroi que poussa
le pauvre père quand il vit le loup s'enfuir avec son petit
garçon dans la gueule ! qu'on juge aussi de sa joie quand le
fidèle Sultan lui rapporta son fils ! il caressa son dos
pelé, il baisa son front galeux, et dans l'effusion de sa
reconnaissance, il s'écria :
- Malheur à qui s'aviserait jamais d'arracher le plus petit
poil à mon bon Sultan ! J'entends que, tant qu'il vivra, il
trouve chez moi le pain des invalides, qu'il a si bravement
gagné !
Puis, s'adressant à sa femme :
- Grétel, dit-il, cours bien vite à la maison, et prépare
à ce fidèle animal une excellente pâtée ; puisqu'il n'a
plus de dents, il faut lui épargner les croûtes ; aie soin
d'ôter du lit mon oreiller ; j'entends qu'à l'avenir mon
bon Sultan n'aie plus d'autre couchette.
Avec un tel régime, comment s'étonner que Sultan soit
devenu le doyen des chiens. La morale de ce conte est que
même un loup peut parfois donner un conseil utile. Je
n'engage pourtant pas tous les chiens à aller demander au
loup un conseil, surtout s'ils n'ont plus de dents.
Cela se passait en plein
hiver et les flocons de neige tombaient du ciel comme un
duvet léger. Une reine était assise à sa fenêtre
encadrée de bois d'ébène et cousait. Tout en tirant
l'aiguille, elle regardait voler les blancs flocons. Elle se
piqua au doigt et trois gouttes de sang tombèrent sur la
neige. Ce rouge sur ce blanc faisait si bel effet qu'elle se
dit : Si seulement j'avais un enfant aussi blanc que la
neige, aussi rose que le sang, aussi noir que le bois de ma
fenêtre ! Peu de temps après, une fille lui naquit ; elle
était blanche comme neige, rose comme sang et ses cheveux
étaient noirs comme de l'ébène. On l'appela Blanche-Neige.
Mais la reine mourut en lui donnant le jour.
Au bout d'une année, le roi épousa une autre femme. Elle
était très belle ; mais elle était fière et vaniteuse et
ne pouvait souffrir que quelqu'un la surpassât en beauté.
Elle possédait un miroir magique. Quand elle s'y regardait
en disant :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Le miroir répondait :
Madame la reine, vous êtes la plus belle au pays.
Et elle était contente. Elle savait que le miroir disait la vérité. Blanche-Neige, cependant, grandissait et devenait de plus en plus belle. Quand elle eut atteint ses dix-sept ans elle était déjà plus jolie que le jour et plus belle que la reine elle-même. Un jour que celle-ci demandait au miroir :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Celui-ci répondit :
Madame la reine, vous
êtes la plus belle ici
Mais Blanche-Neige est encore mille fois plus belle.
La reine en fut
épouvantée. Elle devint jaune et verte de jalousie. À
partir de là, chaque fois qu'elle apercevait Blanche-Neige,
son coeur se retournait dans sa poitrine tant elle éprouvait
de haine à son égard. La jalousie et l'orgueil croissaient
en elle comme mauvaise herbe. Elle en avait perdu le repos,
le jour et la nuit. Elle fit venir un chasseur et lui dit :
- Emmène l'enfant dans la forêt ! je ne veux plus la voir.
Tue-la et rapporte-moi pour preuve de sa mort ses poumons et
son foie.
Le chasseur obéit et conduisit Blanche-Neige dans le bois.
Mais quand il eut dégainé son poignard pour en percer son
coeur innocent, elle se mit à pleurer et dit :
- 0, cher chasseur, laisse-moi la vie ! je m'enfoncerai au
plus profond de la forêt et ne rentrerai jamais à la
maison.
Et parce qu'elle était belle, le chasseur eut pitié d'elle
et dit :
- Sauve-toi, pauvre enfant !
Les bêtes de la forêt auront tôt fait de te dévorer !
songeait-il. Et malgré tout, il se sentait soulagé de ne
pas avoir dû la tuer. Un marcassin passait justement. Il le
tua de son poignard, prit ses poumons et son foie et les
apporta à la reine comme preuves de la mort de
Blanche-Neige. Le cuisinier reçut ordre de les apprêter et
la méchante femme les mangea, s'imaginant qu'ils avaient
appartenu à Blanche-Neige.
La pauvre petite, elle, était au milieu des bois, toute
seule. Sa peur était si grande qu'elle regardait toutes les
feuilles de la forêt sans savoir ce qu'elle allait devenir.
Elle se mit à courir sur les cailloux pointus et à travers
les épines. Les bêtes sauvages bondissaient autour d'elle,
mais ne lui faisaient aucun mal. Elle courut jusqu'au soir,
aussi longtemps que ses jambes purent la porter. Elle
aperçut alors une petite maisonnette et y pénétra pour s'y
reposer. Dans la maisonnette, tout était minuscule, gracieux
et propre. On y voyait une petite table couverte d'une nappe
blanche, avec sept petites assiettes et sept petites
cuillères, sept petites fourchettes et sept petits couteaux,
et aussi sept petits gobelets. Contre le mur, il y avait sept
petits lits alignés les uns à côté des autres et
recouverts de draps tout blancs. Blanche-Neige avait si faim
et si soif qu'elle prit dans chaque assiette un peu de
légumes et de pain et but une goutte de vin dans chaque
gobelet : car elle ne voulait pas manger la portion tout
entière de l'un des convives. Fatiguée, elle voulut ensuite
se coucher. Mais aucun des lis ne lui convenait ; l'un était
trop long, l'autre trop court. Elle les essaya tous. Le
septième, enfin, fut à sa taille. Elle s'y allongea, se
confia à Dieu et s'endormit.
Quand la nuit fut complètement tombée, les propriétaires
de la maisonnette arrivèrent. C'était sept nains qui, dans
la montagne, travaillaient à la mine. Ils allumèrent leurs
sept petites lampes et quand la lumière illumina la pièce,
ils virent que quelqu'un y était venu, car tout n'était
plus tel qu'ils l'avaient laissé.
- Le premier dit : Qui s'est assis sur ma petite chaise ?
- Le deuxième : Qui a mangé dans ma petite assiette ?
- Le troisième : Qui a pris de mon pain ?
- Le quatrième : Qui a mangé de mes légumes ?
- Le cinquième : Qui s'est servi de ma fourchette ?
- Le sixième : Qui a coupé avec mon couteau ?
- Le septième : Qui a bu dans mon gobelet ?
Le premier, en se retournant, vit que son lit avait été
dérangé.
- Qui a touché à mon lit ? dit-il.
Les autres s'approchèrent en courant et chacun s'écria :
- Dans le mien aussi quelqu'un s'est couché !
Mais le septième, quand il regarda son lit, y vit
Blanche-Neige endormie. Il appela les autres, qui vinrent
bien vite et poussèrent des cris étonnés. Ils prirent
leurs sept petites lampes et éclairèrent le visage de
Blanche-Neige.
- Seigneur Dieu ! Seigneur Dieu ! s'écrièrent-ils ; que
cette enfant est jolie !
Ils en eurent tant de joie qu'ils ne l'éveillèrent pas et
la laissèrent dormir dans le petit lit. Le septième des
nains coucha avec ses compagnons, une heure avec chacun, et
la nuit passa ainsi.
Au matin, Blanche-Neige s'éveilla. Quand elle vit les sept
nains, elle s'effraya. Mais ils la regardaient avec amitié
et posaient déjà des questions :
- Comment t'appelles-tu ?
- Je m'appelle Blanche-Neige, répondit-elle.
- Comment es-tu venue jusqu'à nous ?
Elle leur raconta que sa belle-mère avait voulu la faire
tuer, mais que le chasseur lui avait laissé la vie sauve et
qu'elle avait ensuite couru tout le jour jusqu'à ce qu'elle
trouvât cette petite maison. Les nains lui dirent :
- Si tu veux t'occuper de notre ménage, faire à manger,
faire les lits, laver, coudre et tricoter, si tu tiens tout
en ordre et en propreté, tu pourras rester avec nous et tu
ne manqueras de rien.
- D'accord, d'accord de tout mon coeur, dit Blanche-Neige.
Et elle resta auprès d'eux. Elle s'occupa de la maison. le
matin, les nains partaient pour la montagne où ils
arrachaient le fer et l'or ; le soir, ils s'en revenaient et
il fallait que leur repas fût prêt. Toute la journéè, la
jeune fille restait seule ; les bons petits nains l'avaient
mise en garde :
- Méfie-toi de ta belle-mère ! Elle saura bientôt que tu
es ici ; ne laisse entrer personne !
La reine, cependant, après avoir mangé les poumons et le
foie de Blanche-Neige, s'imaginait qu'elle était redevenue
la plus belle de toutes. Elle se mit devant son miroir et
demanda :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Le miroir répondit :
Madame la reine, vous
êtes la plus belle ici,
Mais, par-delà les monts d'airain,
Auprès des gentils petits nains,
Blanche-Neige est mille fois plus belle.
La reine en fut bouleversée
; elle savait que le miroir ne pouvait mentir. Elle comprit
que le chasseur l'avait trompée et que Blanche-Neige était
toujours en vie. Elle se creusa la tête pour trouver un
nouveau moyen de la tuer car aussi longtemps qu'elle ne
serait pas la plus belle au pays, elle savait que la jalousie
ne lui laisserait aucun repos. Ayant finalement découvert un
stratagème, elle se farda le visage et s'habilla comme une
vieille marchande ambulante. Elle était méconnaissable.
Ainsi déguisée, elle franchit les sept montagnes derrière
lesquelles vivaient les sept nains. Elle frappa à la porte
et dit :
- J'ai du beau, du bon à vendre, à vendre !
Blanche-Neige regarda par la fenêtre et dit :
- Bonjour, cher Madame, qu'avez-vous à vendre ?
- De la belle, de la bonne marchandise, répondit-elle, des
corselets de toutes les couleurs.
Elle lui en montra un tressé de soie multicolore.
« Je peux bien laisser entrer cette honnête femme ! » se
dit Blanche-Neige. Elle déverrouilla la porte et acheta le
joli corselet.
- Enfant ! dit la vieille. Comme tu t'y prends ! Viens, je
vais te l'ajuster comme il faut !
Blanche-Neige était sans méfiance. Elle se laissa passer le
nouveau corselet. Mais la vieille serra rapidement et si fort
que la jeune fille perdit le souffle et tomba comme morte.
- Et maintenant, tu as fini d'être la plus belle, dit la
vieille en s'enfuyant.
Le soir, peu de temps après, les sept nains rentrèrent à
la maison. Quel effroi fut le leur lorsqu'ils virent leur
chère Blanche-Neige étendue sur le sol, immobile et comme
sans vie ! Ils la soulevèrent et virent que son corselet la
serrait trop. Ils en coupèrent vite le cordonnet. La jeune
fille commença à respirer doucement et, peu à peu, elle
revint à elle. Quand les nains apprirent ce qui s'était
passé, ils dirent :
- La vieille marchande n'était autre que cette mécréante
de reine. Garde-toi et ne laisse entrer personne quand nous
ne serons pas là !
La méchante femme, elle, dès son retour au château,
s'était placée devant son miroir et avait demandé :
Miroir, Miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Une nouvelle fois, le miroir avait répondu :
Madame la reine, vous
êtes la plus belle ici.
Mais, par-delà les monts d'airain,
Auprès des gentils petits nains,
Blanche-Neige est mille fois plus belle.
Quand la reine entendit ces
mots, elle en fut si bouleversée qu'elle sentit son coeur
étouffer. Elle comprit que Blanche-Neige avait recouvré la
vie.
- Eh bien ! dit-elle, je vais trouver quelque moyen qui te
fera disparaître à tout jamais !
Par un tour de sorcellerie qu'elle connaissait, elle
empoisonna un peigne. Elle se déguisa à nouveau et prit
l'aspect d'une autre vieille femme.
Elle franchit ainsi les sept montagnes en direction de la
maison des sept nains, frappa à la porte et cria :
- Bonne marchandise à vendre !
Blanche-Neige regarda par la fenêtre et dit :
- Passez votre chemin ! je n'ai le droit d'ouvrir à
quiconque.
- Mais tu peux bien regarder, dit la vieille en lui montrant
le peigne empoisonné. Je vais te peigner joliment.
La pauvre Blanche-Neige ne se douta de rien et laissa faire
la vieille ; à peine le peigne eut-il touché ses cheveux
que le poison agit et que la jeune fille tomba sans
connaissance.
- Et voilà ! dit la méchante femme, c'en est fait de toi,
prodige de beauté !
Et elle s'en alla. Par bonheur, le soir arriva vite et les
sept nains rentrèrent à la maison. Quand ils virent
Blanche-Neige étendue comme morte sur le sol, ils songèrent
aussitôt à la marâtre, cherchèrent et trouvèrent le
peigne empoisonné. Dès qu'ils l'eurent retiré de ses
cheveux, Blanche-Neige revint à elle et elle leur raconta ce
qui s'était passé. Ils lui demandèrent une fois de plus
d'être sur ses gardes et de n'ouvrir à personne.
Rentrée chez elle, la reine s'était placée devant son miroir
et avait demandé :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au Pays ?
Comme la fois précédente, le miroir répondit :
Madame la reine, vous
êtes la plus belle ici.
Mais, par-delà les monts d'airain,
Auprès des gentils petits nains,
Blanche-Neige est mille fois plus belle.
Quand la reine entendit
cela, elle se mit à trembler de colère.
- Il faut que Blanche-Neige meure ! s'écria-t-elle,
dussé-je en périr moi-même !
Elle se rendit dans une chambre sombre et isolée où
personne n'allait jamais et y prépara une pomme
empoisonnée. Extérieurement, elle semblait belle, blanche
et rouge, si bien qu'elle faisait envie à quiconque la
voyait ; mais il suffisait d'en manger un tout petit morceau
pour mourir.
Quand tout fut prêt, la reine se farda le visage et se
déguisa en paysanne. Ainsi transformée, elle franchit les
sept montagnes pour aller chez les sept nains. Elle frappa à
la porte. Blanche-Neige se pencha à la fenêtre et dit :
- Je n'ai le droit de laisser entrer quiconque ici ; les sept
nains me l'ont interdit.
- D'accord ! répondit la paysanne. J'arriverai bien à
vendre mes pommes ailleurs ; mais je vais t'en offrir une.
- Non, dit Blanche-Neige, je n'ai pas le droit d'accepter
quoi que ce soit.
- Aurais-tu peur d'être empoisonnée ? demanda la vieille.
Regarde : je partage la pomme en deux ; tu mangeras la
moitié qui est rouge, moi, celle qui est blanche.
La pomme avait été traitée avec tant d'art que seule la
moitié était empoisonnée. Blanche-Neige regarda le fruit
avec envie et quand elle vit que la paysanne en mangeait,
elle ne put résister plus longtemps. Elle tendit la main et
prit la partie empoisonnée de la pomme. À peine y eut-elle
mis les dents qu'elle tomba morte sur le sol. La reine la
regarda de ses yeux méchants, ricana et dit :
- Blanche comme neige, rose comme sang, noir comme ébène !
Cette fois-ci, les nains ne pourront plus te réveiller !
Et quand elle fut de retour chez elle, et demanda au miroir :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Celui-ci répondit enfin :
Madame la reine, vous êtes la plus belle au pays.
Et son coeur jaloux trouva
le repos, pour autant qu'un coeur jaloux puisse le trouver.
Quand, au soir, les petits nains arrivèrent chez eux, ils
trouvèrent Blanche-Neige étendue sur le sol, sans souffle.
Ils la soulevèrent, cherchèrent s'il y avait quelque chose
d'empoisonné, défirent son corselet, coiffèrent ses
cheveux, la lavèrent avec de l'eau et du vin. Mais rien n'y
fit : la chère enfant était morte et morte elle restait.
Ils la placèrent sur une civière, s'assirent tous les sept
autour d'elle et pleurèrent trois jours durant. Puis ils se
préparèrent à l'enterrer. Mais elle était restée
fraîche comme un être vivant et ses jolies joues étaient
roses comme auparavant.
Ils dirent :
- Nous ne pouvons la mettre dans la terre noire.
Ils fabriquèrent un cercueil de verre transparent où on
pourrait la voir de tous les côtés, l'y installèrent et
écrivirent dessus son nom en lettres d'or, en ajoutant
qu'elle était fille de roi. Ils portèrent le cercueil en
haut de la montagne et l'un d'eux, sans cesse, monta la garde
auprès de lui.
Longtemps Blanche-Neige resta ainsi dans son cercueil
toujours aussi jolie. Il arriva qu'un jour un prince qui
chevauchait par la forêt s'arrêta à la maison des nains
pour y passer la nuit. Il vit le cercueil au sommet de la
montagne, et la jolie Blanche-Neige. Il dit aux nains :
- Laissez-moi le cercueil ; je vous en donnerai ce que vous
voudrez.
Mais les nains répondirent :
- Nous ne vous le donnerons pas pour tout l'or du monde.
Il dit :
- Alors donnez-le-moi pour rien ; car je ne pourrai plus
vivre sans voir Blanche-Neige ; je veux lui rendre honneur et
respect comme à ma bien-aimée.
Quand ils entendirent ces mots, les bons petits nains furent
saisis de compassion et ils lui donnèrent le cercueil. Le
prince le fit emporter sur les épaules de ses serviteurs.
Comme ils allaient ainsi, l'un d'eux buta sur une souche. La
secousse fit glisser hors de la gorge de Blanche-Neige le
morceau de pomme empoisonnée qu'elle avait mangé. Bientôt
après, elle ouvrit les yeux, souleva le couvercle du
cercueil et se leva. Elle était de nouveau vivante !
- Seigneur, où suis-je ? demanda-t-elle.
- Auprès de moi, répondit le prince, plein d'allégresse.
Il lui raconta ce qui s'était passé, ajoutant :
- Je t'aime plus que tout au monde ; viens avec moi, tu
deviendras ma femme.
Blanche-Neige accepta. Elle l'accompagna et leurs noces
furent célébrées avec magnificence et splendeur.
La méchante reine, belle-mère de Blanche-Neige, avait
également été invitée au mariage. Après avoir revêtu
ses plus beaux atours, elle prit place devant le miroir et
demanda :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Le miroir répondit :
Madame la reine, vous
êtes la plus belle ici,
Mais la jeune souveraine est mille fois plus belle.
La méchante femme proféra un affreux juron et elle eut si peur, si peur qu'elle en perdit la tête.
Il était une fois un pauvre
meunier qui avait une fille d'une grande beauté. Un roi
s'arrêta un jour pour bavarder un peu et le meunier, pour se
rendre intéressant, vanta les qualités de sa fille :
- Ma fille sait filer de l'or avec de la paille.
- Ça alors ! dit le roi, je saurais apprécier un tel
talent. Si ta fille est vraiment aussi habile que tu le dis,
amène-la demain au château. Nous la mettrons à l'épreuve.
Le lendemain, la jeune fille se présenta au château. Le roi
la conduisit dans une pièce où il y avait de la paille
jusqu'au plafond. Puis il lui remit une quenouille et lui
désigna un rouet.
- Mets-toi au travail, ordonna-t-il. Si avant l'aube tu
n'arrives pas à transformer cette paille en or, tu
n'échapperas pas à la mort.
La pauvre jeune fille s'assit, ne sachant quoi faire. Sa vie
était menacée, mais elle n'avait pas la moindre idée de la
façon dont on pouvait transformer de la paille en or. Elle
avait le coeur serré et, ayant de plus en plus peur, elle se
mit à pleurer.
Soudain, la porte s'ouvrit et un petit lutin entra dans la
pièce.
- Bonjour, jeune fille, la salua-t-il. Pourquoi pleures-tu à
chaudes larmes ?
- Ah ! soupira la jeune fille, je dois filer de la paille
pour en faire de l'or et je ne sais pas le faire.
- Que me donnerais-tu si je le faisais à ta place ? demanda
le petit homme.
- Le collier que je porte au cou, proposa la fille.
Le lutin prit son collier, puis il s'assit au rouet et le fit
tourner - vrrr-vrrr-vrrr -, il tira trois fois et une
quenouille fut pleine. Il en mit une autre et - vrrr-vrrr-vrrr
- une deuxième fut remplie. Et ainsi de suite jusqu'au petit
matin. À l'aube, toute la paille était filée et de l'or
brillait sur toutes les bobines.
Le soleil était à peine levé que le roi était déjà là,
et il n'en revenait pas. Seulement, voyant tout cet or, il se
frotta les mains, car comme il était très avare, il en
voulait plus encore. Il fit amener la fille du meunier dans
une autre pièce remplie de paille, beaucoup plus grande
encore que la précédente, et il ordonna qu'elle la filât
en une nuit si elle voulait avoir la vie sauve.
La jeune fille ne sut quoi faire et se mit à pleurer. Mais
la porte s'ouvrit à nouveau et notre petit homme entra et
dit :
- Que me donneras-tu si je transforme cette paille en or ?
- Ma bague, répondit la jeune fille, et elle enleva la bague
de son doigt.
Le lutin prit la bague et se mit au travail. Le rouet
commença à tourner et il tourna et tourna, jusqu'à l'aube.
Et comme la veille, la paille avait disparu et le fil d'or
brillait sur les bobines.
Le roi fut fou de joie, mais il estima qu'il n'en avait pas
assez ; il en voulait toujours plus, encore et encore. Et il
fit donc amener la fille du meunier dans une troisième
pièce, plus grande encore que la précédente et ordonna :
- Tu fileras cette paille cette nuit. Et si tu réussis, je
t'épouserai.
À peine la jeune fille fut-elle seule, que le petit homme se
montra pour la troisième fois et demanda à nouveau :
- Que me donneras-tu cette fois-ci, si je file ta paille ?
- Que pourrais-je te donner ? répondit la jeune fille, je
n'ai plus rien.
- Promets-moi donc de me donner ton premier enfant quand tu
seras reine.
« Qui sait comment les choses vont se passer ? » se dit la
fille du meunier. Et comme, de toute façon, elle n'avait pas
d'autre solution, elle promit au petit homme ce qu'il
souhaitait. Et ce dernier transforma donc, une fois encore,
la paille en or.
À l'aube, ayant tout trouvé comme il l'espérait, le roi
fit préparer un grand banquet de noces et la belle meunière
devint reine.
Une année passa et la reine donna naissance à un ravissant
petit garçon. Et soudain, le petit homme, entra dans sa
chambre et dit :
- Donne-moi ce que tu m'avais promis.
La reine fut horrifiée. Elle proposa au petit homme toute la
richesse du royaume, pourvu qu'il lui laissât son enfant.
Mais le lutin ne voulut rien savoir.
- Non, non, dit-il, je préfère quelque chose de vivant à
tous les trésors.
La reine se mit à pleurer et son chagrin finit par émouvoir
le petit homme.
- J'attendrai trois jours, consentit-il, et si, d'ici là, tu
as trouvé comment je m'appelle, tu pourras garder ton
enfant.
La reine réfléchit toute la nuit, se rappelant tous les
noms qu'elle avait entendus. Elle dépêcha un messager pour
qu'il questionne les gens dans tout le pays afin qu'elle
apprenne tous les noms qui existent.
Lorsque le lendemain matin le lutin arriva, elle cita tous
les noms qu'elle connaissait, mais chaque fois le petit homme
hocha la tête :
- Ce n'est pas mon nom. Le lendemain, la reine envoya un
émissaire jusque dans le pays voisin afin de connaître les
noms de ce pays. Elle cita ensuite au petit homme tous ces
noms étranges et inhabituels :
- Ne t'appelles-tu pas Moustache-de-souris ? Ou
Gigot-d'Agneau ? Ou peut-être Tranche-de-Boeuf ?
- Ce n'est pas ça, répondit le lutin à chaque fois.
Le troisième jour, le messager de la reine revint du voyage
et claironna d'entrée :
- On ne peut plus trouver d'autres noms, pas un seul. Mais,
lorsque je passais près d'une montagne à l'entrée d'une
étrange forêt où les lapins et les renards se saluent avec
courtoisie, j'aperçus une petite maison. Et devant elle, un
drôle de petit homme, un vrai lutin, sautillait à
cloche-pied autour d'un feu en vociférant :
Par temps froid et par
temps chaud,
Rumpelstiltskin n'est pas manchot,
Je sais tout faire, même la cuisine,
Et un petit prince j'aurai en prime.
Vous comprenez aisément que
la reine se réjouit en apprenant ce nom.
Peu de temps après, le petit homme arriva au château. Et il
attaqua d'entrée :
- Alors, ma reine : quel est mon nom ?
- Et si tu t'appelais Rumpelstiltskin ? dit alors la reine.
- Quel diable te l'a soufflé ? Quel diable te l'a soufflé ?
brailla le petit homme.
Et il frappa le sol de son pied droit avec tant d'énergie
qu'il s'enfonça tout entier dans la terre. Puis, fou de
rage, il attrapa son pied gauche avec ses deux mains et -
crac ! - il se déchira en deux.