La cruche.

Un de ces jours, dame Germaine,
Pour certain besoin qu'elle avoit,
Envoya Jeanne à la fontaine ;
Elle y courut : cela pressoit.
Mais, en courant, la pauvre créature
Eut une fâcheuse aventure.
Un malheureux caillou, qu'elle n'aperçut pas.
Vint se rencontrer sous ses pas.
A ce caillou, Jeanne trébuche,
Tombe enfin et casse sa cruche.
Mieux eût valu cent fois s'être cassé le cou !
Casser une cruche si belle !
Que faire ? Que deviendra-t-elle ?
Pour en avoir une autre, elle n'a pas un sou.
Quel bruit va faire sa maîtresse,
De sa nature très-diablesse ?
Comment éviter son courroux ?
Quel emportement ! Que de coups !
« Oserai-je jamais me r'offrir à sa vue ?
Non, non, dit-elle ; enfin il faut que je me tue !
Tuons-nous ! » Par bonheur, un voisin, près de là,
Accourut, entendant cela ;
Et, pour consoler l'affligée,
Lui chercha les raisons les meilleures qu'il put ;
Mais, pour bon orateur qu'il fût,
Elle n'en fut point soulagée ;
Et la belle, toujours, s'arrachant les cheveux,
Faisoit couler deux ruisseaux de ses yeux,
Enfin vouloit mourir : la chose étoit conclue.
« Eh bien, veux-tu que je te tue ?
Lui dit-il. - Volontiers. » Lui, sans autre fafon,
Vous la jette sur le gazon,
Obéit à ce qu'elle ordonne ;
A la tuer des mieux apprête ses efforts,
Lève sa cotte, et puis lui donne
D'un poignard à travers le corps.
On a grande raison de dire
Que pour les malheureux la mort à ses plaisirs :
Jeanne roule les yeux, se pâme, enfin expire ;
Mais, après les derniers soupirs,
Elle remercia le sire :
« Ho ! le brave homme que voilà !
Grand merci, Jean ! je suis la plus humble des vôtres.
Les tuez-vous comme cela ?
Vraiment, j'en casserai bien d'autres ! »

 

Retour

 

 

 

 

 

 

 

 

Le cuvier.

Soyez Amant, vous serez inventif ;
Tour ni détour, ruse ni ,stratagème,
Ne vous faudront : le plus jeune apprentif
Est vieux routier dès le moment qu'il aime :
On ne vit onc que cette passion
Demeurât court faute d'invention;
Amour fait tant qu'enfin il a son compte.
Certain cuvier, dont on fait certain Conte,
En fera foi. Voici ce que j'en sais,
Et qu'un Quidam me dit ces jours passés.

Dedans un Bourg ou Ville de Province,
(N'importe pas du titre ni du nom)
Un Tonnelier et sa femme Nanon
Entretenaient un ménage assez mince.
De l’aller voir Amour n'eut à mépris,
Y conduisant un de ses bons amis,
C'est Cocuage ; il fut de la partie :
Dieux familiers et sans cérémonie,
Se trouvant bien dans toute Hôtellerie ;
Tout est pour eux bon gîte et bon logis,
Sans regarder si c'est Louvre ou cabane.
Un Drôle donc caressait Madame Anne ;
Ils en étaient sur un point, sur un point...
C'est dire assez de ne le dire point ;
Lorsque l’Epoux revient tout hors d'haleine
Du cabaret, justement, justement...
C'est dire encor ceci bien clairement.
On le maudit ; nos gens sont fort en peine.
Tout ce qu'on put fut de cacher l'Amant :
On vous le serre en hâte et promptement
Sous un cuvier, dans une cour prochaine.

Tout en entrant l’Epoux dit : « J'ai vendu
Notre cuvier. - Combien ? dit Madame Anne.
- Quinze beaux francs. - Va, tu n'es qu'un gros âne,
Repartit-elle, et je t'ai d'un écu
Fait aujourd'hui profit par mon adresse,
L'ayant vendu six écus avant toi.
Le Marchand voit s'il est de bon aloi,
Et par dedans le tâte pièce à pièce,
Examinant si tout est comme il faut,
Si quelque endroit n'a point quelque défaut.
Que ferais-tu, malheureux, sans ta femme?
Monsieur s'en va chopiner, cependant
Qu’on se tourmente ici le corps et l'âme :
Il faut agir sans cesse en l'attendant.
Je n'ai goûté jusqu'ici nulle joie :
J'en goûterai désormais, attends-t-y.
Voyez un peu : le Galant a bon foie ;
Je suis d'avis qu'on laisse a tel mari
Telle moitié ! - Doucement, notre Épouse,
Dit le Bonhomme. Or sus, Monsieur, sortez :
Çà, que je racle un peu de tous côtés
Votre cuvier, et puis que je l'arrouse ;
Par ce moyen vous verrez s'il tient eau :
Je vous réponds qu'il n'est moins bon que beau. »

Le Galant sort ; l'Époux entre en sa Place,
Racle partout, la chandelle a\ la main,
Deçà, delà, sans qu'il se doute brin
De ce qu'Amour en dehors vous lui brasse :
Rien n'en put voir ; et pendant qu'il repasse
Sur chaque endroit, affublé du cuveau,
Les Dieux susdits lui viennent de nouveau
Rendre visite, imposant un ouvrage
A nos Amants bien différent du sien.
Il regratta, gratta, frotta si bien,
Que notre couple ayant repris courage,
Reprit aussi le fil de l’entretien
Qu'avait troublé le galant personnage.
Dire comment le tout se put passer,
Ami Lecteur, tu dois m'en dispenser :
Suffit que j'aie très bien prouvé ma thèse.
Ce tour fripon du couple augmentait l’aise ;
Nul d'eux n'était à tels jeux apprentif.
Soyez Amant, vous serez inventif.

 

Contes