A femme avare, galant escroc
Nouvelle tirée de Boccace.
Qu'un homme soit plumé par des Coquettes,
Ce n'est pour faire au miracle crier.
Gratis est mort ; plus d'amour sans payer :
En beaux Louis se content les fleurettes.
Ce que je dis, des Coquettes s'entend.
Pour notre honneur, si me faut-il pourtant
Montrer qu'on peut, nonobstant leur adresse,
En attraper au moins une entre cent,
Et lui jouer quelque tour de souplesse.
Je choisirai pour exemple Gulphar.
Le Drôle fit un trait de franc Soudard ;
Car aux faveurs d'une Belle il eut part
Sans débourser, escroquant la Chrétienne.
Notez ceci, et qu'il vous en souvienne,
Galants d'épée ; encor bien que ce tour
Pour vous styler soit fort peu nécessaire :
Je trouverais maintenant à la Cour
Plus d'un Gulphar, si j'en avais affaire.
Celui-ci donc chez Sire Gasparin
Tant fréquenta, qu'il devint à la fin
De son Épouse amoureux sans mesure.
Elle était jeune, et belle créature,
Plaisait beaucoup, fors un point qui gâtait
Toute l'affaire, et qui seul rebutait
Les plus ardents : c'est qu'elle était avare ;
Ce n'est pas chose en ce siècle si rare.
Je l'ai jà dit, rien n'y font les soupirs :
Celui-là parle une langue Barbare,
Qui l'or en main n'explique ses désirs.
Le jeu, la jupe, et l'amour des plaisirs,
Sont les ressorts que Cupidon emploie :
De leur boutique il sort chez les François
Plus de Cocus que du Cheval de Troie
Il ne sortit de Héros autrefois.
Pour revenir à l'humeur de la Belle,
Le Compagnon ne put rien tirer d'elle,
Qu'il ne parlât. Chacun sait ce que c'est
Que de parler ; le Lecteur, s'il lui plaît,
Me permettra de dire ainsi la chose.
Gulphar donc parle, et si bien qu'il propose
Deux cents écus : la Belle l'écouta ;
Et Gasparin à Gulphar les prêta
(Ce fut le bon), puis aux champs s'en alla,
Ne soupçonnant aucunement sa femme.
Gulphar les donne en présence de gens :
« Voilà, dit-il, deux cents écus comptants,
Qu'à votre Epoux vous donnerez, Madame. »
La Belle crut qu'il avait dit cela
Par politique, et pour jouer son rôle.
Le lendemain elle le régala
Tout de son mieux, en femme de parole.
Le Drôle en prit, ce jour et les suivants,
Pour son argent, et même avec usure :
A bon payeur on fait bonne mesure.
Quand Gasparin fut de retour des champs,
Gulphar lui dit, son Épouse présente :
« J'ai votre argent à Madame rendu,
N'en ayant eu pour une affaire urgente
Aucun besoin, comme je l'avais cru :
Déchargez-en votre Livre, de grâce. »
A ce propos, aussi froide que glace,
Notre Galante avoua le reçu.
Qu'eût-elle fait ? on eût prouvé la chose.
Son regret fut d'avoir enflé la dose
De ses faveurs : c'est ce lui la fâchait.
Voyez un peu la perte que c'était !
En la quittant, Gulphar alla tout droit
Conter ce cas, le corner par la Ville,
Le publier, le prêcher sur les toits.
De l'en blâmer, il serait inutile :
Ainsi vit-on chez nous autres François.
On ne s'avise jamais de tout
Conte tiré des Cent Nouvelles nouvelles.
Certain jaloux ne dormant que d'un oeil,
Interdisait tout commerce à sa femme.
Dans le dessein de prévenir la Dame,
Il avait fait un fort ample recueil
De tous les tours que le Sexe sait faire.
Pauvre ignorant ! comme si cette affaire
N'était une ydre, à parler franchement !
Il captivait sa femme cependant,
De ses cheveux voulait savoir le nombre,
La faisait suivre, à toute heure, en tous lieux,
Par une Vieille au corps tout rempli d'yeux,
Qui la quittait aussi peu que son ombre.
Ce fou tenait son recueil fort entier :
Il le portait en guise de Psautier,
Croyant par là Cocuage , hors de gamme.
Un jour de Fête, arrive que la Dame,
En revenant de l'Eglise, passa
Près d'un logis, d'où quelqu'un lui jeta
Fort a propos plein un panier d'ordure.
On s'excusa. La pauvre créature,
Toute vilaine, entra dans le logis.
Il lui fallut dépouiller ses habits.
Elle envoya quérir une autre jupe,
Dès en entrant, par cette Douagna,
Qui hors d'haleine à Monsieur raconta
Tout l'accident. « Foin ! dit-il, celui-là
N'est dans mon Livre, et je suis pris pour dupe :
Que le recueil au Diable soit donné ! »
Il disait bien ; car on n'avait jeté
Cette immondice, et la Dame gâté,
Qu'afin qu'elle eût quelque valable excuse
Pour éloigner son dragon quelque temps.
Un sien Galant, ami de là-dedans,
Tout aussitôt profita de la ruse.
Nous avons beau sur ce Sexe avoir l'oeil :
Ce n'est coup sûr encontre tous esclandres.
Maris jaloux, brûlez votre recueil,
Sur ma parole, et faites-en des cendres.
0 combien l'homme est inconstant, divers,
Faible, léger, tenant mal sa parole !
J'avais juré hautement en mes Vers
De renoncer à tout Conte frivole :
Et quand juré ? c'est ce qui me confond,
Depuis deux jours j'ai fait cette promesse.
Puis fiez-vous à Rimeur qui répond
D'un seul moment. Dieu ne fit la sagesse
Pour les cerveaux qui hantent les neuf Soeurs
Trop bien ont-ils quelque art qui vous peut plaire,
Quelque jargon plein d'assez de douceurs ;
Mais d'être sûrs, ce n'est là leur affaire.
Si me faut-il trouver, n'en fût-il point,
Tempérament pour accorder ce point ;
Et supposé que quant à la matière
J'eusse failli, du moins pourrais-je pas
Le réparer par la forme en tout cas ?
Voyons ceci. Vous saurez que naguère
Dans la Touraine un jeune Bachelier,
(Interprétez ce mot à votre guise
L'usage en fut autrefois familier
Pour dire ceux qui n'ont la barbe grise :
Ores ce sont suppôts de sainte Église.)
Le nôtre soit sans plus un jouvenceau,
Qui dans les prés, sur le bord d'un ruisseau,
Vous cajolait la jeune Bachelette
Aux blanches dents, aux pieds nus, au corps gent ;
Pendant qu'Io portant une clochette,
Aux environs allait l'herbe mangeant.
Notre Galant vous lorgne une fillette,
De celles-là que je viens de nommer :
Le malheur fut qu'elle était trop jeunette,
Et d'âge encore incapable d'aimer.
Non qu'à treize ans on y soit inhabile ;
Même les Lois ont avancé ce temps :
Les Lois songeaient aux personnes de Ville,
Bien que l'amour semble né pour les champs.
Le Bachelier déploya sa science.
Ce fut en vain : le peu d'expérience,
L'humeur farouche, ou bien l'aversion,
Ou tous les trois, firent que la Bergère,
Pour qui l'amour était langue étrangère,
Répondit mal à tant de passion.
Que fit l'Amant ? Croyant tout artifice
Libre en amours, sur le coi de la nuit
Le Compagnon détourne une génisse
De ce bétail par la Fille conduit.
Le demeurant, non compté par la Belle,
(Jeunesse n'a les soins qui sont requis)
Prit aussitôt le chemin du logis.
Sa mère, étant moins oublieuse qu'elle,
Vit qu'il manquait une pièce au troupeau :
Dieu sait la vie ! Elle tance Isabeau,
Vous la renvoie ; et la jeune pucelle
S'en va pleurant, et demande aux échos
Si pas un d'eux ne sait nulle nouvelle
De celle-là, dont le Drôle à propos
Avait d'abord étoupé la clochette ;
Puis il la prit, et la faisant sonner,
Il se fit suivre ; et tant que la Fillette
Au fond d'un bois se laissa détourner.
Jugez, Lecteur, quelle fut sa surprise
Quand elle ouïe la voix de son Amant.
« Belle, dit-il, toute chose est permise
Pour se tirer de l'amoureux tourment. »
A ce discours, la Fille toute en transe,
Remplit de cris ces lieux peu fréquentés.
Nul n'accourut. 0 Belles, évitez
Le fond des bois et leur vaste silence.